Echappée vers les cimes du vivant

À la Forêt du Théâtre de Vidy (Lausanne), ce spectacle familial accessible dès 9 ans est à découvrir du 2 mai au 7 juin.
Avant sa venue à La Comédie de Genève au Parc de la Mairie de Vandoeuvres, dans le cadre de la programmation du Théâtre Am Stram Gram, du 9 au 18 mai.
Le pitch? Une jeune Cosima décide de quitter le sol pour les frondaisons, renouvelant ainsi le geste ancestral de révolte initié par son aïeul littéraire Cosimo chez Calvino.
Entre méditations philosophiques, éveil amoureux et découvertes politiques, son parcours suspendu nous invite à repenser notre rapport au vivant.
Fidèle à son goût pour les créations in situ, Mathias Brossard Brossard imagine une scénographie mobile et discrète, où les arbres deviennent non pas décor, mais partenaires de jeu.
Porté par une distribution alternée, un quatuor musical inventif et une attention minutieuse au respect de l’environnement naturel, Perchée fait du frottement entre réel et fiction le moteur d’une expérience collective.
À l'ombre des branches, le théâtre glisse doucement vers un manifeste: ouvrir des possibles, déplacer les regards, rêver d’autres manières d’habiter le monde.
Une fois encore, Mathias Brossard explore les territoires inexplorés du spectacle vivant avec poésie et engagement, poursuivant ainsi sa démarche sensible d'un théâtre déployé hors des sentiers battus.
Rencontre.
Qu’avez-vous retenu de la fable signée Italo Calvino, Le Baron perché, pour votre adaptation très libre?
Mathias Brossard: J’ai d’abord été touché par cette histoire qui tisse un lien fort avec la nature et l’environnement.
Le geste de Cosimo - devenu ici Cosima - qui, enfant, se rebelle contre l’autorité parentale pour aller vivre dans les arbres, transformant radicalement son rapport au monde, m’a profondément parlé. Ce roman est le deuxième volet de la trilogie Nos ancêtres, avec Le Vicomte pourfendu et Le Chevalier inexistant.
Le cadre naturel est effectivement central dans ce récit. Comme pour Platonov de Tchekhov, que j’ai mis en scène en forêt, avec ce Perchée, joué dans des parcs j’aime faire dialoguer les œuvres du passé avec les enjeux d’aujourd’hui.
Cette idée de prendre de la hauteur - au sens propre comme au figuré - entre en résonance avec les combats écologistes contemporains, notamment ceux menés par des militantes et militants perché e s dans les arbres pour protéger un site menacé.
Conçu sans électricité, avec une scénographie légère et respectueuse des arbres qui l’accueillent, le spectacle épouse son environnement et invite à un théâtre qui respire avec le monde.
La fable de Calvino rencontre les échos de l'écologie politique contemporaine, les luttes des ZAD et l'urgence de repenser nos modes de vie.
Les arbres sont essentiels à notre survie. Se hisser dans leur canopée devient alors un acte de résistance et d’alerte.
Mais Cosima, depuis là-haut, ne se coupe pas du monde: elle ne fuit pas dans une tour d’ivoire.
Bien au contraire, elle fait société depuis cette position singulière et un autre point de vue, entre ciel et terre.
En d’autres termes, sa position ne coupe pas de l’humanité. Elle ne nous condamne pas à vivre dans la marginalité, abandonné e de tous et de toutes.
Ce sont des dimensions éminemment politiques dans ce rapport à l’environnement, d’une part, et à la militance actuelle, de l’autre.
Perchée est un spectacle tout public, que nous partageons aussi avec des classes. Il nous tient à cœur de transmettre aux plus jeunes l’idée qu’une autre voie est possible.
Et cette voie, aussi radicale soit-elle - ne plus poser le pied au sol -, ne mène pas à l’isolement.
C’est mon troisième projet de théâtre hors les murs. Ce goût du dehors vient de mon enfance passée à jouer dans la campagne.
Platonov a été créé dans les forêts cévenoles, au cœur du village où j’ai grandi. Perchée a vu le jour en Lozère. Les parcs où nous jouons sont des espaces de friction entre nature et urbanité.
Ce spectacle ne cherche pas à faire la leçon, mais à éveiller, à travers une proposition joyeuse, d’autres façons d’être au monde - à l’image du geste simple et radical de Cosima.
Perchée se joue littéralement au pied et dans les branches d’un arbre. Dès le début, nous avons collaboré avec Xavier Dejoux, éducateur spécialisé en grimpe d’arbres.
Il veille à la sécurité du public et anime des ateliers de sensibilisation à la biodiversité, accessibles aux enfants, aux adultes et aux personnes en situation de handicap.
Son pari: que l’expérience physique de grimper puisse ouvrir à de nouvelles perceptions du vivant.
Nous sommes face à un groupe de quatre ami e s ayant lu avec passion le roman de l’écrivain italien paru en 1957.
Ces jeunes gens viennent nous le raconter. De fait certains épisodes nous replongent dans le récit se déroulant au 18e siècle peu après la Révolution française et l’épopée napoléonienne.
Au départ, une contrariété pas si absurde que cela. On a voulu faire manger un plat d’escargots* à Cosima (Cosimo Chez Calvino). Elle le refuse. Puis choisit de grimper dans un arbre pour ne plus jamais en descendre.
À un autre niveau, il y a cette interrogation sur la manière de raconter un roman forcément trop long et avec un trop grand nombre de personnages tandis que notre distribution ne compte qu’un quatuor d’interprètes. Dans le roman, son personnage principal passe d’arbre en arbre ce qui s’avère ici proprement impossible.
La militante écologiste américaine Julia Lorraine Hill a vécu en Californie pendant 738 jours (1997-1999) à 55 mètres de hauteur sur des plateformes artisanales dans la canopée d’un séquoia géant âgé de 1000 ans et appelé Luna.
Ceci sans remettre les pieds au sol. Elle a fait le récit de cette incroyable lutte dans son ouvrage, De sève et sang (The Legacy of Luna).
Menée dans des conditions météorologiques extrêmement difficiles et devant faire face au harcèlement et aux intimidations de bucherons et des hélicoptères visant à la déloger, son action victorieuse permis d’empêcher l’abattage de l’arbre par la Pacific Lumber Company dans le cadre d’une campagne de déforestation intensive. Elle a aussi permis de créer une zone protégée alentours.
La pièce mêle le récit de Cosima, une fille de douze ans, inspirée de Calvino au combat de Julia Lorraine Hill. Sans oublier les résistances des militant e s écologistes qui continuent leurs luttes aux quatre coins de la planète malgré souvent une répression croissante.
L’arbre de notre histoire s’appelle ainsi Luna constituant le cinquième personnage du spectacle.
Le roman de Calvino imagine d’ailleurs le désir politique de Cosimo à la fin de sa vie d’écrire les Constitutions d’une société idéale qui vivrait dans les arbres.
Perchée
Les 2, 3 mai, 4, 5, 6 et 7 juin à la Forêt (tout près) du Théâtre de Vidy
Tous publics, dès 9 ans
D'après Italo Calvino - Mathias Brossard, adaptation et mise en branche
Avec 4 interprètes en alternance: Diane Albasini, Alenka Chenuz, Cécile Goussard, Magali Heu, Arnaud Huguenin, Jean-Louis Johannides, Lara Khattabi, Jonas Lambelet, Loïc Le Manac’h, Chloë Lombard, Mélina Martin, Margot Van Hove
Informations et réservations:
https://vidy.ch/fr/evenement/perchee/
Autres représentations:
Les 9, 10, 11, 16, 17 et 18 mai au Parc de la Mairie de Vandœuvres, dans le cadre de la saison du Théâtre Am Stram Gram
https://amstramgram.ch/fr/programme/perchee
*Aujourd’hui certaines personnes végétariennes, végétaliennes, véganes ou non ne souhaitent guère manger en présence de convives consommant ce qu’elles peuvent appeler des animaux morts (poissons, crustacés, produits carnés...)
En effet, ces nourritures participent de la surpêche, la plupart des produits de la mer et d’élevage étant impacté par les microplastiques. Mais aussi de la souffrance animale et du fait que rien qu’en Europe 800 à 1000 millions de bétail et de 600 à 1000 millions de volailles sont brûlés annuellement sans nourrir personne (environ 2 milliards d’animaux au total), ndr.