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Regard poétique sur le monde

Publié le 01.03.2024

Bienvenue dans l'univers fascinant de L'Oiseau bleu, revisité et mis en scène par Benjamin Knobil, tout public à partir de 12 ans.

À découvrir au Théâtre Kléber-Méleau, du 5 au 24 mars, ce que cette adaptation théâtrale offre n’est pas qu’une relecture du conte classique de Maeterlinck. Elle nous plonge au cœur d'une réflexion profonde sur la quête de sens, la mortalité et la transmission.

En repensant l'histoire dans le cadre d'une maison de retraite, Knobil donne une nouvelle dimension au récit. Il fait de Tyltyl un vieil homme confronté à sa propre finitude. Cette perspective ajoute une profondeur émotionnelle à l'histoire, nous invitant à réfléchir sur notre propre existence et sur la manière dont nous affrontons notre destin.

Ainsi, Tyltyl devient plus qu'un simple enfant en quête d'aventure. Il incarne désormais la lutte universelle contre la mort, symbolisée par la recherche de l'Oiseau Bleu. Cette adaptation offre entre autres une réflexion sur notre rapport à la nature et à l'environnement, à ce qui fait sens, en faisant de L'Oiseau bleu un symbole de la préservation de la vie sur Terre.

À travers les différents mondes explorés par les personnages, la pièce nous invite à repenser notre relation à notre planète et à prendre conscience de notre responsabilité envers elle. En alliant poésie, métaphysique et écologie, la pièce nous offre un spectacle riche en émotions et en réflexions. Il vise à résonner résonne bien au-delà de représentation théâtrale. Entretien avec Benjamin Knobil.



Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le conte, L’Oiseau bleu?

Benjamin Knobil: Nous sommes dans l’idée d’un conte sensuel. Ou comment retranscrire les sensations que j’ai ressenti à sa lecture. Il y a un important travail de réécriture pour actualiser une écriture participant de l’envie d’un théâtre total mêlant, musique et chorégraphie.

Avec environ une soixantaine de personnages, la notion même de narration traditionnelle est explosée. L’intérêt de Maeterlinck est de traverser des mondes poétiques imaginaires et de faire ressentir toute une sensorialité au lecteur et à la lectrice.

Ce qu’il existe de plus intéressant dans son récit? Les didascalies qui participent d’une fantasmagorie, d’une poésie et d’une sensualité folles.



Que reste-t-il du symbolisme et du surréalisme chers à Maeterlinck dans votre adaptation?

À mes yeux, le symbolisme présente peu d’intérêt aujourd’hui. Mais il reste pertinent dans L’Oiseau bleu au fil des thématiques qui y sont développées. En particulier l’idée de l’âme des choses. L’âme du pain et du sucre, du lait et du feu.

Nous sommes dans la conception d’une Gaïa ou Terre-Mère. Au cœur de l’écosystème du monde, de la pensée, des êtres et des éléments. Le symbolisme se transforme ici dans une sorte d’animisme.

La référence au surréalisme belge se retrouve en ce tableau voyant le héros se rendre dans le Pays du souvenir. Le plasticien vidéaste et dessinateur Sébastien Guénot s’est inspiré pour ses projections vidéo de cet épisode de paysages emblématiques, de J’œuvre de James Ensor, un peintre britannique de la même époque que Maeterlinck.

Les personnages qu’il rencontre en ce Pays du Souvenir sont autant de mémoires passées, anciennes voire effacées. Cette pièce joue à tout un moment d’un au-delà du réel.

Et pour les espaces...

Dans cet Oiseau bleu, tant les espaces sont minéraux, tant les personnages qui les peuplent se révèlent charnels, breughéliens et gorgés de vie. Nous sommes restés dans des couleurs comme passées.

Il existe initialement une douzaine d’espaces pour le conte dont j’en ai retranché deux-trois qui me semblaient moins bien fonctionner au théâtre. Dans la pièce, le héros tourne un diamant magique à mille facettes. C’est une clef lui permettant d’accéder aux différents mondes souterrains dans lesquels Tyltyl se retrouve entraîné.

Mais encore.

En compagnie du scénographe, Jean-Luc Taillefer, s’est affirmée l’idée d’un décor unique. Ceci à la manière d’un diamant tournant sur lui-même tel un kaléidoscope labyrinthique formant des cercles concentriques.

Côté scénographie, le pari fut donc de passer de manière fluide de la Forêt au Palais des Bonheurs. Partant, c’est un décor à surprises constellé notamment de trappes. Un décor à la fois fort architecturé et ludique. Ceci grâce à l’interprétation des personnages et aux costumes.





Parlez-nous de l’enfance chez Maeterlinck.

Nous avons neuf interprètes sur scène et deux régisseurs plateau. Ce spectacle demande des talents de transformistes à ses interprètes. Qui ne disposent souvent que d’une quarantaine de secondes pour se changer de pied et en cap et passer d’un rôle à l’autre.

À l’image d’autres auteurs de son temps, Maeterlinck ne sait guère mettre des mots dans la bouche des enfants. Loin d’être de vrais sujets, les enfants ne sont alors que des projections et émerveillements d’adultes.

Pour le personnage principal et son lien à la musique qui a une part importante dans cette création?

J’ai toujours songé que le personnage du héros, Tyltyl, était au début de l’histoire un musicien très âgé placé en EMS dialoguant avec «son âme» au piano. D’où le choix du compositeur, interprète et excellent comédien Didier Puntos avec lequel j’ai déjà collaboré pour L’Enfant et les sortilèges, fantaisie lyrique de Maurice Ravel jouée à L’Opéra de Lausanne.

Il a imaginé une dynamique et sensible composition polyphonique et chorale. Elle est accompagnée live par les comédien.nes instrumentistes ou une bande son. Pour la scène de comédie musicale lié au Palais des Bonheurs.

Didier Puntos collabore comme souvent par le passé avec le compositeur, arrangeur et musicien Lee Maddeford basé à Lausanne. Compositeur de musique contemporaine, Didier Puntos signe une partition éminemment délicate et rythmique.

Vous avez choisi le même procédé narratif que James Cameron pour Titanic, le naufrage du paquebot étant issu des souvenirs d’une survivante du désastre, Gloria Stuart, une comédienne âgée de 87 ans lors du tournage (1997). L’un des plus grands blockbusters de l’histoire débute ainsi comme un film documentaire.

Toute la représentation de L’Oiseau bleu se déroule dans la tête du vieux Tyltyl d’où émerge les mystères visuels à l’œuvre au plateau appuyé par l’univers sonore signé Bernard Amaudruz qui créée un sound design et une narration musicale en 3d.

Des différentes couches de narration présente dans ce conte, c’est la couche musicale qui me paraît la plus importante. On aborde ainsi la manière dont Tyltyl accompagne et compose littéralement la représentation de son dernier voyage sur Terre.

Un exemple de réécriture?

Prenez le tableau du Palais des Bonheurs racontant une injonction du bonheur obligatoire. Je l’ai réécrit pour en faire une comédie musicale à l’américaine.

Sur la demande de Didier Puntos, Lee Maddford a créé sept minutes de comédie musicale s’intégrant parfaitement dans l’ensemble de la composition.





Quels sont les rapports du héros aux enfants?

Au détour du Pays du Souvenir, Tyltyl rencontre des enfants morts avant de croiser les enfants à venir au cœur du Palis du Futur. Mais le plus grand enfant dont il veut suivre le chemin dans la pièce, c’est singulièrement lui-même.

A travers cette version du conte, ce personnage a beau être au seuil de la mort, il reste pleinement vivant gardant sa fraîcheur et sa curiosité d’enfant.

Et le message est bien là. Tant que l’humain a tout à la fois la force et la fantaisie de rechercher la curiosité des êtres, des choses et de l’imagination, l’on reste vivant. À mon sens, cette pièce est une véritable ode à la vie et à l’imaginaire.

L’époque colonialiste de Maeterlinck est particulièrement dure pour les populations autochtones en Afrique*. L’auteur belge défend ainsi la supériorité fantasmée de l’homme blanc.

Européaniste convaincu, Maeterlinck est l’archétype du Bourgeois conservateur des Lumières. Il est convaincu que la mission de l’Europe est de civiliser le monde. Nous avons ainsi une légère allusion sous-jacente à l’homme blanc muni de son chapeau colonial, visitant les mondes souterrains et les bons sauvages.

Gommer cet aspect dans cette version du récit permet de donner légitimité et importance aux habitant.es des univers souterrains. Dans L’Oiseau bleu, le héros est profondément dépassé par ce qui se déroule autour de lui.

D’autres stéréotypes, qui ne sont pas acceptables, ont été écartés. Tyltyl a ainsi une petite sœur, Mytyl. En tant que fille à l’époque, forcément elle pleure et est continûment effrayée disparaissant mystérieusement de plusieurs scènes comme oubliée par l’auteur. Dès lors, l’adaptation m’a permis de subvertir et d’inverser ces injonctions de genres.

Sur vos influences?

L’une de mes inspirations cinématographiques pour cette adaptation est le film fantastique Les Aventures du Baron de Münchhausen signé Terry Gilliam. Préférant le merveilleux au réel, défendant l’imagination face à la logique, son personnage principal passe d’un jeune homme à un vieillard suivant son état de santé et l’acuité de son imaginaire.

Cela témoigne d’une grande vie intérieure chez les seniors et parfois plus riches en scope que des personnes plus juvéniles qui auraient moins de références picturales ou d’expériences artistiques de vies et de paysages.

L’esprit humain ne connaît aucune limite à imaginer du bonheur.

C’est-à-dire...

Dans la pièce, le bonheur se traduit par un dépassement de soi, une capacité à s’émerveiller et à aller au-delà des limitations et contraintes physiques.

Face à la situation actuelle de la planète - réchauffement climatique et guerres -, comme se fait-il que l’imagination collective reste aussi lacunaire relativement à ses tragédies? Or cette envie d’imaginaire et d’agir sur ses rêves peut contribuer à pacifier notre monde.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


L'Oiseau bleu
Du 5 au 24 mars 2024 au TKM, Lausanne - dès 12 ans

D'après Maucie Maeterlinck, texte - Benjamin Knobil, adaptation et mise en scène

Avec Philippe Annoni Amélie Chérubin-Soulières Boris Degex Delphine Delabeye Lou Golaz Didier Puntos Aurélie Rayroud Diego Todeschini Côme Veber

Création

Informations, réservations:
https://www.tkm.ch/representation/oiseau-bleu/

*La période historique de Maeterlinck est marquée par les exactions et les génocides du roi des Belges Léopold II au Congo (bilan estimé et controversé à 10 millions de morts) et par celui des Héréros et des Namas au Mozambique et en Namibie – 80% de la population disparaît –, sous les ordres de Lothar von Trotha, commandant des forces coloniales Afriques orientale. L’auteur belge défend ainsi la supériorité fantasmée de l’homme blanc, ndr.