Echos de théâtre

À découvrir au Pull Off Théâtre, Lausanne, du 28 avril au 6 mai est portée par l’urgence et la fidélité deux artistes complices qui renouent le fil d’un dialogue théâtral entamé au début des années 80 à La Comédie de Genève.
Un entre-deux fragile et vibrant, espace-temps suspendu où ressurgissent pensées, fulgurances et éclats de vérité.
En s’appuyant sur la puissance évocatrice des lieux désertés, ils interrogent à deux voix ce qui fait mémoire, présence, et lien. Une partition intimiste composée avec le même entêtement joyeux qui pousse à ne pas se séparer, comme l’affirmait l’écrivain et peintre iranien Serge Rezvani.
Le parcours de Pavel Jancik traverse les scènes d’opéra, de cinéma et de théâtre du monde entier. Macasdar, pour sa part, revient au plateau après avoir dirigé pendant 24 ans le Théâtre Saint-Gervais, véritable laboratoire d’écritures et de formes.
Ensemble, ils signent une œuvre à la fois grave et légère, un jeu de miroir entre passé et présent, où le geste artistique devient acte de fidélité, de joie lucide, à la manière du poète tchèque Vladimir Holan, qui surgit même au bord du vide.
Entretien avec Philippe Macasdar.
Comment se présente Comme ci (ou comme ça)?
Philippe Macasdar: C’est loin d’être un spectacle autobiographique, où l’on se raconte des
histoires avec force souvenirs et anecdotes. En revanche, la pièce est fondée sur une
histoire commune entre Pavel Jancik et moi-même qui débute effectivement en 1983 à La
Comédie de Genève.
Dès lors, il s’agit de ma rencontre avec ce maître d’armes à l’occasion notamment des
répétitions du shakespearien Hamlet mis en scène par Benno Besson. Ce dernier avait
confié à Pavel le soin de régler le combat de l’acte V *. J’ai été impressionné par son travail
alors que j’avais à l’époque en répétitions une pièce de Christian-Dietrich Grabbe, un auteur
post-romantique à l’esthétique baroque, Dom Juan et Faust **.
Dans la pièce, Don Juan se bat en duel le père de Donna Anna et le tue. C’est à Pavel que
j’ai confié le soin de régler ce combat. Ce qu’il fit avec brio.
Il s’agit d’En vrai, ça ne sera pas comme ça, pièce créée en novembre 2021 à La Traverse
(Genève).
Avec Pavel, nous avions imaginé une fable à laquelle a pu se joindre le comédien
et humoriste suisse originaire de La Chaux-de-fonds, Pierre Miserez. Il me voyait en
conférencier déjanté et lui-même en auditeur. Il n’a finalement pu nous accompagner dans le
cadre de Comme ci (ou comme ça).
La pièce se déroule dans un théâtre vide. Vide de spectateurs et spectatrice, d’actrices et
d’acteurs. Le public n’est pas confronté à une représentation. Encore moins à une répétition.
Cette fiction découvre ainsi un théâtre fermé. Sont-ce les vacances, un jour de relâche ou
l’absence de spectacle de l’affiche? On ne sait trop.
Un homme apparaît au début sur le plateau. L’on comprend rapidement qu’il s’agit d’un
metteur en scène. Il est là pour rêver, répéter, imaginer un spectacle.
De manière inattendue,
alors que la porte était subrepticement ouverte, un autre personnage fait son entrée.
Voici la rencontre entre deux hommes. Le fil de la pièce est la construction d’une amitié,
l’élaboration d’une complémentarité entre deux personnes.
C’est aussi la rencontre entre les
arts, le maître d’art et cascadeur ayant beaucoup à voir avec le cinéma plus qu’avec le
théâtre. La création interroge le côté bienveillant, positif, chaleureux de l’exercice du théâtre.
Brecht a développé un concept fondamental: la Freundlichkeit (amicalité, bienveillance). Il la
considérait comme plus fiable que l’amour. Pour lui, sans Freundlichkeit, on traverse des
temps obscurs.
Mais cette amicalité ne doit pas être naïve. Elle suppose lucidité,
engagement, résistance.
Il souhaitait que le public prenne du recul sur les gestes de bonté ou de pitié pour mieux en
interroger la portée.
Par ailleurs, j’ai été marqué par Benno Besson, qui m’a appris qu’il est
possible de traiter de sujets graves, parfois tragiques, sans pour autant sombrer dans une
vision désespérée du monde.
Quand Brecht revient à Berlin, la ville est détruite à 90 %. Il n’a pas de théâtre attitré avant
1954, lorsqu’il hérite du Theater am Schiffbauerdamm, où il avait créé L’Opéra de quat’sous
avec Kurt Weill en 1928. Il y fonde le Berliner Ensemble, l’une des plus grandes troupes
allemandes.
À ses comédiens et comédiennes, il écrit en substance: «Vous allez jouer au milieu des
ruines, dans un pays brisé. Votre responsabilité est dans le jeu. Plus vous serez conscients
de la violence du monde post-nazi dont vous héritez, plus votre jeu en témoignera.»
C’est
une filiation, pour moi, entre Brecht, Besson et André Steiger***: ils nous rappellent combien
la gaieté peut nous être précieuse au cœur des bouleversements du monde.
Comme ci (ou comme ça) est volontairement déconnectée de l’actualité, mais elle n’en est pas moins traversée par la réflexion. Je pense souvent à ces vers de l’écrivain et poète tchèque Viktor Holan: «Une joie simple et tranquille, une joie sans raison,/une joie sans limite et non pas consentie pour une heure,/la joie d’un homme qui s’engage sur un pont/ et qui se met à chanter...»
Une autre dimension dans ce spectacle?
La naïveté, un terme souvent si galvaudé. Elle a été pensée par des philosophes grecs à
l’Antiquité. De fait, la naïveté pour Platon est le point de départ d’un chemin vers la
connaissance et développée par Brecht dans le sens d’une capacité de porosité,
d’étonnement.
Si le théâtre a avoir avec l’enfance, on ne peut toutefois retrouver la naïveté de l’enfant qui
est une chose irrémédiablement et définitivement perdue. En définitive, ce n’est pas grave
car nous sommes là pour tenter de la réinventer.
Comme ci ou Comme ça s’est imaginé et se veut comme déconnecté de l’actualité. Sans
pour autant s’exempter de la réflexion.
Je suis très attaché au poème de l’écrivain tchèque
Viktor Holan, où il évoque «une joie simple et tranquille, une joie sans raison,/une joie sans
limite et non pas consentie pour une heure,/la joie d’un homme qui s’engage sur un pont/et
qui se met à chanter...»
Pour un film ou un spectacle, lorsque l’on souhaite réaliser un combat, une scène violente,
l’on fait ordinairement appel à un cascadeur ou un maitre d’armes, voire un chorégraphe de
scènes d’action.
Quant à lui, Pavel Jancik **** intervient toujours plus auprès des jeunes au
cœur de quartiers dit difficiles. Ceci afin de faire comprendre que la violence au quotidien
n’est pas une solution et ne résout rien.
J’aime dialoguer avec Pavel, une personnalité discrète, qui développe cette philosophie de la
vie. Il anime aussi ateliers et cours en entreprises dans le cadre de la self-défense
notamment. Ce professionnel est riche d’une formation académique élaborée. Il est l’un des
rares à posséder un diplôme de metteur en scène de théâtre et un autre de réalisateur de
cinéma issu d’un ancien Pays de l’Est, la Tchécoslovaquie.
Pour le Cyrano de Bergerac monté en 2014 dans un décor d’asile psychiatrique par
Dominique Pitoiset avec Philippe Torreton, vulnérable en survêtement et marcel dans le rôle-titre (qui lui valut le Molière du meilleur comédien), Pavel a réglé entre autres un duel inédit
comprenant un fer à repasser, accessoire loin d’être évident pour ce type de combat.
Car le
metteur en scène souhaitait une forme délibérément humoristique dans l’expression de la
violence.
Pavel, c’est une grande inventivité, quelqu’un doté d’une remarquable paix intérieure.
C’est
un bonheur de travailler avec lui tant tout semble possible en sa compagnie.
Comme ci (ou comme ça)
Du 28 avril au 6 mai Pull Off Théâtre, Lausanne
De et avec Pavel Jancik et Philippe Macasdar
Informations et réservations:
https://www.pulloff.ch/comme-ci-ou-comme-ca/
Autres représentations:
Du 24 juin au 6 juillet au Theatricul, Chêne-Bourg
https://theatricul.net
* Dans Hamlet, Il s'agit d’un duel entre Hamlet et Laërte, organisé sous prétexte d’un affrontement amical à l’épée. Mais il cache en réalité un piège mortel conçu par le roi Claudius, l’arme de Laërte étant non émoussée et empoisonnée. Laërte veut venger la mort de son père, Polonius, et de sa sœur, Ophélie, qu’il estime être l’œuvre d’Hamlet, ndr. **
Don Juan et Faust (1829) rassemble deux figures mythiques, le libertin et le savant tourmenté pour en faire les protagonistes d’un drame pessimiste en forme de réflexion sombre sur la condition humaine, la quête du plaisir et celle de la vérité. ndr.
*** Figure majeure du théâtre suisse et francophone, André Steiger (1928-2012) met en scène plus de 250 pièces, tant en Suisse qu'à l'étranger, arpentant un large répertoire, des classiques à des œuvres contemporaines. Il envisageait le théâtre comme un art collectif et moderne, contribuant à déchiffrer le monde pour mieux le transformer, ndr.
**** Etabli à Lausanne dès 1980, où il fonde la première Académie européenne de cascade en 2023, Pavel Jancik est considéré comme l’un des meilleurs chorégraphes des combats et scènes d’action pour le théâtre, le cinéma et danse. Au théâtre, il fut collaborateur de Benno Besson, Claude Stratz et Dominique Pitoiset, pour la danse il a travaillé aux côtés de Maurice Béjart et dans l’univers circassien avec le clown Dimitri, ndr.