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Terres du ciel

Publié le 01.10.2022

Volé au ciel, Saint-Exupéry, est une forme originale de biopic impressionniste. Stéphane Albelda en signe le texte et la mise en scène à découvrir au Pulloff Théâtre du 4 au 14 octobre. La morale de Saint-Exupéry est celle de l’exigence, prendre de la hauteur face à une époque décadente et en chute libre entre totalitarismes et guerres, consumérisme et robotisation du vivant. L’auteur humaniste de Terre des Hommes et Vol de Nuit a comme seules boussoles, l’imaginaire, le rêve, la poésie, la solitude et la fraternité humaine qui se révèlent aussi cartes du ciel et territoires d’écritures.

Entre chansons d’inspiration brechtienne, scènes burlesques et atmosphère dramatico-poétique, trois comédien.nes endossent treize rôles. Pour nous dire que l’auteur du poignant et métaphysique Petit Prince reste toujours adossé à ses impressions d’enfance que l’on retrouve dans toutes ses œuvres. Au journal tv, on apprend la disparition de Saint-Exupéry en ce 30 juillet 1944 au large de la Corse.

La pièce embraye toutefois d’abord sur une expérience marquante. Le futur aviateur écrivain passe secrètement son baptême de l’air, à Ambérieu-en-Bugey. Voler deviendra l’arc d’une vie. Écrire en découlera. Chez ce solitaire humaniste jamais aussi proche de ce qui lui est cher que dans le désert, le message touche simultanément à l’universel et à l’émotion la plus intime que nous pouvons ressentir. Rencontre avec le dramaturge et metteur en scène Stéphane Albelda.


Comment est né ce spectacle?

Stéphane Albelda: A l’instar d’une autre création en 2018 sur Van Gogh (Van Gogh si près de la nuit), ce qui m’intéresse ici est la part d’énigme entourant une figure légendaire. Pour le peintre, c’est le mystère de cette nuit à Arles avec l’oreille coupée. Ou le suicide potentiel. De fait, il existe toujours des lacunes dans l’histoire d’un homme.

Ce qui m’intéresse? Travailler des objets théâtraux interrogeant une figure mythique à travers plusieurs regards. S’il ne s’agit pas de produire un témoignage historique, il existe des codes théâtraux affirmés sur scène. Pour Saint-Exupéry, l’impulsion première pour l’écriture fut le reportage montrant un pilote allemand, Horst Rippert, reconnaissant à 88 ans avoir abattu l’avion de l’écrivain dont il admirait l’œuvre – aucune preuve n’a étayé à ce jour cette version, ndr. Il disait en substance: «Si j’avais su que c’était Saint-Exupéry, je n’aurais pas tiré car c’est lui qui m’a donné envie de voler.» Voici une ironie tragique dans le ciel de la Méditerranée, ce 30 juillet 1944 quand l’avion de l’écrivain disparait au large de la Corse.



Quelles sont les dimensions qui vous ont attiré chez Saint Exupéry, homme d’action et de lettres?

Chez un auteur, je me passionne d’abord pour les événements saillants d’un parcours d’action et d’engagement. Cette idée est précieuse aujourd’hui dans cette forme de spiritualité laïque et de valeurs humanistes propres à Saint-Exupéry. Pour ce qui est en creux et non-dit, le spectacle se concentre sur l’un des mystères de la biographie de l’écrivain aviateur.

S’il disparaît en vol dans la nuit du 30 au 31 juillet 1944, sa trace et géolocalisation exactes restent inconnues - son avion sera et formellement identifié au large de Marseille en 2003, ndr. Le spectacle pose ainsi certaines hypothèses a propos de cette dernière nuit entre ciel et mer. Il est passionnant alors de pouvoir conjuguer l’Histoire dans ce qu’elle a de fascinante autour d’une figure d’exception, d’une part. Et de combler les vides par des formes fictionnelles, de l’autre.

On a l’impression d’une pièce comme un kaléidoscope de fragments.

J’utilise un procédé d’écriture dit rhapsodique travaillant sur des formes impressionnistes. Soit un ensemble d’impressions denses et révélatrices d’un parcours de vie qui sont cousues ensemble. C’est la forme éthiquement la plus recevable dans l’approche d’un destin qui est perçu à travers des instants et impressions fugitifs.

L’enjeu de la scénographie était de tisser les expressions émanant de l’écrivain. Il y a des paroles qui sont réellement celles de Saint-Exupéry au fil du spectacle. Ainsi dans ce poème, «Les ailes frémissaient sous le souffle du soir,/Le moteur de son chant berçait l’âme endormie/Le soleil nous frôlait de sa couleur pâlie.»





Des limites?

Oui. À mon sens, il ne serait pas souhaitable d’incarner littéralement Saint-Exupéry par un seul comédien. Ainsi les acteurs.trices peuvent incarner tour à tour divers personnages dont celui de l’écrivain et de ses multiples facettes. Cette approche a l’avantage de respecter l’imaginaire du spectateur.

Vous ouvrez avec une chanson ou plutôt un song.

Le mot song est rattaché au théâtre de Brecht que j’ai beaucoup travaillé. J’utilise les chansons dans la même veine philosophique que le dramaturge allemand. C’est la chanson qui recèle une forme essentielle du message de l’auteur. C’est une manière d’induire une écoute différente de la pièce. Elle est productrice d’images essentielles sous-tendant toute la dramaturgie.

Et Le Petit Prince?

La pièce n’oublie pas que le conte du Petit Prince est une forme de quintessence littéraire alors que son auteur est à la dérive, plongé dans une profonde dépression à New-York. Pilote de guerre, il a su préserver une écriture consciente de l’engagement. Il réinvestit la forme à la fois dense et simple du conte visant à répondre à cette interrogation éternelle: «Comment faut-il parler aux hommes?»

D’où ce projet avec Volé au ciel, Saint-Exupéry de faire entendre la réelle gravité de la disparition du Petit Prince. L’iconographie de ce récit est connue. Mais il faut savoir pleinement entrer dans la désespérance de cet enfant imaginé par Saint-Exupéry. L’un des souhaits était de faire parvenir au public ce texte mentionnant le Petit Prince et dit singulièrement dans l’obscurité d’une nuit étoilée.





À la quarantaine, Saint-Exupéry écrit à une femme qui n’a jamais été identifiée.

Ces lettres à une inconnue - et qui le restera - sont le fil rouge en filigrane du spectacle. C’est une correspondance amoureuse qui se déploie dans le sillage de la rencontre avec une jeune femme. Ce motif épistolaire est précisément repris par les chansons - «Ton désert est de pierre/De sable et de lumière/Mon désert dans les lueurs/De la ville se meurt», entend-t-on. ndr.

Que retenez-vous encore de Saint-Exupéry?

L’idée de l’inachevé est forte dans sa vie comme celle de la solitude. On ne se bouscule d’ailleurs pas pour voler avec ce héros. On a l’impression d’un personnage éminemment aporétique tant il ne clôt rien.

Son histoire d’amour avec une inconnue, elle, est fascinante. L’homme a alors un corps délabré par ses nombreux crashs. Il en est conscient, vivant une forme de tragédie intime. Il rencontre alors une jeune femme dans un train entre Alger et Oran. Ces lettres à une inconnue font régulièrement intervenir le personnage du Petit Prince comme porte-parole aux propos parfois durs. Il s’agit d’une fable suspendue. Nous faisons de cette jeune femme la spectatrice des dernières années de Saint-Exupéry et de la tragédie de sa disparition.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Saint Exupéry, volé au ciel
Du 4 au 14 octobre au Pulloff Théâtres, Lausanne

 Un spectacle de la Cie Hussard de Minuit
Stéphane Albelda, texte, mise en scène
Avec Didier Disero, Stéphane Liard, Daphné-Rhéa Pellissier

Informations, réservations:
https://www.pulloff.ch/saint-exupery-vole-au-ciel/