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L’espoir fait vivre et mourir

Publié le 09.09.2023

Le cabaret satirique d’Hanokh Levin, auteur anticonformiste et iconoclaste à l’univers absurde et révélateur de la comédie humaine se savoure au gré des sketches composant Que d’espoir!... etc., visible au Pull Off Théâtres lausannois, du 12 au 16 septembre.

Un voyage organisé enquille visites d’église et paysages interchangeables, de l’Angleterre à la Suisse. Au cœur de ces pérégrinations encadrées, rien n’a été épargné aux touristes que les meilleures agences de voyages font «courir comme un troupeau de moutons». Plus vrai que nature. Fantômes, revenants, déporté.es en sursis, la mise en scène signée Anthony-David Gerber trouble habilement les limites d’une société sous la fascination du pire. Et brasse les époques.

A l’aune d’autres textes courts mettant aux prises des protagonistes doucement largués avec ce qui le dépasse, A l’hôtel, Le hot dog, on sait que le lait de la tendresse n’a jamais cessé d’abreuver les lignes souvent punchy de Levin. Son œuvre qui sait appréhender la vie et le politique, le social et l’histoire comme nulle autre - Yaacobi et Leidental, Kroum l'ectoplasme, Tout le monde veut vivre... - est certes empreinte d’Absurde, de violence et de cruauté. Mais elle nous murmure aussi que nous sommes tissés de fils d’enfance. En plein conflit russo-ukrainien, dont les pertes effroyables seraient équivalentes à la Première Guerre Mondiale, la poignante Lettre d’un soldat à son père fait office d’inscription universelle sur sépulture. Cette chanson semble s’adresser à tous les soldats défunts, anonymes et oubliés dans une guerre: «Ne parle surtout pas de ton grand sacrifice/Le sacrifice c’est moi seul qui l’ai fait…/Quand tu seras debout au-dessus de ma tombe…/Papa, demande-moi pardon».

Féroce pacifiste, inlassable pourfendeur de l’humaine bêtise, le dramaturge israélien membre du Parti communiste et décédé en 1999 à 55 ans n’a rien perdu de son acuité. Il écrit dans un pays en guerre alors qu’il fut en son temps en butte à la censure étatique. Rencontre avec l’un de ses humbles passeurs, le metteur en scène et comédien Anthony-David Gerber.



Comment s’est déroulée votre rencontre avec l’univers d’Hanokh Levin?

Anthony-David Gerber: Ce fut en 2010 autour de sa pièce Funérailles d’hiver et ses personnages enlisés dans des situations contraintes et obligées. L’humanité et l’humour noir m’ont immédiatement séduit, halluciné chez cet écrivain d’une brillante sagacité. Partant de ce vaudeville survolté et franchement dingue, je me suis rué avec appétit sur toute son œuvre souvent marquée par une forte autodérision.

Cela m’a amené pour ce spectacle à faire un choix de textes de cabaret, chansons et lettres tirés de deux recueils, Que d’espoir! et Douce vengeance. D’où le souhait de nommer la création Que d’espoir!... etc., tant elle est un montage dramaturgique de ces recueils. Ce titre s’est imposé sur la suggestion de la géniale traductrice de l’œuvre d’Hanokh Levin, Laurence Sendrowicz rencontrée à Paris. Elle fut d’abord comédienne avant de se consacrer à l’écriture dramatique et devenir traductrice de théâtre et littérature hébraïque contemporaine. Depuis 1991, elle traduit Hanokh Levin qu’elle a diffusé dans les pays francophones.



Pourquoi ouvrir la pièce avec le récit, Le Voyage organisé?

Ce fut une évidence! Le travail sur ce texte en y mettant des césures pour distribuer les voix a permis de le dynamiser. Il existe au fond deux pistes dramaturgiques principales expliquant l’option de débuter par ce récit. En premier lieu, pourquoi ne pas suggérer ainsi au public qu’on l’emmène avec nous faire un voyage? Et que ce voyage a une issue incertaine, voire trouble. Un personnage évoque le côté épuisant du voyage organisé tout en le trouvant merveilleux.

Les protagonistes finissent ainsi par dire que plus jamais ils n’iront en voyage organisé. En témoignent les costumes des interprètes. Sont-ils dans un simple wagon lit? Ou ce train les emmènent-ils à leur destination finale? On ne sait trop tant les grilles de lecture sont multiples. Pour le spectacle, il est composé de monologues, duos, et trios entrecoupés de chansons. Il joue sur la légèreté, l'humour, tout en gardant à l’esprit l’idée de mémoire, le poids de l'histoire, sans laquelle nous ne serions peut-être pas là, ou en tous les cas pas les mêmes.





Au plateau pour Le Voyage organisé, les voix et les trois interprètes sont étagés dans ce que vous appelez des clapiers. Et ce que le photographe plasticien français Christian Boltanski nomme des lieux de mémoire.

Absolument. Christian Boltanski est l’inspiration principale du scénographe Nicolas Marolf. Il a réalisé toute une réflexion sur l’intérêt de Christian Boltanski pour les Monuments, la banalité des objets et des situations quotidiennes qui poussent le spectateur à l’identification.

D’autre part, la présence d’un tas de vêtements sur la scène dans lequel les deux comédiens et autant de comédiennes viennent puiser leurs rôles successifs ouvrent sur une tristesse: Nos vies sont-elles que cela, des peaux de rôles sociaux réels ou disparus*?S’agit-il de personnages qui ont dû abandonner précipitamment leurs habits?

Le spectacle reste donc ouvert dans sa signification...

Oui. Nous n’avons pas souhaité imposer un sens unifiant, monolithique et singulier. Certaines personnes ressortent du spectacle l’ayant trouvé à drôle et léger voire saupoudré de sachets d’humour noir. Ainsi l’impression d’avoir déjà vécu ce type de voyage organisé dépeint dans le cabaret. D’autres spectateurs estiment l’atmosphère inquiétante et sombre. Elle pourrait évoquer de loin en loin les déportations vers les camps Nuit et brouillard.





Le sketch A l’hôtel est un bijou d’Absurde...


Il témoigne également d’une grande finesse d’observation. Je me suis rendu à plusieurs reprises en Israël, dans les kibboutz à la vie très organisée. Au détour de A l’hôtel, on découvre un personnage naïf semblant littéralement tombé de la lune. Il arrive dans un hôtel londonien dont les us et coutumes lui sont parfaitement étrangers. La fable creuse l’écart entre les deux univers respectifs du réceptionniste et du touriste que tout sépare. Le visiteur découvre des réalités comme la liberté de se lever à l’heure désirée qui lui parait folle et incongrue.

Vous incarnez aussi un balayeur.

A mes yeux, il s’agit du fantôme ou de l’âme errante du théâtre. On ne sait si ce personnage a une quelconque utilité ou est une pure convention théâtrale pouvant devenir l’assistant de la magicienne. Est-il réel ou non? Est-ce un personnage venu du passé rejoignant cette réflexion sur le tas d’habits présent au plateau. Ces vêtements appartiennent-ils à des disparus? Ont-ils été oubliés? La question reste entière. Ce personnage est d’ailleurs le premier à revêtir l’un de ses vêtements entassés pour interpréter un autre rôle. J’aime que cet amas de vêtements puisse ouvrir sur de multiples dimensions. Raconte-t-on ainsi, par exemple, le passé d’une personne?

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Que d'espoir, etc...
Du 12 au 16 setpembre au Pulloff Théâtres, Lausanne

Hanokh Levin, texte - Anthony-David Gerber, mise en scène 
Avec Edmée Fleury, Anthony-David Gerber, Yves Jenny et Christine Laville

Informations, réservations:
https://www.pulloff.ch/que-d-espoir-etc/


* Sous la nef verrière du Grand Palais, Christian Boltanski installe en 2010 des monticules et masses de vêtements récupérés. Continument une grue en soulève plusieurs avant de les laisser retomber sur fond de battements cardiaques. Si la référence à la Shoah se dessine, l’œuvre installative concerne nos sociétés toutes entières. Qui rebrassent et recyclent voire déplacent et déportent les identités et leurs enveloppes vides. Vertigineux, ndr.

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