Social Tw. Fb.
Article

Le hasard des choses et l’art du dialogue

Publié le 04.11.2021

A l’enseigne de l’Arsenic, les étonnants spectacles Partition(s) du 4 au 7 novembre et Pièces sans acteur(s), du 2 au 7 novembre. Hommes d’un théâtre mis en crises, questions et creux, Victor Lenoble – cofondateur de l’évanoui Institut des Recherches Menant à Rien, acteur chez Quesne et Peyret – et François Gremaud – les blockbusters théâtraux, Conférence de choses et Phèdre!, le lauréat des Prix Suisses de Théâtre 2019 – font échanges et rebonds autour d’une pensée.
Partition(s) dessine une forme de parlerie épistolaire voulue tout à la fois ludique, rythmée et sérieuse autour de l’idée de «partition». Qu’est-ce qui fait l’embrayeur d’une réflexion artistique, le sel d’un échange réunissant le haut en verbe et le balbutiant? Pièces sans acteur(s) invisibilise ses interprètes. Pour mieux marquer leur roman de voix ouvertes sur l’imaginaire d’une biche traversant le paysage de nos vides. Rencontre avec Victor Lenoble, qui se campe aussi en coupeur de bois, jardinier et boulanger pétri de doutes entre deux fournées et tournées de pains.



Pour Partition(s), vous partagez avec François Gremaud un projet de recherche et vos échanges sur Messenger sur la notion de «partition»…

Victor Lenoble: La création est partie d’une participation commune à un atelier de recherches mis sur pied par La Manufacture - Haute école des arts de la scène, Lausanne. La question initiale fut: Comme une partition peut-elle en engendrer une autre? Je n’ai évidemment aucune réponse à formuler ou imaginer face à une interrogation si spécifique. C’est une réponse à une commande. Et le spectacle est né comme par hasard.

Notre dialogue avec François Gremaud a tenté d’esquisser une réponse à la question. Pourquoi dès lors ne pas partir de nos travaux respectifs où l’on s’inspire, utilise voire reformule des écrits théoriques notamment. Ainsi, j’ai été inspiré par ceux du compositeur et pianiste américain John Cage pour mes premiers spectacles.



Vos échanges semblent parfois hésitants comme une pensée en train de se formuler, se chercher, se perdre…

L’idée est venue de rejouer l’échange initial autour du projet Partition(s) en 2018. Il faut se figurer que la création a débuté par un échange de mails qui s’est poursuivi sur cinq mois. On y parle des pensées et réflexions autour du thème (l’engendrement possible d’une partition par une autre), d’amorces dramaturgiques en insérant ponctuellement sons et vidéos telles des pièces attachées à un email.

Vos tempéraments se révèlent contrastés comme dans un duo quasi clownesque.

Autant François Gremaud est, comme à son habitude, très volubile et en propositions et moi plus circonspect, réservé, sceptique. C’est au cours de cet échange scriptuaire et virtuel et qu’est venue l’idée d’en faire la matière même du spectacle. Nous faisons même semblant de lire cet échange, qui nous est en réalité diffusé en audio grâce à une oreillette. Pareils à des outils transmettant une série d’informations.

Et pour le côté «partition»?

Nous répétons la lecture enregistrée de cet échange de mails. La dimension partitionnée de l’exercice vient notamment du fait que l’échange s’étant déroulé sur plusieurs mois espace par des intervalles temporels, nous marquons le nombre de jours écoulés dans cet entre-deux mails par des coups de petit maillet sur un bol ou de clochettes. C’est un rythme, une écriture appliquée a posteriori à notre dialogue par mails interposés. Ceci pour favoriser la lisibilité de l’ensemble et sa touche ludique.





Quel a été votre désir pour Pièces sans acteur(s)?

A l’origine spectacle interrogeant l’absence-présence des interprètes, il y a le souhait de poursuivre un dialogue avec François Gremaud qui s’est développé grâce à Partition(s). Notre richesse commune n’est-elle pas déjà simplement de se parler? D’où ce dialogue sur les processus créatifs, en écrivant ou plutôt imaginant une pièce de théâtre sans acteurs.

Le spectacle participe aussi d’une volonté personnelle de prolonger tout une réflexion présente dans mes créations précédentes, dont Les choses: quels enjeux pour un bilan les concernant? par une interrogation sur l’absence et la présence. Ainsi que peut susciter la complète suppression de la présence physique des interprètes au plateau? Ceci avec l’intuition que ce qui fait spectacle vivant n’est pas d’abord le corps des acteurs.

C’est-à-dire…

Un spectacle vivant ne l’est pas par essence ou nature grâce à la seule présence d’interprètes précisément vivants sur scène. Partant, la voix est hyperprésente dans Pièces sans acteur(s) sans que la production se confonde néanmoins avec le registre du théâtre radiophonique. Je me demande si les choses, des enceintes en l’occurrence spatialisant des voix dans leur diffusion sous une lumière toujours égale, ne sont pas aussi, voire davantage présentes, dans ce dispositif scénographique et dramaturgique épuré. Précisons qu’il ne s’agit absolument pas d’une pièce anti-théâtre ou dirigée contre les comédiens. Bien au contraire.





Vous êtres très «enceintes».

Pourquoi? Mélomane, ces grands rectangles noires ici totémiques, a priori inanimés demeurent un mystère à mes yeux. Ils produisent une sensation et un sentiment de vivant. A l’écoute de la musique, je regarde intensément les enceintes comme s’il y avait quelque chose à voir. Il en surgira réellement l’inattendu, les corps du texte.

On connait l’IRCAM (L'Institut de recherche et coordination acoustique/musique), centre se consacrant à la création musicale et à la recherche scientifique, mais l’IRMAR…

En l’occurrence il s’agissait de l’Institut des Recherches Menant à Rien, qui n’existe plus. C’était un collectif avec deux metteurs en scène que j’ai cofondé. Il a notamment produit trois spectacles autour de la question des choses, leur présence. Ainsi Le Fond des Choses: Outils, Oeuvres et Procédures inspiré par les écrits et la pensée du compositeur américain John Cage – qui a écrit en 1959, Le Discours sur rien composition musicale proche des techniques d'écriture de la poésie sonore, sous la forme d'une conférence aux accents souvent humoristiques, ndr.

Mais aussi Dada, les Situationnistes et Fluxus (mouvement artistique né dans les années 1960 recouvrant les arts visuels, la musique et la littérature, par la réalisation de concerts, d'events, la production de livres, de revues, la confection d'objets). Les acteurs y étant des ouvriers du rien, dépositaires d’un savoir scientifique sur les choses. Une façon d’être au bord du sujet ou de dire quelque chose, s’attachant à simplement être là.


Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Pièce sans acteur(s), du 2 au 7 novembre à l'Arsenic (75 min.)
Partition(s), du 4 au 7 novembre à l'Arsenic (50 min.)

De et avec François Gremaud et Victor Lenoble

Informations, réservations:
https://arsenic.ch

Filtres