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Tissage dansé

Publié le 19.04.2022

Imaginée par Rafaële Giovanola, RUNthrough («filage») s’origine dans divers laboratoires de mouvements et présences scéniques. La création est à découvrir au Théâtre du Crochetan les 7 et 8 mai. Comment une œuvre chorégraphique voit-elle le jour? Par tissage et métissage revendiqués comme processus de travail pour cette création imaginée dans le cadre du Festival Steps rayonnant dans les trois régions linguistiques de la Suisse.Les membres de le Compagnie CocoonDance co-fondée en 2000 par Rafaële Giovanola, qui a dansé chez le grand maître américain de la déconstruction, Willam Forysthe, ont ainsi rencontré des interprètes d’une association folklorique serbe à Baden. Celle-ci est composée de 120 participant.es dont les étages vont de 4 à 70 ans. Ils ont aussi réalisé un séjour auprès de troupe historique zurichoise Theater Hora regroupant des «personnes à handicap mental» et ayant œuvré avec le chorégraphe français Jérôme Bel et le metteur en scène bernois Milo Rau.
Sans oublier le voguing et des artistes hip-hop en binôme, Kamau and The Wolf lors de résidences. RUNthrough compose in fine une ode à la recherche collaborative et participative. Elle se déploie entre danse, chant et musique. Retours sur une pièce qui se décline comme une hybridation de styles et alphabets dansés avec sa chorégraphe, Rafaële Giovanola.


Quels sont les défis de cette création?

Rafaële Giovanola: Le choix des quatre formes chorégraphiques (rap, folklore, danse théâtre et voguing) s’est déroulé plutôt de manière aléatoire. C’est un enjeu ardu et vrai défi dramaturgique de traduire la diversité chorégraphique croisée et étudiée lors du processus de création de la pièce. La réalisation met en lumière tant les rythmes internes et visibles de danses refigurées que les sons mêmes qui émanent des corps dansants.

Le pari est que ce foisonnement dansé doit apparaître continument, participant d’une pulsion commune comme dans le folklore serbe.



Et pour la colonne sonore?

Pour le spectacle, un musicien compositeur, Franco Mento, joue live et improvise, pour partie, son set grâce à des sons organiques et des groove transe. J’ai déjà collaboré avec lui pour la musique de Momentum (2016), pièce pour trois danseurs basée sur l’impulsion, l’élan et l’épuisement. Dans le même esprit que la danse de RUNthrough, la musique est une forme de morphing. Il va butiner dans tous les styles, s’inspirant d’une large palette de sources au gré d’un dialogue constant avec les danseurs et danseuses.

Etant placé parmi le public afin que ce dernier baigne dans le son et se sente impliqué, Franco Mento s’inscrit dans un geste festif ouvrant à la danse et au mouvement dans une période Coronavirus particulièrement contraignante et difficile.

Comment abordez-vous le va-et-vient entre sources chorégraphiques et votre création?

Par le passé, j’ai créé Hybridity, fruit d’une rencontre entre la boxe thaï et le ballet romantique. Pour RUNthrough, il s’agit toujours de laisser entrevoir l’influence dansée originelle (voguing, krump, hip-hop…). Mais ceci en s’efforçant de la déstructurer et de la métamorphoser. En témoigne l’approche du folklore serbe. La question essentielle est ici de savoir jusqu’où laisser entrevoir la source dansée initiale et à quel point elle est décomposée dans la chorégraphie finale.

Au cœur de notre travail, il s’agit essentiellement de la quête d’un corps impensé. C’est une anatomie qui n’existait pas à l’orée de la création et que l’on découvre en compagnie de danseurs et danseuses pendant celle-ci. Elle s’exprime ensuite progressivement au gré du processus créatif. Ainsi par des tâches (ou tasks) à effectuer en scène.





Sur les tasks…

Ces règles de jeu sont improvisées. Mais elles sont animées d’une grande rigueur. Ce dispositif est souvent bien plus exigeant qu’une chorégraphie entièrement écrite. Il implique un haut degré d’écoute entre les interprètes. Qui sont amenés à régir instantanément sur le moment.

Parmi les tasks, on relève le fait d’avoir le bras ou la tête complètement isolés du reste du corps semblant bloqué. Une attitude que j’ai découverte en fréquentant les membres du Theater Hora. Que se passe-t-il lorsque l’on fige une partie de l’anatomie, devenant semblable à une pierre, tandis que les bras restent d’une grande fluidité. D’où la création d’une physicalité ou gestualité inédite et intéressante.

Qu’apporte le voguing au plan des présences corporelles?

Pour mémoire, historiquement apparu dans les clubs des communautés LGBT afro-américaines, le "voguing" est un mouvement identitaire, artistique et culturel en réaction au racisme blanc. Au plateau, il affirme pour l’interprète la réalité d’être simplement là tel qu’il.elle est.

Evoluant sur une musique synthétique et heurtée, cette danse se révèle fortement magnétique dans tout ce qu’elle développe relativement aux mouvements des hanches et mains notamment.





Mais encore…

Très stylisée, la forme est intéressante lorsque le groupe soutient l’un.e des leurs lors d’un solo. Pour cette expression chorégraphique, il faut prendre garde à ne pas tomber dans l'appropriationisme, car les danseurs de voguing que nous avons rencontrés sont attentifs au fait que l’on ne copie pas tel quel ce qui constitue leur identité profonde (né dans les années 70 aux Etats-Unis, l'appropriationisme est un mouvement artistique appelant à utiliser des formes artistiques préexistantes tout en questionnant des enjeux liés à l'originalité et l'authenticité, ndr).


Mais l’on peut prendre leurs énergies, ne serait-ce qu’en partant du bassin et des hanches. Qui ont cette qualité de nous amener dans des mouvements et gestuels passionnants.

Quel fut donc l’apport du Theater Hora?

La découverte de l’inattendu, le règne du non codifié qui est apparu dans la danse à travers la rencontre avec le travail du Theater Hora. Une forme incroyable de liberté est présente dans ces personnes semblant faire ce qu’ils.elles veulent. Même si je demeure certaine que cette compagnie possède des codes qui lui sont spécifiques. Ils nous sont simplement indéchiffrables ou inconnus.

L’expression corporelle du Theater Hora se situe à l’exact opposé de la danse traditionnelle serbe et du voguing, où pas et gestes sont strictement comptés, définis et ciselés. Cette tension entre le très codifié et l’inconnu insaisissable s’est révélée féconde pour le processus de création.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


RUNthrough, de Rafaële Giovanola
Cie CocoonDance

Le spectacle est à découvrir dans le cadre du Festival Steps.

Les 7 et 8 mai au Théâtre du Crochetan, Monthey
Informations, réservations:
http://www.crochetan.ch/event/steps-runthrough/

Le 19 mai au Théâtre de Beausobre, Morges
Informations, réservations:
https://beausobre.ch/spectacle/cie-cocoon-dance/


www.steps.ch

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