Social Tw. Fb.
Article

Echos de théâtre

Publié le 25.04.2025

Comme ci (ou comme ça), c’est d’abord l’histoire d’une amitié retrouvée, celle de Philippe Macasdar et Pavel Jancik.

À découvrir au Pull Off Théâtre, Lausanne, du 28 avril au 6 mai est portée par l’urgence et la fidélité deux artistes complices qui renouent le fil d’un dialogue théâtral entamé au début des années 80 à La Comédie de Genève.

Un entre-deux fragile et vibrant, espace-temps suspendu où ressurgissent pensées, fulgurances et éclats de vérité.

En s’appuyant sur la puissance évocatrice des lieux désertés, ils interrogent à deux voix ce qui fait mémoire, présence, et lien. Une partition intimiste composée avec le même entêtement joyeux qui pousse à ne pas se séparer, comme l’affirmait l’écrivain et peintre iranien Serge Rezvani.

Le parcours de Pavel Jancik traverse les scènes d’opéra, de cinéma et de théâtre du monde entier. Macasdar, pour sa part, revient au plateau après avoir dirigé pendant 24 ans le Théâtre Saint-Gervais, véritable laboratoire d’écritures et de formes.

Ensemble, ils signent une œuvre à la fois grave et légère, un jeu de miroir entre passé et présent, où le geste artistique devient acte de fidélité, de joie lucide, à la manière du poète tchèque Vladimir Holan, qui surgit même au bord du vide.

Entretien avec Philippe Macasdar.



Comment se présente Comme ci (ou comme ça)?

Philippe Macasdar: C’est loin d’être un spectacle autobiographique, où l’on se raconte des histoires avec force souvenirs et anecdotes. En revanche, la pièce est fondée sur une histoire commune entre Pavel Jancik et moi-même qui débute effectivement en 1983 à La Comédie de Genève.

Dès lors, il s’agit de ma rencontre avec ce maître d’armes à l’occasion notamment des répétitions du shakespearien Hamlet mis en scène par Benno Besson. Ce dernier avait confié à Pavel le soin de régler le combat de l’acte V *. J’ai été impressionné par son travail alors que j’avais à l’époque en répétitions une pièce de Christian-Dietrich Grabbe, un auteur post-romantique à l’esthétique baroque, Dom Juan et Faust **.

Dans la pièce, Don Juan se bat en duel le père de Donna Anna et le tue. C’est à Pavel que j’ai confié le soin de régler ce combat. Ce qu’il fit avec brio.



Cette création a un précédent...


Il s’agit d’En vrai, ça ne sera pas comme ça, pièce créée en novembre 2021 à La Traverse (Genève).

Avec Pavel, nous avions imaginé une fable à laquelle a pu se joindre le comédien et humoriste suisse originaire de La Chaux-de-fonds, Pierre Miserez. Il me voyait en conférencier déjanté et lui-même en auditeur. Il n’a finalement pu nous accompagner dans le cadre de Comme ci (ou comme ça).

Sur la fable.

La pièce se déroule dans un théâtre vide. Vide de spectateurs et spectatrice, d’actrices et d’acteurs. Le public n’est pas confronté à une représentation. Encore moins à une répétition.

Cette fiction découvre ainsi un théâtre fermé. Sont-ce les vacances, un jour de relâche ou l’absence de spectacle de l’affiche? On ne sait trop.

Et puis, soudain...

Un homme apparaît au début sur le plateau. L’on comprend rapidement qu’il s’agit d’un metteur en scène. Il est là pour rêver, répéter, imaginer un spectacle.

De manière inattendue, alors que la porte était subrepticement ouverte, un autre personnage fait son entrée. Voici la rencontre entre deux hommes. Le fil de la pièce est la construction d’une amitié, l’élaboration d’une complémentarité entre deux personnes.

C’est aussi la rencontre entre les arts, le maître d’art et cascadeur ayant beaucoup à voir avec le cinéma plus qu’avec le théâtre. La création interroge le côté bienveillant, positif, chaleureux de l’exercice du théâtre.





Brecht concevait le théâtre comme un espace de réflexion en continu. Qu’avez-vous notamment retenu de lui?


Brecht a développé un concept fondamental: la Freundlichkeit (amicalité, bienveillance). Il la considérait comme plus fiable que l’amour. Pour lui, sans Freundlichkeit, on traverse des temps obscurs.

Mais cette amicalité ne doit pas être naïve. Elle suppose lucidité, engagement, résistance. Il souhaitait que le public prenne du recul sur les gestes de bonté ou de pitié pour mieux en interroger la portée.

Par ailleurs, j’ai été marqué par Benno Besson, qui m’a appris qu’il est possible de traiter de sujets graves, parfois tragiques, sans pour autant sombrer dans une vision désespérée du monde.

Quelle était la situation de Brecht à son retour à Berlin?


Quand Brecht revient à Berlin, la ville est détruite à 90 %. Il n’a pas de théâtre attitré avant 1954, lorsqu’il hérite du Theater am Schiffbauerdamm, où il avait créé L’Opéra de quat’sous avec Kurt Weill en 1928. Il y fonde le Berliner Ensemble, l’une des plus grandes troupes allemandes.

À ses comédiens et comédiennes, il écrit en substance: «Vous allez jouer au milieu des ruines, dans un pays brisé. Votre responsabilité est dans le jeu. Plus vous serez conscients de la violence du monde post-nazi dont vous héritez, plus votre jeu en témoignera.»

C’est une filiation, pour moi, entre Brecht, Besson et André Steiger***: ils nous rappellent combien la gaieté peut nous être précieuse au cœur des bouleversements du monde.

Comment définiriez-vous l’esprit de cette pièce?

Comme ci (ou comme ça) est volontairement déconnectée de l’actualité, mais elle n’en est pas moins traversée par la réflexion. Je pense souvent à ces vers de l’écrivain et poète tchèque Viktor Holan: «Une joie simple et tranquille, une joie sans raison,/une joie sans limite et non pas consentie pour une heure,/la joie d’un homme qui s’engage sur un pont/ et qui se met à chanter...»

Une autre dimension dans ce spectacle?


La naïveté, un terme souvent si galvaudé. Elle a été pensée par des philosophes grecs à l’Antiquité. De fait, la naïveté pour Platon est le point de départ d’un chemin vers la connaissance et développée par Brecht dans le sens d’une capacité de porosité, d’étonnement.

Si le théâtre a avoir avec l’enfance, on ne peut toutefois retrouver la naïveté de l’enfant qui est une chose irrémédiablement et définitivement perdue. En définitive, ce n’est pas grave car nous sommes là pour tenter de la réinventer.





Mais encore...

Comme ci ou Comme ça s’est imaginé et se veut comme déconnecté de l’actualité. Sans pour autant s’exempter de la réflexion.

Je suis très attaché au poème de l’écrivain tchèque Viktor Holan, où il évoque «une joie simple et tranquille, une joie sans raison,/une joie sans limite et non pas consentie pour une heure,/la joie d’un homme qui s’engage sur un pont/et qui se met à chanter...»

Pavel Jancik a réglé des centaines de combat sur scène et pour le grand écran. À l’image de Quantum of Solace, un James Bond avec l’acteur et cinéaste français le plus libre qui soit, Mathieu Amalric dans le rôle du méchant.


Pour un film ou un spectacle, lorsque l’on souhaite réaliser un combat, une scène violente, l’on fait ordinairement appel à un cascadeur ou un maitre d’armes, voire un chorégraphe de scènes d’action.

Quant à lui, Pavel Jancik **** intervient toujours plus auprès des jeunes au cœur de quartiers dit difficiles. Ceci afin de faire comprendre que la violence au quotidien n’est pas une solution et ne résout rien.

J’aime dialoguer avec Pavel, une personnalité discrète, qui développe cette philosophie de la vie. Il anime aussi ateliers et cours en entreprises dans le cadre de la self-défense notamment. Ce professionnel est riche d’une formation académique élaborée. Il est l’un des rares à posséder un diplôme de metteur en scène de théâtre et un autre de réalisateur de cinéma issu d’un ancien Pays de l’Est, la Tchécoslovaquie.

Un exemple de son travail?

Pour le Cyrano de Bergerac monté en 2014 dans un décor d’asile psychiatrique par Dominique Pitoiset avec Philippe Torreton, vulnérable en survêtement et marcel dans le rôle-titre (qui lui valut le Molière du meilleur comédien), Pavel a réglé entre autres un duel inédit comprenant un fer à repasser, accessoire loin d’être évident pour ce type de combat.

Car le metteur en scène souhaitait une forme délibérément humoristique dans l’expression de la violence. Pavel, c’est une grande inventivité, quelqu’un doté d’une remarquable paix intérieure.

C’est un bonheur de travailler avec lui tant tout semble possible en sa compagnie.

Propos recueillis par Pierre Siméon


Comme ci (ou comme ça)
Du 28 avril au 6 mai Pull Off Théâtre, Lausanne

 De et avec Pavel Jancik et Philippe Macasdar

Informations et réservations:
https://www.pulloff.ch/comme-ci-ou-comme-ca/

Autres représentations:
Du 24 juin au 6 juillet au Theatricul, Chêne-Bourg
https://theatricul.net



* Dans Hamlet, Il s'agit d’un duel entre Hamlet et Laërte, organisé sous prétexte d’un affrontement amical à l’épée. Mais il cache en réalité un piège mortel conçu par le roi Claudius, l’arme de Laërte étant non émoussée et empoisonnée. Laërte veut venger la mort de son père, Polonius, et de sa sœur, Ophélie, qu’il estime être l’œuvre d’Hamlet, ndr. **

Don Juan et Faust (1829) rassemble deux figures mythiques, le libertin et le savant tourmenté pour en faire les protagonistes d’un drame pessimiste en forme de réflexion sombre sur la condition humaine, la quête du plaisir et celle de la vérité. ndr.

*** Figure majeure du théâtre suisse et francophone, André Steiger (1928-2012) met en scène plus de 250 pièces, tant en Suisse qu'à l'étranger, arpentant un large répertoire, des classiques à des œuvres contemporaines. Il envisageait le théâtre comme un art collectif et moderne, contribuant à déchiffrer le monde pour mieux le transformer, ndr.

**** Etabli à Lausanne dès 1980, où il fonde la première Académie européenne de cascade en 2023, Pavel Jancik est considéré comme l’un des meilleurs chorégraphes des combats et scènes d’action pour le théâtre, le cinéma et danse. Au théâtre, il fut collaborateur de Benno Besson, Claude Stratz et Dominique Pitoiset, pour la danse il a travaillé aux côtés de Maurice Béjart et dans l’univers circassien avec le clown Dimitri, ndr.

Filtres

Nous utilisons des cookies pour vous garantir une expérience optimale sur notre site web. En continuant à naviguer sur le site, vous acceptez notre utilisation des cookies.

ACCEPTEZ & FERMER Annuler