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Mouvements et mots, un duo stimulant

Publié le 05.05.2023

Comment raconter ici une phrase dansée, là une posture arrêtée et étrange? L’indicible voire l’intransmissible d’un geste ponctuel peut-il se lire à la fois dans son aspect formel, expressif et ce qu’il évoque pour le public? Voilà précisément ce qu’explore C’est sérieux!.

Signé de la chorégraphe Nicole Seiler, l’œuvre est un duo réunissant deux performeur.euses. L’un.e commente la danse, l’autre l’exécute. Et les rôles de s’inverser. Créé à l’été 2020, le spectacle est présenté en plein air dans le cadre de La Fête de la danse. 2020… Nous étions alors dans l’incertitude d’un confinement à rallonges et face à des lieux de spectacles en berne. Ce pas de deux entre mots et mouvements se déployait alors sous les fenêtres d’anonymes. Prix suisse des arts de la scène 2021. Depuis plus d’une décennie son travail chorégraphique se cristallise sur la description du mouvement, l’interrogation de l’alphabet dansé en relation avec le langage articulé de paroles. La démarche interroge aussi le mouvement au plan de la mémoire. Rencontre avec la chorégraphe Nicole Seiler.



Quels sont les enjeux de cette pièce?

Nicole Seiler: D’une durée d’environ vingt-cinq minutes, C’est sérieux! réunit la performeuse, danseuse et comédienne Anne Delahaye et le performeur, musicien et chanteur Christophe Jaquet, deux artistes qui collaborent de longue date avec moi. Ces interprètes sont forts avec l’improvisation tant dans leur corps en mouvement qu’avec les mots. Quel est le dispositif concret? L’un.e improvise une danse et l’autre la commente, la décrit. Il est à relever qu’à la fois la chorégraphie et sa description sont improvisées à chaque représentation.

Ce qui m’intéresse? Comment le public peut regarder la danse, l’interpréter en direct. Mais aussi de quelle manière la danse peut interagir avec nous, travailler nos émotions, sentiments, projections, intuitions et états intérieurs. Ce qui me passionne ici? Précisément l’exercice de la subjectivité dans le fait de questionner ce qui est reçu lorsque l’on regarde.



Il est aussi question de compréhension...

Oui. On peut se demander à partir de quel moment, on a le sentiment d’avoir saisi quelque chose. Ou simplement que l’on ne comprend rien alors que son voisin semble avoir tout capté. Il me parait pertinent de réfléchir sur la distance se creusant entre le langage articulé et l’expression corporelle, le mouvement, le geste.

Ces derniers nous sont plus étrangers dans toute leur complexité que la parole. A ce titre, mettre des mots sur un geste ne me semble guère possible. Et partant, c’est une grande jubilation de tout de même tenter cet exercice.

Comment développez-vous ce double récit entre les mots et les choses dansées?

J’adore jouer de décalage entre les mots et les choses sur un mode tour à tour absurde et humoristique. Mais aussi du hiatus entre ce que je vois et ce qu’une autre personne peut percevoir dans un geste. De fait, mon regard sur la danse est éminemment subjectif.

C’est sérieux! essaie de mettre en évidence cette subjectivité. On regarde toujours un spectacle à travers ses références, son humeur du jour, sa culture, etc.





Un acte sérieux (2012) précède C’est sérieux! (2020) en forme de contenu interactif et ludique visant à explorer les couches du langage propre à la danse.

Pour Un acte sérieux, un dispositif plus complexe est convoqué. S’il existe bien deux performeurs, l’un est au plateau alors que l’autre se trouve ailleurs. Ils sont connectés par Skype. Derrière l’interprète présent sur scène, est projetée l’image de l’autre danseur se trouvant dans un studio de danse. Le danseur performeur se trouvant face au public lui demande de décrire ce qu’il ou elle voit tandis que l’autre danseur présent par écran interposé doit interpréter cette description.

Dès lors, le dessein n’est pas de réussir à ce que les deux interprètes réalisent la même chose, mais bien plutôt de dévoiler, révéler la difficulté de transposer en mots la danse. L’exercice se révèle souvent drôle dans le décalage mis au jour. Depuis 2011, je collabore par ailleurs avec une audiodescriptrice, Séverine Skierski. Ensemble nous développons la créativité liée à cette pratique expressive.

Il y eut Amauros (2011), où le public dans l’obscurité voit son imaginaire mis en action par une description précise ainsi que des bruitages associés.

C’est mon premier spectacle ou j’ai travaillé avec l’audiodescription. L’interrogation est la suivante: Que parvient-on à voir, imaginer alors que nous sommes confrontés au seul son. Comment une trace audio peut-elle actionner notre mémoire? Il s’agit d’interroger la connexion existante entre ce qui est entendu et vu. Ainsi, contemplant la mer, j’entends bien les vagues.

Dans sa première partie, quatre interprètes sont en scène alors que sont projetées des vidéos chorégraphiques invisibles pour le public. Ces interprètes bruitent les chorégraphies enregistrées qu’ils.elles regardent à la manière d’un.e bruiteur.euse pour le cinéma. Se constituent ainsi les différentes couches sonores constituant le son des films de danse. De cette concentration sur ce qui se déroule à l’écran, est ressortie à mes yeux, une physicalité inhabituelle.





En 2017, votre pièce Sekunden Später explore l’audiodescription et ses aspects parfois surréalistes.

Elle est née de l’audiodescription d’une autre création, Small explosion with glass and repeat echo (2012), spécifiquement destinée aux personnes aveugles ou malvoyantes.

A cet effet, l’audiodescriptrice doit constamment choisir à quel moment de l’action scénique spécifique elle dit les choses. C’est tantôt avant celle-ci tantôt après. Car dire prend souvent plus de temps que de faire. Cela m’a littéralement fascinée d’entendre la trame du spectacle en léger différé avec son déroulement concret et effectif que je vois. Sekunden Später est ainsi basé sur ce principe. A s’on début les deux couches - situation dansée et son audiodescription - se correspondent parfaitement. Puis un déphasage se creuse.

Votre nouvelle création à venir, Human in the loop, interroge l’IA...

Elle s’inscrit dans le prolongement des pièces déjà mentionnées au fil de cet entretien. Nous avons entraîné une intelligence artificielle avec des textes d’audiodescription produits en collaborations avec Séverine Skierski. Pendant tout le spectacle l’IA donnera en live des instructions aux interprètes par le biais de descriptions. L’algorithme calcule ainsi la probabilité d’une prochaine lettre ou groupe de lettres d’un texte.

En fait l’IA ne comprend ni le mouvement, ni le corps, ni le sens de ce qu’elle formule, ce n’est que des calculs. Mais les résultats sont parfois étonnants surtout de voir ce que les performeur.euse.s en font. Avec cette pièce j’ai envie de questionner les enjeux de cette nouvelle technologie.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


C'est du sérieux!
Nicole Seiler, conception
Anne Delahaye et Christophe Jaquet, interprètes

Le 11 mai à 19h00 au Bains des Pâquis, Genève
Le 12 mai, à 19h00 à Bad Posture, Arche du Grand Pont, Lausanne
Le 13 mai à 10h30, Schlossplatz, Aarau
Le 13 mai, à 16h00, PROGR-Hof, Berne
Le 14 mai à 11h00 aux Jardins du Château, Morges
Le 14 mai à 14h00 à la Salle de Casstillo, Vevey

Plus d'infos:
https://fetedeladanse.ch/companies/cie-nicole-seiler/

Programme complet de la Fête de la danse:
https://fetedeladanse.ch

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