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Une large palette des arts vivants

Publié le 15.10.2020

 

Pour leur ultime saison à la barre de la Grange de Dorigny, Marika Buffat et Dominique Hauser ont résolument déconfiné imaginaires et formes scéniques. Ceci au fil d’un éclectisme qui fait honneur aux arts vivants dans leur arborescente diversité. Que l’on songe à la très attendue création du Balcon de Jean Genet, pulvérisant tendrement les rôles sociaux attendus entre réel et fantasmagorie, par la Compagnie Un Air de Rien fêtant ses 20 ans (Le Balcon ou la maison des illusions). Mais aussi au récit tragique d’une souveraine pré-féministe et autoritaire dans un univers inspiré du thriller noir et du théâtre de figures (Christine la reine garçon).

Coups de cœur pour un théâtre qui fait la part belle au texte. Qu’il captive au fil d’une fable sur la gémellité comme exercice de survie dans un solo hors norme et magnifiquement dépouillé (Le Grand Cahier), qu'il piste le bonheur dans une pièce chorale alliant conversation philosophique et farce satyrique (Danse «Delhi»). La vie amoureuse en forêt amazonienne, elle, est bouleversée par l’autoroute Ayrton Senna dans un texte inédit (Formula 1) de la journaliste et dramaturge italienne multiprimée Lina Prosa. Rencontre avec deux sourcières hors pair d’émotions théâtrales.

 

Quel est l’esprit de cette saison particulière?

Marika Buffat et Dominique Hauser: Elle est marquée notamment de l’envie de convier des artistes qui nous ont accompagnées pendant ces deux décennies de codirection et dont le travail est fort apprécié. Valentin Rossier a présenté à La Grange de Dorigny bon nombre des spectacles montés au sein de la Helvetic Shakespeare Company. Depuis vingt ans, il fait partie des fidèles de la Grange. Nous tenions donc à l’inviter pour cette dernière saison composée à quatre mains. Nous avions programmé Lisbeths créé la saison passée au Grütli, sur une partition de Fabrice Melquiot, avec l’excellente Marie Druc et Valentin Rossier. Mais en cette période de grande incertitude et d’adaptation rapide aux imprévus, nous avons dû remplacer Lisbeths par Le grand Cahier d’après le roman de Agota Kristof, que nous nous réjouissons de découvrir la semaine prochaine, en ouverture de la saison 20-21.
Ainsi aussi la présence de Sandra Gaudin et sa création de la pièce Le Balcon ou la maison des illusions d’après Jean Genet. La Grange de Dorigny avait accueilli la mise en scène par Sandra Gaudin de J’ai l’impression qu’André est mort dans les toilettes de la Compagnie Un Air de Rien. Et plus récemment le très beau Sallinger de Bernard-Marie Koltès. Avec spontanéité, enthousiasme énergique, une atmosphère influencée par le cinéma et un questionnement oscillant entre fiction et réalité. La partition signée Genet parle de notre aujourd’hui, la révolution qui gronde, l’illusion au théâtre. La metteuse en scène et comédienne annonce un spectacle baroque et explosif.

 

 

Votre vision d’une pièce historique, Christine la reine garçon.

Entre l’ambiance baroque et la thématique qui va au-delà du genre, le destin de Christine, Reine de Suède a déjà beaucoup séduit les publics scolaires, ici universitaires. La souveraine avait la réputation de n’observer aucune règle, se fichant éperdument des codes auxquels son sexe était soumis (elle mettait les pieds sur la table, ndr). Elle prouve aux adolescentes de maintenant que certaines femmes - ici de pouvoir - n’ont pas attendu les mouvements d’émancipation féministe du siècle dernier pour ne plus faire uniquement des gosses et la popote à leur compagnon.

 

Et sur le personnage de la Souveraine.

Très fine, Christine était parfaitement consciente qu’au 17e s. les femmes étaient maintenues dans l’ignorance, quitte à les mépriser. Etonnante, elle est décrite comme habillée «un je ne sais quoi moitié homme et moitié femme». La question du vêtement est essentielle, ce qu’a bien relayé Sandra Amodio dans sa mise en scène et sa scénographie convaincantes. Elle s’habille donc comme elle veut et éduque son peuple à une échelle rarement vue. Reconnaissons que la tyrannie de la dame est ici un peu gommée. Ce qui est mis en avant, c’est plutôt une femme qui se sent libre et veut l’affirmer en tant que Reine.

 

 

Autre figure de pouvoir au cœur de l’histoire, Marie Stuart.

L’histoire dramatique de la vaillante reine Marie d’Ecosse dans son affrontement à couteaux tirés avec Elisabeth 1ère d’Angleterre. A partir de leur conflit, Schiller a conçu une épopée merveilleuse et violente. Montée par Jérôme Junod, la pièce en création révèle les mécanismes du pouvoir et place l'humain au cœur des enjeux politiques. Il est heureux de pouvoir présenter plusieurs reines avec des destinées et combats féminins forts. Peut-être ces femmes devaient-elles se montrer encore plus tyranniques pour s’affirmer à l’époque?

 

Laterna Magica dessine un saisissant portrait du démiurge cinéma suédois Ingmar Bergman.

Aux côtés de Delphine Lanza, Dorian Rossel, un enfant de la région né à Ecublens et qui, avec sa compagnie Super Trop Top, assurait des tournées dignes d’un groupe de rock, est à la mise en scène de ce qui est une sorte d’autobiographie de Bergman débutant avec les souvenirs et les troubles dès son plus jeune âge.
Douleur et jubilation de vivre s’y mêlent au cœur d’un univers onirique, évanescent. Porté avec simplicité et justesse par la révélation, Fabien Coquil, Bergman est ici un personnage clownesque à la Woody Allen dans ses rapports à sa mère et aux femmes. De la même manière, Bergman a fait de sa vie un récit au cinéma avec un fond psychanalytique qui se révèle passionnant autour de l’âme de la création.

 

 

Le Russe Ivan Viripaev signe Danse «Delhi», dont s’empare le metteur en scène Cédric Dorier.

C’est la première fois que cet auteur est monté dans notre région. La pièce ouvre sur une danse de la vie croisant la thématique de la mort. Elle est étrange, hypnotique, pleine de cocasserie et de surprises. Bien que programmée avant la pandémie, l’œuvre entre en résonance avec notre peur de la mort. Ne vient-on pas à nier l’existence en évoluant sous la hantise permanente de sa fin? Ivan Viripaev a une manière légère, flottante d’évoquer ces questions essentielles. Grand directeur d’acteurs-trices, Cédric Dorier, lui, met tout en œuvre pour les mettre en valeur et les rendre heureux au plateau.

 

«Diversité, c’est ma devise», disait Lafontaine. La vôtre aussi comme programmatrices.

Assurément. Les spectacles choisis témoignent du fait que c’est la ligne éclectique, celle de la diversité qui nous a toujours intéressées. Nous n’aimons ainsi guère les chapelles artistiques. Et cela paye, tant nous avons trouvé un public curieux, confiant, qui nous suit au fil des saisons. Nous dialoguons aussi beaucoup avec lui, La Grange étant un lieu convivial par nature et désir.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

 

La Grange de Dorigny

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