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L’art des choix

Publié le 22.03.2022

Au CPO d’Ouchy, du 25 au 27 mars, se déploie en rires et chansons, un documentaire en théâtre improvisé roulant autour d’un festival fictif. Dans Backstage, tout s’invente et se performe, se vit sur le vif et meurt dans l’instant du jeu entre les interprètes de cette pièce à chaque soir renouvelée. Des chansons improvisées de groupes imaginaires accompagnent le mouvement de dévoilement des coulisses, ce hors champ de toute proposition festivalière.

 Le backstage ouvre sur des échanges tour à tour historiques et filandreux entre musicien.nes, tourneurs, afficionados et équipes pro et amatrices.

Après la Familiomédie Bricozicale Improrimée, formule mise en équations scéniques virtuoses et burlesques au CPO pour jeune public, la belle équipe de la Comédie Musicale Improvisée prend le pari d’un inventif opus mettant en coulisses le pouls d’un festival n’ayant jamais existé. Entrevue avec Odile Cantero, l’un des fleurons de l’impro déclinée au féminin en terre romande. Et au-delà.


A l’heure de l’improvisation, vous êtes dramaturge, metteuse en scène, scénographe, comédienne, chanteuse. Un côté histrionne, boule à facettes?

Odile Cantero: Ces facettes, je les vois moins comme s’enchaînant dans le temps. Plutôt combinées en permanence, je pense. En réalité, cela dépend fortement des phases d’explorations traversées. Ici la facette auteure venait à prendre le dessus au fil du spectacle. Là je me trouvais plus focalisée sur l’écriture. A d’autres occasions, c’est le côté interprète qui s’allume.

A mes yeux, ce dernier est forcément l’endroit le plus détendu, puisque c’est celui combinant le jeu dans plusieurs sens du terme, du théâtral au plateau à l’enfantin. L’essentiel est bien de rouvrir toutes ces facettes. Puis leur apprendre à collaborer pacifiquement tant elles ne sont pas forcément copines étant des pratiques et métiers différents. Elles doivent ainsi cohabiter dans nos têtes au même moment. Dans cet exercice de l’improvisation, le plus important est de parvenir à réaliser des choix à tous moments dans l’histoire qui se raconte, le jeu, les situations.



Vous êtes «tissée de fils d’enfance» selon l’heureuse expression de l’homme de théâtre d’ombres Jean-Pierre Lescot?

Sans doute. Il y a quelque chose de l’esprit et de l’état d’enfance à ressusciter et convoquer au cœur de l’improvisation. Petit.e en chambre, nous imaginions et visualisions des apparitions invisibles au monde adulte. Un jour, l’on vous dit que tout cela n’existe pas. Qu’il faut arrêter de jouer à. Et l’école nous apprend à colorier dans les marges et les lignes.

Grand théoricien de l’improvisation théâtrale dont il est le pionnier, Keith Johnstone évoque cette enfance domestiquée, étouffée, si ce n’est oubliée. Du coup, il nous faut réapprendre à faire confiance à son imaginaire. Précisément ce à quoi, adulte, nous sommes plutôt dissuadés.

Et pour la musique…

Le monde de l’enfance, ce sont aussi les chansons et la musique improvisées qui occupent une place importante dans le spectacle. Ceci grâce à la précieuse collaboration de Renaud Delay, inventif compositeur, multi-intrumentiste et comédien-chanteur.

Votre rapport au public dans la transmission d’une tradition orale?

Ce qui me touche le plus? Le fait que nombre des personnages, situations, chansons et répliques continuent à vivre dans la mémoire des gens, d’une représentation à l’autre. Cela alors que nous n’en gardons précisément aucune trace écrite. Vu que tout cela est voué à la disparition, le public est littéralement chargé de son souvenir. Et on peut se demander s’il ne souvient parfois pas mieux de choses aussi éphémères par nature. Il peut ainsi se dire: «Si j’oublie, personne ne pourra s’en souvenir.»





Que reste-t-il de l’enfant voire de l’"enfantôme" en vous?

La spontanéité. Même si j’ai en apparence une allure très maîtrisée et sous contrôle, l’enfant ne s’est jamais vraiment tu dans ma tête. Tout me bondit au visage. En permanence. Et sur scène, j’ai l’espace d’en faire quelque chose. Parfois hors des codes de la bienséance.

L’enfant expérimente de manière plus brutale et éphémère sentiments et émotions. Cela rejoint l’essence de l’improvisation qui est de papillonner ou plutôt d’une situation à l’autre. Mais aussi ne pas s’accrocher aux choses. Si l’enfant pleure lorsqu’on lui retire son jouet, on le voit l’instant suivant suivre, fasciné, une fourmi à terre.





Votre parcours…

Comédienne, je suis l’une des chevilles ouvrières de quatre compagnies en Suisse: La Comédie musicale improvisée, Lausanne-Impro, La Cie Prédüm et LesArts. J’œuvre aussi à Paris, au sein de Paris Impro. Avant cela, j’ai travaillé dans le domaine de la psychologie et de santé communautaire avec le projet Breaking the Silence! Son but? Réaliser des actions visant à améliorer la prise en charge des patient.es sourdes.

Puis, j’ai créé Viens voir (2016), le premier spectacle improvisé en langue des signes françaises, avec deux comédiennes sourdes, une interprète et un pianiste. En 2018, je fonde la Cie Prédüm. Qui signe un spectacle adressé aux enfants dès 5 ans, C’est tes affaires! joué avec Tiphanie Bovay-Klameth et Alain Borek à mes côtés au Petit Théâtre de Lausanne (2019). Le jeune public est invité à prendre un objet avec lui – jouet, doudou – et la création improvisée part de cet élément notamment. Inspirée notamment de l’univers des contes, la dramaturgie se créée alors sur le vif, mais elle doit être cohérente, pertinente, le public enfantin étant le plus exigeant qui soit.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Backstage
Du 25 au 27 mars au CPO, Lausanne

Odile Cantero, mise en scène
Avec Florence Annoni, Blaise Bersinger, Renaud Delay, Aude Gilliéron, Yvan Richardet, Lionel Perrinjaquet

Informations, réservations:
https://www.cpo-ouchy.ch/spectacles/backstage/