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Extinction dilution

Publié le 03.10.2023

Autour de la fin d’un monde, Extinction piscine est décliné en story Instagram, livre et performance scénique. Mon tout est l’œuvre du collectif genevois anthropie. Poétique, crépusculaire et épiphanique, le spectacle créé au Grütli de Genève - Centre de production et de diffusion des Arts vivants- est à voir à la Grange (Dorigny), les 13 et 14 octobre.

Voici une ample plongée dans les crises climatiques et la Grande Peste noire médiévale. L’arc narratif va en effet de l’ère glaciaire à nos jours. Il imagine une apocalypse faisant littéralement fondre une bande de jeunes qui doute en lisière de piscine, ce symbole d’un capitalisme fluide écocide si ce n'est génocidaire. Au plateau, l’œil détaille la noire surface granuleuse d’une forêt calcinée rendue sous forme de poudre de pneu. Bientôt, elle s’animera de fumerolles découvrant un champ de fouilles sur une terre calcinée.

Refusant toute forme de propriété, le collectif anthropie a opté pour la discrétion sur l’identité de ses membres. Face publique, on découvre une performeuse en cagoule cotte de mailles très fashion. Elle dialogue avec d’autres voix off. Sur fond d’éco-anxiété, les stories Instagram brassent large sur fond d’anthropocène et de solastalgie. Cette douleur et détresse psychologiques ressenties face à la nature remodelée et saccagée par le changement climatique et la pollution. L’opus se révèle sensoriel et plasticien par le choix judicieux d’image glitchs et décélérées de vacances insouciantes. En témoignent ces sauts au ralenti d’ados dans un lac depuis une falaise. Ils en deviennent coulures et déchirures, moirures et grotesque monstrueux de chaires masques inlassablement déformées. Comme la nostalgie d’un monde insouciant porté disparu.

Et ces mots façon memento mori apaisé: «attendre enfin en paix/la capitulation de la Terre et l’extinction-soleil / # ove». Bivouaque avec le collectif du bout-du-lac.



Sur l’approche open source de vos écrits?

Collectif anthropie: A l’image d’Extinction Piscine, tous nos textes* sont téléchargeables en libre accès. Ils sont librement réutilisables et modifiables par toutes et tous. C’est un geste de résistance à la notion de propriété, y compris artistique et intellectuelle. Après leur publication open, nos textes se déclinent en différents formes des livres publiés, mais aussi des vidéotextes sur Instagram ou des spectacles.

Sur Instagram, nous aimons expérimenter des formes qui brisent la linéarité du littéraire, ou déplacent sa réception. La mobilité médiatique des réseaux sociaux et leurs codes formels nous permettent de transformer nos textes pour produire des objets étranges et parfois critiques de leur propre support.



Votre parcours...

Notre premier projet (texte, vidéo et spectacle), Dio, centré sur le paradoxe d’une insurrection cyborg, fut présenté dans le cadre du Festival C’est Déjà Demain. Il a donné lieu à une version scénique traditionnelle tout en tournant également dans une variante «pirate», accueillie dans des appartements ou des caves. Dio a vu le jour durant la crise Covid dans une forme pouvant s’adapter aux différentes restrictions de rassemblement.

La seconde co-création du collectif s’intitule Nous sommes partout. Elle a été montée avec la compagnie Dream Come True (Yan Duyvendak) et Rémi Dufay**. Il ne s’agissait pas d’un texte signé anthropie, mais d’un travail éditorial sur un ouvrage collectif écrit par des militant.e.xs en Suisse romande, un portrait de notre siècle contestataire, dans notre terrain local. Il contient des témoignages d’activistes et des guides pratiques partageant des conseils et des récits d’expérience variés, mais tous liés au militantisme de terrain. La «performance», refusant toute appropriation artistique de ces paroles, proposait très simplement une lecture collective et autogestionnaire des textes avec le public.

Qu’explorez-vous dans Extinction piscine, réalisation multimédia et installation plasticienne?

Le spectacle enchâsse des scènes quotidiennes de retour de manifestation avec des récits historiques. Trois récits retracent des moments où les mutations climatiques ont engendré des mutations socio-politiques qui ont fragilisé l’ordre dominant. Par exemple, l’éruption du volcan islandais Laki qui a libéré 120 millions de tonnes de dioxyde de soufre dans l’atmosphère.

Cet événement climatique a eu des conséquences jusqu’en France. Il a favorisé des sécheresses et des hivers rudes. Certain.es éco-historien.nes estiment qu’il a participé à la famine qui fut l’un des déclencheurs de la Révolution française de 1789. Cet épisode historique est un exemple abordé dans Extinction Piscine.





Mais encore...

Extinction Piscine reste un objet esthétique et politique qui n’a pas la prétention de transmettre une information scientifique, historique et sociale relative aux dérèglements climatiques. Ce n’est qu’un aspect du texte, qui parle surtout de la séquence historique paradoxale dans laquelle se trouve notre génération en Occident: se préparer à l’extinction dans un capitalisme toujours plus liquide, un monde toujours plus irréel et marchandisé.

Vous abordez aussi la colère comme forme d’énergie et de résistance...

Cette colère, que nous essayons de ne pas laisser exploser frontalement, pour que le public en ait la charge, est un liant pour les jeunes générations aujourd’hui. Elle se manifeste tous les jours par une protestation et une exaspération face à un monde qui court à sa perte. Elle peut être liée à une douleur, à la perte d’un environnement qui s’effondre et voit sa biodiversité s’effacer.

Il n’y a pas d’espoir sans colère. Mais cela ne signifie pas que l’humour est absent du texte. Extinction Piscine aborde à cet égard des paradoxes sur la santé et la pollution urbaine avec un certain humour: «on comprend/qu’on trainera encore longtemps/dans nos villes de smog/où le concept de non-fumeur/est devenu une abstraction rassurante»

Il existe aussi un autre aspect.

Le récit évoque aussi la dépression. Il n’y a pas non plus d’espoir sans dépression. L’espoir ne peut naitre que dans la confrontation au vortex contemporain d’impuissance et d’angoisse.

La performance évoque ces paradoxes, et fait le choix de traiter ces affects à travers des personnages militants, puisque c’est dans cette position que nous les vivons personnellement.





A propos des vidéos projetées sur grand écran en fond de scène.

Ces vidéos ont été pensées à plusieurs niveaux. Il s’agit d’abord d’images d’archives familiales liées aux vacances ou aux loisirs, au fil du XXe siècle occidental. Dans la fiction du spectacle, l’un des personnages regarde en boucle ces archives, jusqu’à s’y perdre.

Sur scène, l’espace cherche à favoriser les hyperboles qui permettent d’exagérer une idée, une réalité, un sentiment pour refléter la forte impression visuelle et émotionnelle présente dans l’esprit du personnage, le tu, auquel la performeuse s’adresse en permanence. La dépression ambiante sature l’appartement jusqu’à devenir une forêt calcinée. Tout est augmenté jusqu’à la démesure dans ce moment de bascule vers l’effondrement.

Existe-t-il un ordre pour ces images?

Oui. Ces vidéos projetées suivent un déroulé chronologique, des années 40 aux selfies sur Instagram. Nous avons essayé de faire ressentir l’inexorabilité du temps qui passe, sans rien enlever à la candeur des êtres qui naissent et meurent à l’écran. Nous voulions que ces films affectent une tendresse sincère et bien réelle, pour contraster avec un texte parfois violent.

C’est cette tendresse qui est mise à l’épreuve jusqu’au malaise par des images mouvantes déformées, maltraitées. Nous utilisons beaucoup le glitch qui brouille la définition de l’image projetée. Elles sont à la fois hyper-ralenties et détruites dans leur code, pixellisées jusqu’à l’illisibilité. Reste à savoir si, illisibles, elles peuvent encore susciter des émotions. C’est au public d’en décider.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Extinction piscine
Les 13 et 14 octobre à La Grange - Centre / Arts et Sciences / UNIL
dans le cadre du festival Fictions Futures, Demains Réels

Collectif anthropie, conception (texte, vidéo, musique et jeu) - anthropie X Philomène Le Baron, scénographie. - Justin Gaudry, collaboration audiovisuelle

Informations, réservations:
https://www.grange-unil.ch/evenement/extinction-piscine/



 *Ils sont publiés aux éditions Abrüpt (Zurich).

**Metteur en scène, performeur et cinéaste, Rémi Dufay déploie son travail entre arts visuels, vidéo et recherche. La compagnie Dream Come True, fondée par Yan Duyvendak, produit depuis plus de dix ans des spectacles qui questionnent les limites du théâtre. Muni d’un glossaire, l’ouvrage de 649 pages, Nous sommes partout, contient de nombreux témoignages sur les formes de résistance contemporaines. Il est téléchargeable sur: https://www.antilivre.org/nous-sommes-partout/nous-sommes-partout.pdf.