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Stéphane Degout: un amoureux de la mélodie française

Publié le 16.02.2023

Baryton à succès, Stéphane Degout foule les plus grandes scènes d’opéra, à l’Opéra de Paris, à la Monnaie de Bruxelles, au Theater an der Wien, au Berlinstaatsoper au Royal Opera House de Londres ou au Metropolitan Opera de New York. Il n’en oublie pas pour autant les récitals et les concerts, et sera d’ailleurs à l’affiche des prochains concerts de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, les 22 et 23 février, sous la direction de Barbara Hannigan.

À cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec le chanteur.



Vous venez de triompher à Bruxelles avec une prise de rôle-titre dans Eugène Onéguine. Est-ce particulièrement enthousiasmant d’interpréter un nouveau rôle?

Stéphane Degout. Bien sûr, ce qui est nouveau est toujours stimulant. Cela dit, dans une prise de rôle, il existe aussi une part d’appréhension et d’incertitude, dans un sens. On se demande – parfois jusqu’au dernier moment – si on va s’entendre avec ce rôle. La question est de savoir si c’est un personnage auquel on peut faire écho.

C’est un peu comme rencontrer une personne, tout simplement, on y va un peu à tâtons au début, puis on découvre que l’on a forcément des choses à se dire.



Des rencontres avec les personnages se passent parfois moins bien?

Il m’est arrivé deux fois de ne pas réussir à me retrouver dans le personnage. Don Giovanni, par exemple, il y a une vingtaine d’année. J’ai regardé la partition et la difficulté n’était pas vocale, je me suis dit «On y va!», puis je me suis heurté à un personnage qui était tellement éloigné de qui j’étais vingt ans en arrière que je me suis rendu compte que je ne pourrais certainement pas aller plus loin dans le personnage.

Don Giovanni existe à travers les autres, surtout: quand il n’est pas là on parle de lui, quand il est là on parle de lui... On parle de lui tout le temps! Il est tellement central que si on n'a pas soi-même une épaisseur ou un charisme qui efface le reste, ça ne marche pas. J'étais avec une équipe de chanteurs dont certains avaient chanté leur rôle à plusieurs reprises; c'était un tel naturel pour eux de chanter leur rôle que j'étais perdu là-dedans et je n'arrivais pas à exister. Finalement, cela ne s’est pas mal passé, mais je me dis que ce rôle n’est pas pour moi.

L’autre rôle en question est plus récent, c’est quand je chantais Valentin dans Faust. Le personnage m’insupporte au plus haut point, donc je le laisse à d’autres, et c’est très bien ainsi.

L’opéra représente-t-il une sorte d’objectif pour un chanteur lyrique?

Non, mais je dirais que c'est quand même l'activité principale de beaucoup de chanteurs. Après, parallèlement à l’opéra, on a tout le répertoire d'oratorio, de concert, de récital... Le répertoire est vaste et les possibilités sont étendues, mais dans l’ensemble, qu'on soit solistes ou choristes, l'activité principale du monde lyrique, c'est la scène et l'opéra.

Certains privilégient les récitals et les concerts. C’est parfois un choix, ou parfois les choses se sont juste installées de cette manière.





Vous chanterez d’ailleurs en concert avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne, sous la direction de Barbara Hannigan que vous connaissez très bien. Comment a débuté votre relation amicale?

On s’est rencontrés en 2016 dans une production de Pelléas et Mélisande à Aix-en-Provence. Deux ans après, on a créé l’œuvre de George Benjamin Lessons in Love and Violence. Ensuite, elle m’a parlé de programmes de concerts qu’elle dirigeait et donc on a fait des concerts ensemble, notamment l’année dernière avec l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, concert lors duquel je chantais les Histoires naturelles de Ravel.

Le fait qu’elle soit elle-même chanteuse aide-t-il à diriger une œuvre dont le soliste est chanteur?

Sans doute, parce qu'elle a une conscience plus accrue de la respiration et ça, c'est fondamental. Quand c’est quelque chose que l’on a intégré en soi parce qu’on chante, c’est plus naturel de faire respirer un orchestre. C’est aussi quelque chose que j’ai beaucoup ressenti avec Nathalie Stutzmann, avec qui j'ai fait des concerts il y a quelques années.

Je ne dis pas que les chefs ne respirent pas, mais disons que ce n’est pas primordial pour eux, ce n’est pas l’aspect principal de la musique. Avec Barbara et Nathalie, puisque je les ai prises comme exemples, on n’organise pas la respiration, on ne parle pas de cela. On respire ensemble, c’est naturel.

Avec d’autres chefs, il est arrivé qu’ils me demandent où je respirais et, très franchement, je ne sais pas moi-même où je respire, parce que selon ce que je fais sur le moment, selon comment je prends ma respiration, je peux avoir besoin de respirer à un certain endroit, ou peut-être pas. Elles respirent en même temps, parce qu’elles ont conscience de la longueur d'une phrase et de l’effort que cela demande en termes de quantité d’air.





Avec l’OCL, vous chanterez à nouveau les Histoires naturelles de Ravel, œuvre qui fait partie du répertoire que vous aimez particulièrement: les mélodies françaises et le Lied. D’où vous vient cet attrait?

Le Français est une langue qui a beaucoup de nuances. Si on compte bien chaque altération des voyelles et de leurs arrangements, on a une quinzaine de voyelles différentes dans la prononciation, et c'est autant de couleurs, autant de musique qu'il y a dans le texte et qu'il faut savoir appréhender.

J’aime aussi beaucoup chanter en allemand, c’est une langue qui me transporte. Il y a quelque chose de beau à entendre, à chanter, à prononcer. Les deux répertoires sont basés sur un répertoire poétique qui me plaît. Déjà petit, à l’école primaire, apprendre des poèmes de Jacques Prévert était un exercice que j’adorais faire.

Ce qui est important dans l’opéra, c’est l’histoire, alors que dans le Lied et les mélodies françaises, c’est le texte. Les compositeurs qui ont écrit des mélodies ont d’abord lu ces poèmes et sont plus ou moins tombés amoureux au point de vouloir les mettre en musique, soit pour les illustrer, soit pour les transfigurer.

Quand on a un compositeur comme Debussy qui met Mallarmé en musique, par exemple, on entre déjà dans des sphères littéraires et musicales d’une incroyable beauté. La musique a beaucoup de sens, elle se complète avec le texte. Rechanter ces mélodies et essayer d'en trouver à chaque fois une couleur nouvelle, un sens nouveau, c’est le plaisir que je trouve dans ce répertoire.

Propos recueillis par Sébastien Cayet

Barbara Hannigan, soprano et direction - Stéphane Degout, baryton - Orchestre de Chambre de Lausanne (OCL)
Les 22 et 23 février à la Salle Métropole, Lausanne

Programme:
Albert Roussel, Le Festin de l’araignée, Fragments symphoniques
Maurice Ravel, Histoires naturelles (arr. Antony Girard)
Benjamin Britten, Les Illuminations
Joseph Haydn, Symphonie n°104 Londres 

Informations, réservations:
https://www.ocl.ch/concert/grand-concert-n6-22-23/