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Rapports aux bêtes et à la nature

Publié le 02.08.2022

Avec l’animal est une réflexion sur la transmission d’expériences d’un pêcheur cueilleur et d’un chasseur. Ce théâtre de témoignages est présenté dans le cadre du festival nyonnais far° - Fabrique des arts vivants, du 11 au 14 août.

Serge et Bernard sont des prédateurs d’un type singulier. Ils ne ponctionnent que parcimonieusement dans le non-humain, du saumon aux champignons et aux cerfs. Pour mémoire, les pêcheurs furent d’ailleurs parmi les premiers lanceurs d’alertes dès les années 60 concernant la pollution des cours d’eau, sols et disparitions des écosystèmes. Ils ne furent guère écoutés.

A l’affût du micro-événement, l’œil, telle une caméra imaginaire, suit les parcours croisés de ces deux passionnés retraités. L’animal n’est ici ni infantilisé, domestiqué ou magnifié. Pour susciter une symbolique du combat et de l’éthique avec la nature, la pensée s’est aussi nourrie de rencontres avec des réflexions d’anthropologues, philosophes et scientifiques. Mais c’est au final l’empirisme concocté par nos deux compères témoignant au plateau qui s’affirme.

Des séquences atmosphériques viennent scander leurs récits tressés l’un à l’autre. Rencontre avec Claire de Ribaupierre et Massimo Furlan à l’origine d’Avec l’animal.


Avec l’animal suit Dans la forêt, créé dans les bois du Jorat (2020) et devance l’ultime volet de La trilogie des liens, De la terre (2023). Quid de ces transmissions autour du rapport à la nature?

Massimo Furlan: En regard de la question de la transmission, le récit à deux voix qui constitue Avec l’animal est riche des histoires et des liens de Serge Bregnard et Bernard Magnin avec des paysages qui leur sont familiers. Ces hommes nous ouvrent à une autre expérience du milieu naturel. Ceci à travers leurs relations sensorielles et respectueuses aux biotopes traversés. Mais aussi à la pêche, la chasse et la nature en général.

Le souhait initial était de donner une parole qui soit simple, directe et empirique. Au-delà du fait que nous avons beaucoup dialogué avec des anthropologues, philosophes et spécialistes de terrain sur nos liens aux animaux, nous avons souhaité voir comment transmettre un vécu et un ressenti à travers un récit, une émotion. Et un registre amateur autre que celui de la parole de penseurs et essayistes reconnus.



Mais encore…

Claire de Ribaupierre: Dans le cadre des volets composant La trilogie des liens, l’idée récurrente est de partir du monde de l’expérience. Pour Dans la Forêt, le premier d’entre eux, il s’agit de réactiver et favoriser l’expérience de la personne spectatrice au détour d’une marche nocturne en zone boisée. A l’occasion d’Avec l’animal, nous partons d’expériences concrètes immersives de deux personnes avec l’univers animal non-humain et sauvage.

Enfin au cours du dernier volet, De la terre, il s’agira de partir du savoir et de l’expérience des personnes qui travaillent la terre. Le défi a été de dégager les relations concrètes des êtres avec leurs milieux tout en se documentant autour de la question grâce à l’anthropologie et la philosophie. Le projet se focalise autour de voix que l’on entend possiblement le moins.

Sur le lien personnel que vous avez développé à la forêt si présente aussi dans Avec l’animal?

Massimo Furlan: J’aime souvent à dire que la forêt est mon bureau, là où j’aime être. Je m’y sens bien lorsque je la traverse, sans nécessairement produire une performance physique, sportive. Penser en marchant, c’est bien. Mais cela nécessite une connaissance de la végétation et arbres dont je ne savais nommer que deux types ou espèces avant la création de Dans la forêt. C’est aussi cela que nous interrogions à travers une expérience et une émotion fortes par le parcours de la forêt.

De fait, il était essentiel de faire appel à deux prédateurs qui vont prélever un animal de la nature et le manger. Ainsi Bernard Magnin a une relation à la chasse qui nous intéressait beaucoup - dans le spectacle, le chasseur reconnaît n’avoir abattu que cinq bêtes en quatre ans et que le cerf doit être contrôlé car il impacte les forêts en dévorant les bourgeons des arbres, ndr. Ces personnes sont, de par leur activité, en voie de disparition comme les marmottes ou lièvres qu’ils ne chassent pas. On peut imaginer que dans plusieurs années, chasse et pêche seront interdites pour des raisons variées.





Comment vivre avec les animaux sans nier leur qualité d’êtres vivants quand rites et traditions semblent absents?

Massimo Furlan: Nous sommes pris dans un rapport souvent infantile aux animaux. Et le savoir transmis par ce chasseur et ce pêcheur peut venir subvertir cette relation de projections fantasmées. C’était important de donner la parole à des personnes apriori stigmatisées parce qu’elles tuent les animaux, «le Bambi» dans leur milieu naturel. Il s’agit de donner la voix aux premiers intéressés dans un sujet, la mise à mort d’animaux, qui est aujourd’hui problématique.

Ce spectacle ne veut d’ailleurs ni moraliser ni prendre position dans ce débat actuel, si l’on songe au loup notamment. En outre, le public est souvent ému et invité à partager une soupe après la pièce afin de permettre discussions et échanges.

Claire de Ribaupierre: Cette création ne touche pas directement de manière philosophique, anthropologique ou historique à la question posée. Mais elle le fait en creux. Ceci par la transmission entre générations chez nos deux protagonistes d’un respect de l’animal et de son milieu naturel, où il faut vivre avec la forêt et non dans celle-ci. Partant, il y a toutes sortes de manière de chasser et pêcher, et nous n’avons pas du tout abordé la dimension de la chasse commerciale, car elle ne nous intéressait pas.

Une chasse que l’on pourrait appeler «plus rurale» est intéressante dans ce rapport entre l’humain et l’animal. Il faut dire qu’ici la plupart du temps le chasseur ne tire pas. Il choisit de viser seulement certaines bêtes à des moments spécifiques. Elles sont ici attentivement observées et respectées, tout au long de l’année.





Le débat est vaste.

Massimo Furlan: Oui. Nous qui ne pratiquons ni la chasse ni la pêche et nous vivons dans le paradoxe dans ce rapport à l’animal, moi le premier d’ailleurs. Consommant viandes et poissons, nous pouvons développer une capacité d’occultation sur la provenance des produits qui se retrouvent dans notre assiette.

Le cerf, le chevreuil ou le lynx possèdent une aura, un charisme qui peuvent nous rendre sensibles à leur sort. Mais il existe nombre d’autres animaux sur lesquels on semble se poser peu de questions quant à leur élimination à une échelle industrielle.

Quelles sont les différences entre la version en intérieur et celle en plein nature comme c’est le cas au Far?

Claire de Ribaupierre: Lorsque l’expérience avec l’animal se déroule in situ comme ici à Saint-Cergue, l’attention du public se révèle singulière, autre qu’en salle. La réalité de se retrouver immergé au cœur d’un cadre naturel, révèle une dimension de proximité différente que la déclinaison en boîte noire théâtrale du spectacle. Cette dernière est accompagnée de tout un volet vidéo prompt à recréer une poétique à travers l’image.

Dans le cadre naturel, c’est évidemment la présence des arbres et rochers, de l’herbe et du vent ainsi que du changement de luminosité qui vont venir appuyer les témoignages. Et donner un cadre aux récits déployés.

Comme s’est construit le spectacle?

Claire de Ribaupierre: Nous avons d’abord demandé au pêcheur cueilleur et au chasseur de nous raconter leurs histoires et relations à leurs activités. Il nous est vite apparu qu’il était plus délicat d’évoquer la chasse plutôt que la pêche. Si nous voulions que Bernard soit entendu comme chasseur, il fallait d’abord que le public puisse le rencontrer en tant qu’individu.

Bernard est une personne ayant une relation complexe, profonde à l’animal et aux paysages rattachés à un site particulier, la Vallée de de l'Intyamon (Fribourg). D’où cette nécessité dramaturgique de mieux comprendre comment il était devenu chasseur par le parcours et l’expérience d’un lieu. On découvre ainsi d’abord un enfant qui a un lien particulier avec les bêtes d’élevage. Il s’agit de savoir comment son intérêt, sa curiosité et son regard se sont développés dans l’observation, la compréhension et la cohabitation avec ces bêtes. Ce détour pris valorise la question de l’expérience et de la connaissance.


Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Avec l'Animal, de Claire de Ribaupierre et Massimo Furlan

A découvrir du 11 au 14 août à Saint-Cergue dans le cadre du far° - fabrique des arts vivants 2022

Informations, réservations:
far-nyon.ch

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