Social Tw. Fb.
Article

Ulysse, lutte aux Enfers

Publié le 22.10.2022

Le guerrier globe-trotter mythique est à nouveau dans sa cité natale, Ithaque. Après une poignée d’années, il décide de plonger dans les Enfers pour méditer et y voir clair sur le devenir d’Ithaque. Tendu de murmures et souffle, cet ultime chant imaginaire et poétique écrit par Jean-Pierre Siméon est à l’enseigne du Théâtre 2.21, Lausanne, du 25 octobre au 13 novembre (Odyssée, dernier chant).

Epuisé et rampant, le héros est accompagné par un contrôleur d’âmes. Ulysse dialogue notamment avec une ombre, une femme. Dans cette comédie grinçante philosophique, elle fait lien entre le monde des trépassés et celui des vivants. La fable en devient une leçon d’humilité et de sagesse pour le maître d’Ithaque. Pourra-t-il ajuster l'équilibre dans l'arc de sa vie tendu entre le danger permanent des aventures et épreuves et la tranquillité réflexive de la vie quotidienne?

Abordée comme dans un corps à corps, la langue du dramaturge et poète est sensuelle et lyrique, organique et crue. Eruptive et épique. Pour dire le désarroi de ce vétéran de tous les combats vitaux devenu étranger à une société pacifiée. Par un funeste tour du destin, Ulysse a bu l’eau du fleuve des morts. Maintenant qu’a sonnée l’heure du trépas, le mâle grelotte immobile et blêmit alors qu’il n’est bientôt plus dans la vie et les draps de sa Pénélope. Se ressourcer aux murmures des fontaines, plus tard, plus loin, peut-être… Rencontre avec le metteur en scène, Cédric Dorier.



Quels sont les éléments qui vous ont attiré dans cette pièce?

Cédric Dorier: J’ai été subjugué tant par la musicalité de la langue de l’auteur que sa revisitation du mythe entourant un personnage héroïque. Cette relecture de L’Odyssée est réalisée avec une grande justesse psychologique et acuité. Jean-Pierre Siméon parvient à mêler le tragique, le burlesque, la poésie et le trivial des choses du quotidien. C’est ce contraste entre ces genres dans une langue colorée qui me plait ici le plus.

Mais aussi ces grandes figures mythiques antiques qui nous apprennent beaucoup de notre époque. Que l’on songe aux réécritures de Philoctète, Ajax, Déjanire, Electre et Antigone faites par cet écrivain français. C’est une manière de raconter une suite aux périples et aventures d’Ulysse après les années de guerre et d’errance.



Le texte vous a aussi séduit par sa capacité à interroger certaines réalités.

Oui. Il nous parle de la place du héros dans la société. Et plus universellement, qu’est-ce qu’un être humain? Qu’en est-il de la relation amoureuse? Est-ce l’essence de la vie? Par ailleurs, la masculinité voire le machisme sont mis en question et crise dans la pièce. Ce faisant, l’écrivain révèle la complexité et les paradoxes d’Ulysse

Des résonnances féministes sont perceptibles dans le personnage de l’Ombre faisant lien entre vivants et morts. Qui va surtout confronter Ulysse et le révéler à lui-même et l’essence de la vie. Ce dernier va prendre une sacrée leçon d’humilité dans cet ultime périple infernal. Il réalise à quel point le pouvoir, la gloire, l’agitation des armes – tout ce qui faisait d’Ulysse le personnage que nous connaissons – n’est pas l’essentiel. L’essentiel? Pouvoir vivre, marcher, (re)connaître le souffle qui nous traverse. Il s’agit d’une compréhension plus subtile de son être, de l’Autre et partant du monde.

Qu’est-ce qui vous a encore intéressé dans ce texte?

Il est évident que la pièce résonne avec l’époque présente. Que ce soit dans ses figures archétypales mises en scène ou sa langue quasi slammée. Rappelons que le but d’Ulysse en se rendant aux Enfers était de trouver le devin Tirésias pur l’interroger sur son avenir politique, d’une part et amoureux avec Pénélope, de l’autre. La langue poétique de l’auteur permet d’évoquer la bombe atomique, le incendies, les virus, les réfugiés, les guerres et les migrants. Cela résonne avec la notion de démesure (l'hybris, ou hubris) propre à la tragédie humaine afin de nous avertir des conséquences désastreuses pour l’avenir de notre monde.





Qu’apporte Jean-Pierre Siméon face au récit d’Homère?

Il s’agit d’un épisode inventé, qui est simplement suggéré à la fin de L’Odyssée d’Homère. De retour de ses voyages et rencontres avec les Nymphes, Monstres et Déesses notamment et avoir tué tous ses rivaux, Ulysse, après quelques années à Ithaque, sombre dans l’ennui d’une vie jugée morne car rien n’y advient. Le héros n’est alors plus confronté à la ruse et aux activités physiques liée à la guerre.

Face à d’importants questionnements philosophiques, Ulysse décide de descendre au Enfers pour interroger le devin Tirésias et s’enquérir auprès de lui sur la fidélité et l’amour de Pénélope. Désormais sédentaire, il ne trouve plus de sens à sa vie qui le définissait comme un héros. Ce voyage dans l’Hadès sera pour Ulysse une grande leçon d’humilité l’amenant à comprendre l’essence de la vie dans une prise de conscience spirituelle.

Il est confronté à une Ombre.

Cette Ombre lucide (le Chœur) met Ulysse devant ses paradoxes et défauts. Elle peut se révéler à la fois séductrice, manipulatrice, maternelle ou conseillère. Ce que j’ai cherché à réaliser? Mettre en scène les ambivalences et paradoxes humains que la pièce soulève.

Ne sommes-nous pas autre à chaque nouvelle rencontre? Ulysse passe ainsi d’un personnage imbu de sa personne à être sensible. Retombera-t-il dans ses travers lorsqu’il remontera dans le monde des vivants? La question reste ouverte.





Comme avez-vous abordé l’Ombre dans sa mise en jeu?

Dans un rapport physique et reptilien afin de créer une différence entre Ulysse et elle. Il en va de même d’un autre personnage de l’Enfer, Euméos (le douanier des âmes et le faux Tirésias selon la didascalie de l’auteur). Cette Ombre a été voulue féminine. Elle et est incarnée par la comédienne aux lignes de corps élancées, Clémence Mermet.

La grâce innée de ses mouvements rend cette femme serpent éminemment chorégraphique aux côtés de Denis Lavalou (Euméos) et Raphaël Vachoux (Ulysse). Dans le ton de sa voix, elle travaille tant sur le murmure, le souffle que l’autorité et la violence lorsqu’elle remet à l’ordre Ulysse ou Euméos.

Comment se présente la scénographie?

Travaillant sur un récit mythologique, il fallait une geste scénographique fort qui fasse sens et impression. Ceci sous la forme d’un décor oscillant entre une matière vivante cuivrée et le noir. Nous sommes partis d’une forme d’égout tant Ulysse est tombé d’un fleuve et a rejoint un cercle des Enfers, possiblement celui de l’orgueil. Grâce à la lumière, le plateau passe de sensations chaudes, brûlantes, jouant de reflets multiples, au sombre et au froid.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Odyssée, dernier chant
Du 25 octobre au 13 novembre au Théâtre 2.21, Lausanne

Jean-Pierre Simémon, texte
Cédric Dorier,mise en scène
Avec Denis Lavalou, Clémence Mermet, Raphaël Vachoux
Cie Les Célébrants

Informations, réservations:
https://www.theatre221.ch/spectacle/483/odyssée-dernier-chant