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Un huis clos magistral signé par un jeune Mozart

Publié le 07.02.2025

Peu représenté, Mitridate, de Mozart, sera à l’affiche de l’Opéra de Lausanne à partir du 23 février au 2 mars, dans une nouvelle mise en scène signée Emmanuelle Bastet.

À seulement 14 ans, Mozart compose l’opéra Mitridate< d’après une pièce du tragédien français Racine. L’intrigue suit les relations familiales - avec toutes leurs complexités - entre le Roi de Ponte en fin de règne et ses fils.

Jalousie, rivalité, loyauté... le livret explore un large éventail d’états d’esprit.

Après des études littéraires, Emmanuelle Bastet se tourne vers la mise en scène et se spécialise rapidement vers l’opéra, genre qu’elle ne quittera plus par la suite.

Sa carrière l'amène à travailler pour les plus grandes maisons d’opéra, de la Scala de Milan au Teatro Real de Madrid, en passant par le Grand Théâtre de Genève, l’Opéra de Paris ou l’Opéra de Bordeaux.

À l’occasion de cette nouvelle production, la metteure en scène se livre sur les coulisses de son travail.



Votre mise en scène de Mitridate suit-elle un fil rouge?

L’intrigue de l’œuvre est très complexe et intéressante, entre la thématique de circulation du désir, les problématiques d’amoureux éconduits...

Mitridate est un roi tyrannique dont les deux fils sont amoureux de la même femme. Le texte explore une rivalité père/fils, une jalousie entre frères. Toutes ces relations sont complexes.

Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant le côté militaire qui a été mis en avant dans les dernières mises en scène de l’œuvre, mais plutôt le huis clos familial et les relations toxiques dans cette famille explosée.

Je voulais explorer l’universalité de sentiments, ce qui est très mozartien à mon sens ; c’est le fil rouge dans cette mise en scène. L’aspect militaire a été évoqué, évidemment, mais il constitue un second plan.



Comment la scénographie s’intègre-t-elle dans cette complexité?

Nous voulions explorer la manière dont les amours contrariés pouvaient inciter des êtres à se comporter de manière irrationnelle, à tutoyer la folie.

Notre souhait était d’avoir un espace qui ne soit pas du tout concret, qui traduise le mental, l’état d’esprit. C’est un décor unique à transformations multiples, des labyrinthes d’escaliers qui bougent sans cesse et dans lesquels les personnages sont pris, enfermés, s’échappent…

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’idée des miroirs, des transparences, des rideaux d’eau.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait la réussite d’une mise en scène?

Il n’y a pas de recette.

C’est difficile de savoir à l’avance si le public va être réceptif et si nos choix étaient les bons. C’est souvent au dernier moment que nous nous rendons compte si le résultat correspond à nos attentes, si le projet nous a échappé, si nous n’avons pas été au bout de nos envies.

Mais forcément, un processus de création est une série de petits deuils, de renoncements par rapport aux espérances du départ.

C’est complètement normal : la confrontation au réel nous oblige à abandonner des choses auxquelles nous croyions. À titre personnel, je pense que la satisfaction d’un projet vient de l’impression que le résultat est fidèle à l’idée initiale.

Pour le public ou pour un directeur d’opéra, la réussite peut parfois nous échapper. En tout cas, nous n’avons aucune garantie que tout marche comme souhaité. Malgré tout, la beauté et l’intérêt d’une scénographie sont déjà perceptibles pendant les répétitions.

Si un décor est porteur, s’il nous donne des élans, l’envie d’intégrer les personnages dans ces espaces et ces architectures, ce sont déjà des signes que nous sommes sur le bon chemin.





Vous travaillez sur place avec les chanteurs quelques semaines avant le début de la production, mais quand commence le travail de metteur en scène?

Le travail de metteur en scène se fait en deux étapes : la partie de conception débute deux ans avant, lorsque le projet nous est proposé. Avec l’équipe de scénographie et de lumières, nous commençons à décider de l’orientation de nos propositions, des choix esthétiques et dramaturgiques. La partie de mise en scène à proprement parler et de direction d’acteurs commence vraiment cinq à six semaines avant la première.

À quel moment de ces deux années de travail le projet se fixe-t-il?

Nous travaillons régulièrement sur une année, car au bout d’un an, nous présentons notre projet à la direction de l’Opéra, incluant la trame dramaturgique, les éléments de scénographie, de costumes et de lumières. Il faut ensuite laisser le temps aux ateliers de fabriquer les décors et les costumes dans l’année précédant la production.

D’ailleurs, c’est une grande étape pour l’Opéra de Lausanne: avec ce projet, l’Opéra a inauguré un nouvel atelier de décor qui n’existait pas auparavant. Les directeurs technique et artistique ont voulu avoir leurs propres ateliers.





Quelle est la part d’improvisation dans votre travail?

Tous les metteurs en scène travaillent très différemment. Certains aiment tout fixer très à l’avance, presque de manière chorégraphiée.

Pour ma part, j’ai une idée assez précise, mais je ne veux pas figer les choses, afin laisser une part de création sur le moment. Pour moi, la spontanéité est essentielle pour travailler avec les chanteurs.

Nous avons des discussions au sujet de la psychologie des personnages et pour cela, j’aime aussi créer du sur-mesure, m’adapter à chacun des artistes. Ensuite, le travail en plateau est la première occasion d’utiliser les décors ; c’est un élément à prendre en compte et qui nécessite un peu de flexibilité. 


Qu’est-ce qui vous a motivée à vous spécialiser dans la mise en scène d’opéra ?

Ma famille était mélomane, j’écoutais beaucoup de musique, mais je ne pratiquais pas d’instrument. La musique était un plaisir et, n’ayant pas pratiqué, je ne pensais pas forcément pouvoir travailler dans cette forme artistique.

Le hasard m’a permis de rencontrer un metteur en scène qui m’a ouvert les portes de l’opéra. J’ai ensuite fait des stages et rencontré Robert Carsen que j’ai assisté pendant 15 ans.

Mettre les pieds sur un plateau pour saisir toute la dimension de cette forme artistique est la meilleure manière de connaître le métier. Aujourd’hui, j’aurais du mal à travailler sans ce qu’apporte l’émotion de la musique, elle est essentielle.


Travailler avec le texte et la musique, n’est-ce pas une double contrainte pour vous?

Pour quelqu’un qui est habitué à construire une mise en scène de théâtre, la musique pourrait être une contrainte. Au théâtre, il faut inventer la « musique » d’une pièce, les silences...

Dans l’opéra, la musique est déjà là, mais pour moi, c’est une source d’inspiration. La musique traduit le texte mais parfois, elle en dit plus ou moins; nous naviguons entre ce que disent le texte et la musique.

C’est un va-et-vient entre la réflexion et l’émotion, et c’est ce qui est passionnant à l’opéra.

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Mitridate

Du 23 février au 2 mars 2025 à l'Opéra de Lausanne

Opéra de Moztart, d'après Racine
Andreas Spering, direction - Emmanuelle Bastet, mise en scène

Avec Paolo Fanale, Lauranne Oliva, Athanasia Zöhrer, Sonja Runje, Aitana Sanz, Remy Burnens, Nicolò Balducci

Orchestre de Chambre de Lausanne

Informations, réservations:
https://www.opera-lausanne.ch/show/mitridate/

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