Solitaire et ensemble
Portée par l’engagement de ses chorégraphes, Clément Bugnon et Matthias Kass, cette œuvre en huit tableaux se déploie autour d’un dialogue corporel qui capte la tension entre unité et singularité.
Sur scène, la rencontre entre sept professionnels-professionnelles et quatorze amateurs-amatrices crée un espace vibrant, où chacun.e est à la fois pièce de l'ensemble et vecteur d'énergie singulière.
À travers les ralentissements, les figements du mouvement, les corps chaînés entre eux, tableaux vivants, les courses en cercles et les mouvements tournoyants, spiralés voire déséquilibrés, la chorégraphie évoque une force qui rassemble et transforme, tout en préservant la pluralité des identités et des trajectoires.
Venue du classique, la Compagnie se retrouve dans la gestuelle fluide et spiralée en transe et énergétique agrégeant une large palette de styles de danses. Empreinte d’une grande physicalité, la démarche artistique de la Compagnie Idem s'ancre dans une volonté de démocratiser la danse, et Together incarne pleinement cette vision.
La scénographie, sobre et immersive, s’accorde avec des jeux de lumière subtils modulant le clair-obscur. Ils font émerger l'intensité des corps en mouvement, tantôt libérés, tantôt en tension. Les compositions musicales mêlant électro, atmosphérique et classique imaginées par Michio Woirgardt accentuent cette oscillation entre contrôle et abandon, renforçant les contrastes et les variations de rythme qui traversent la pièce.
Ce spectacle nous invite à une réflexion sur l’intelligence collective et le pouvoir transformateur du groupe, nous rappelant que la danse est aussi un langage universel qui lie les corps et les esprits dans un geste commun.
Rencontre avec Clément Bugnon.
Clément Bugnon: La démarche de la Compagnie Idem est d’abord empirique, cette création étant le fruit d’observations de notre environnement et du monde qui nous entoure.
Observations, constats et questionnements se rejoignent afin de développer les thématiques de nos spectacles.
Together explore l’écart entre la signature corporelle, le comportement privé de l’individu placé seul chez lui, d’une part. Et lorsqu’il fait partie de différents groupes, de l’autre.
Que ces groupes soient de travail ou d’amis. Du coup, la création suit la distorsion à l’œuvre entre personnalité intime, privée et personnalité publique.
Au plan chorégraphique, un mouvement revient de manière quasi-sérielle.
Il est de l’ordre du déplacement en cercle. Et s’intègre bien dans notre réflexion initiale visant à savoir comment le collectif entraîne et emporte l’individu, le faisant vaciller puis tomber en déséquilibre.
Ceci au gré d’un mouvement voulu perpétuel avec le chiffre huit dessiné par les évolutions des interprètes. Un marqueur de l’infini en forme de ruban de Möbius.
L’écriture chorégraphique reprend ainsi à plusieurs reprises ce mouvement d’ensemble fait de courses et de déséquilibres.
On relève donc la force centrifuge et centripète de la danse qui se développe en rond. Tour à tour, l’interprète s’intègre puis se dissocie de ce mouvement collectif.
Venant de la danse classique, Matthias Kass et moi avons gardé le goût de la transmission précise et généreuse ainsi que la rigueur dans le travail, l’envie de se dépasser afin de transmettre une corporalité forte. C’est important pour les qualités et les expressions corporelles demandées aux interprètes.
Elle amène à une forme de transe au fil de l’un des grands axes de travail chorégraphique développé par notre Compagnie, le mouvement perpétuel.
Nous avons ainsi exploré ce mouvement continu à travers plusieurs phases et structures chorégraphiques. Partant, le cercle, le tour sur soi et la forme du huit sont des illustrations de nos recherches en lien avec le mouvement perpétuel.
Ce type de mouvement amène à une certaine forme de transe. En témoigne, une précédente pièce, Imbalance (2023) interrogeant tant le contrôle que le lâcher-prise dans le mouvement.
Pour sa part, Together arpente le lien avec le collectif, la réalité de faire partie d’un tourbillon dansé, ce mouvement d’ensemble tourbillonnant que l’on pourrait comparer à un banc de poissons ou une nuée d’oiseaux.
Il s’agit aussi épisodiquement d’affirmer son individualité au sein d’un groupe qui tente de tout emporter dans son vertige tournoyant. Avec des variations infimes et potentiellement infinies.
Le tour sur soi-même évoquerait alors la position de l’individu. Face au collectif, il abandonnerait alors moins son identité au collectif dansant, voire plus du tout.
Absolument. Dans Imbalance, il existe une dualité à l’œuvre entre un premier acte marqué par la nécessité de contrôle et un second sur le déséquilibre et la perte de maîtrise. D’où le recherche de gestuelles contrastées, opposées, parfois syncopées ou heurtées pour évoquer cette thématique tant du contrôle que du déséquilibre.
À l’occasion de Together, la fluidité, le cercle, le tourner sur soi sont convoqués de manière moins prégnante. Ces différents mouvements sont davantage utilisés pour mettre en scène ce qui se déroule et se joue à l’intérieur du cercle et de la spirale.
Prenez l’une des scènes de cette création axée sur la rotation des corps. Sur scène, on découvre le collectif qui tourne à des rythmes différents, mettant en lien les personnes les unes avec les autres.
À tour de rôle, chaque interprète vient littéralement prendre la lumière à l’intérieur du cercle, révélant de fait un peu plus qui il.elle pourrait être et la nature de ce qui est interprété.
Depuis les débuts de la Compagnie Idem en 2012, nous explorons le jeu du chainage des corps entre eux. Celui-ci permet de traduire concrètement l’oscillation entre attraction et la répulsion au sein d’un collectif.
En d’autres termes, le fait d’être en lien mutuellement participe de la nécessité de trouver un équilibre avec l’autre et notre environnement. Cela en créant frictions et tensions, équilibres et attractions entre les corps et les individus. Pour les mettre ainsi en images.
Actrice à part entière de nos pièces, la lumière y joue un rôle essentiel. Notre prochaine création, qui suivra Together, abordera ainsi le clair-obscur, le sfumato. Cette idée de jouer de la lumière pour ici masquer certaines choses, là en révéler d’autres
La pénombre au plateau rejoint ainsi la volonté d’ouvrir l’imaginaire du public. L’un des tableaux d’Imbalance met ainsi en scène pleinement en lumière la nécessité de perte de contrôle, les interprètes dansants parfois presque malgré eux.elles.
Je mentionnerai les univers chorégraphiques croisés chez Sidi Larbi Cherkaoui et la fluidité du mouvement alliée à son côté marionnettique; Hofesh Shechter pour sa dimension de liberté du corps et ses images fortes et prégnantes de la communauté.
Enfin, la rigueur et la corporalité à l’œuvre dans la danse d’Akram Kahn avec lequel Matthias Kaas a travaillé pour la cérémonie d’ouverture des JO londoniens en 2012.
Together
Les 16 et 17 novembre au Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains
Compagnie Idem
Clément Bugnon et Matthias Kass, chorégraphie
Pauline Richard, Rosalia Pace, Lola Merieux, Stefano Roveda, Lina Bouainane-Chabre, Manolo Perazzi, Francisco Patricio, danseur·euses amateur·rices
Informations, réservations:
https://www.theatrebennobesson.ch/programme-24-25/together