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L’opérette remise à neuf

Publié le 19.09.2021

Encore une fois, c’est une opérette de la Compagnie ComiquOpéra officiellement inracontable! Mais il faut essayer. Or, donc les spectateurs de Gland (du 30 sept. au 2 oct.) et de Montreux (du 5 au 17 oct.) sont invités à découvrir sur scène la diffusion d’une opérette à succès, interprétée pour la 1000e fois par des artistes qui n’en peuvent plus. S’y mélangent et s’y télescopent le bonheur d’une œuvre presque classique, les états d’âme des chanteurs moins enthousiastes et les fastes d’une production télévisuelle. A moins que ce ne soit le contraire. Vérifications avec le metteur en scène et auteur Robert Sandoz.

Qu’est-ce qui vous a motivé à monter une opérette?

Robert Sandoz: J’aime beaucoup l’opérette. Comme le vaudeville, c’est un genre qui a été d’une certaine façon kidnappé. On considère trop qu’il n’y a qu’une manière de les monter: pour faire court, celle du théâtre privé. Si on fait autrement, ce ne serait pas drôle, ce ne serait plus ci, ni plus du tout ça. Je suis persuadé du contraire, et que l’opérette a des ressources humoristiques mais aussi thématiques qui sont importantes.

Pour reprendre le parallèle avec le vaudeville, je ne pense pas que Feydeau a du succès uniquement parce qu’il est drôle, mais aussi parce qu’il raconte quelque chose sur notre humanité, qui nous touche.



Avez-vous commencé par un stage d’immersion dans les théâtres des boulevards parisiens?

Non, pas besoin. Nous connaissons tous ce type de réalisation, depuis très longtemps. Ils sont partout.

Donc, quand vous vous emparez d’un sujet d’opérette…

... C’est l’opportunité, autant comme metteur en scène que comme auteur, de jouer avec les codes du genre, de les amener plus loin, de les traiter autrement. En l’occurrence de partir avec une opérette classique, puis de rajouter des réflexions sur cette compagnie qui joue depuis trop longtemps le même spectacle. Je peux ainsi aborder le sexisme – car les opérettes du répertoire sont souvent misogynes. J’ai aussi eu envie de parler de fumée: à la grande époque de l’opérette c’était très bien vu de fumer, alors qu’aujourd’hui, c’est banni… Bref de mettre dans le même spectacle différents regards sur certains thèmes, le regard d’avant et celui d’aujourd’hui.

C’est la Compagnie ComiquOpéra qui a lancé ce projet. Qu’est-ce qui existe déjà quand vous vous mettez au travail?

ComiquOpéra voulait l’histoire d’une troupe qui a trop joué la même pièce. L’idée des deux temporalités, celle du livret de l’opérette et celle des artistes qui l’interprètent est aussi d’elle.

Et aujourd’hui vous donnez à voir sur une même scène: une opérette classique du XIXe siècle, son interprétation par des artistes contemporains, le regard que portent ceux-ci sur le spectacle, leurs relations entre eux, et la réalisation d’un documentaire sur une représentation. C’est tout?

A peu près. Le point de départ… Sur le moment, le spectateur a l’impression de voir un documentaire sur la réalisation d’un spectacle, et… Mon seul regret une année après la création est que je n’ai toujours pas réussi à en donner un résumé concis! Personne n’y arrive! Mais je peux vous assurer que pour le spectateur, l’action est limpide: personne n’est jamais sorti de la salle en disant "Je n’ai rien compris!"





Pour sauver l’honneur, peut-on alors au moins résumer l’argument de l’opérette classique qui est au centre?

Comme je voulais aussi travailler sur la lutte des classes, j’ai créé un entrepreneur qui doit se débarrasser, pour des raisons fiscales, de son entreprise. Son idée, pour fuir le fisc, consiste à la donner à l’un de ses employés. Mais l’employé comprend que son patron veut lui donner sa femme. Et ce quiproquo traverse le spectacle – c’est un dispositif typique opérette.

Comment avez-vous travaillé avec les interprètes?

Pour interroger le thème de la lassitude des artistes qui ont trop joué un spectacle, nous avons organisé des rencontres pour discuter de ce qui était usant, pour eux, dans leur vie d’artistes, mais aussi dans leur vie familiale. J’avais envie de trouver des moyens de rendre cette usure que ressentent les personnages du spectacle plus tangible, plus universelle. J’avais envie qu’un boulanger qui assiste au spectacle puisse se dire «Moi aussi je connais cette usure après 20 ans de métier et après 20 ans de mariage.» Et cette thématique de l’usure m’a accompagné dans l’écriture.

Qu’en est-il des transitions entre les différents registres et les différentes temporalité du spectacle?

Nous avons beaucoup travaillé à les rendre organiques, limpides. Ce n’est pas évident. Car il y a d’une part la discipline du chant lyrique et la précision inhérente au vaudeville. Mais aussi les moments où les artistes doivent manifester la lassitude d’interpréter un rôle pour la millième fois, et les moments plus documentaires sur leur vie privée où ils doivent faire passer au public un sentiment de spontanéité.

Au début, nous avions créé une version du spectacle où les moments de vaudeville l’étaient à 100% et les moment naturalistes aussi. Puis, puisque nous montrons les deux, je me suis intéressé à l’influence du vécu d’un personnage sur son interprétation. On peut ainsi amener un supplément d’émotion, c’était super de pouvoir rendre ainsi les frontières moins strictes, les choses perméables. J’aime beaucoup cette notion de porosité. Mais pour arriver à évoquer cela, ma grande chance a été de pouvoir travailler avec des interprètes qui sont très à l’aise dans le jeu et sur scène.





Comme ComiquOpéra, vous avez déjà travaillé sur le mélange des genres. Quel regard portez-vous sur cette pratique?

C’est comme le cuisinier qui invente le doux-amer. Il y a deux matériaux qui existent déjà, la difficulté consiste à trouver les bons équilibres.

Le spectacle, créé il y a une année au Théâtre Le Crève-Coeur de Cologny évolue-t-il encore?

Les comédiens maîtrisent de mieux en mieux les sauts de registres et peuvent virevolter et s’en amuser. Il y a toujours une marge d’invention pour eux, mais le texte est très écrit. Il y a peu de changements. Il y aura une exception à l’occasion de l’inauguration de la grande scène du Théâtre du Jura. Pour cette seule représentation, j’ai ajouté 40 choristes, ce qui permet de jouer avec un code supplémentaire de l’opérette.

Si avec Encore une fois vous inventez une forme, que peut-on dire de son avenir?

J’ai l’impression que c’est déjà quelque chose sur quoi je travaille depuis longtemps. J’aime travailler sur une narration alambiquée, sur des retours en arrière. Comme j’aime l’opérette, je vais sans doute en refaire, mais il n’y aura pas de Encore une fois 2. Mais le mélange des genres, faire réagir un moule classique à ce que la littérature, le cinéma ou la télévision peuvent aujourd’hui offrir continue de m’intéresser. Je travaille notamment à une adaptation de La Règle du Jeu, de Renoir, afin découvrir ce que ce film de 1939 peut nous dire aujourd’hui.

Propos recueillis par Vincent Borcard

Encore une fois, une opérette de ComiquOpéra

Du 30 septembre au 2 octobre au Théâtre de Grand-Champ, Gland
Informations, réservations: https://www.grand-champ.ch/

Du 5 au 17 octobre au Théâtre Montreux Riviera
Informations, réservations: https://www.theatre-tmr.ch/

Avec Davide Autieri, baryton, Julie Cavalli, soprano, Leana Durney, mezzo-soprano, Julien Héteau, comédien, Rémi Ortega, baryton, Florent Lattuga et Adrien Polycarpe (en alternance), piano
Robert Sandoz, livret, mise en scène
Blaise Ubaldini, musique

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