Social Tw. Fb.
Article

L’écologie, c’est d’abord le souci de l’autre

Publié le 16.09.2021

Vidy, c’est parti! Près de 30 spectacles, dont ceux de Christophe Honoré, Anne Teresa de Keersmaeker, Christophe Marthaler ou Katie Mitchell sont au programme d’ici février 2022. Derrière l’affiche, on découvre que la saison du Théâtre de Vidy débute après une année particulière qui aura accéléré une passionnante réflexion déjà engagée sur le futur du théâtre. Focus avec Vincent Baudriller

La pandémie n’a pas été qu’une malédiction pour les acteurs culturels. Ou du moins, pas que. «Nous avons beaucoup réfléchi au futur du théâtre et sur la durabilité», a expliqué le directeur de Vidy Vincent Baudriller, lors de la présentation de sa saison devant la presse. «L’écologie, c’est d’abord le souci de l’autre, des autres. La singularité des arts vivants, c’est qu’ils favorisent une expérience de l’autre, de l’intime - beaucoup de projets présentés cette saison partent directement ou indirectement de ces thématiques. Et au sein du théâtre, nous nous retrouvons dans la position où il faut travailler à la réduction progressive de notre empreinte carbone, tout en restant ouverts aux artistes du monde. Nous devons trouver un équilibre entre les deux.»


La saison qui s’annonce peut aussi se lire sous d’autres grilles, et se décliner entre créations, spectacles reportés de la saison écoulée, et spectacles donnés hors-les-murs. Les travaux de rénovations du bâtiment historique théâtre, la Salle Charles Apothéloz, ceux de la réalisation d’un bel espace de répétitions, bref les travaux qui rythment la vie de l’institution depuis de nombreux mois vont se poursuivre, amenant à une programmation hors-les-murs, pour des représentations à découvrir à l’Opéra de Lausanne, au Musée cantonal des Beaux-Arts ou encore à l’Université de Lausanne.

Danser avec l’autre
Le premier spectacle qui conjugue l’ouverture au monde et la réduction de l’empreinte carbone est Trio, actuellement en production. «Monika Gintersdorfer a réuni trois danseurs de danses urbaines de trois cultures différentes - Mexico, New York, Côte d’Ivoire. La question est ici d’expérimenter comment est-ce qu’on trouve un langage commun quand on ne parle pas la même langue et ne pratique pas les mêmes danses.» Le spectacle est présenté à la suite d’une résidence à Vidy, au mois d’août. «Ce spectacle souligne l’importance qu’il y a à conserver le lien aux autres cultures, avec notamment des pays qui ne portent pas la même responsabilité sur le dérèglement climatique.»




Diriger via l’électronique, éclairer à la force du mollet
Une autre manière de penser le théâtre «d’après» se découvre dans les propositions de Katie Mitchell (dès le 25 septembre) et Jérôme Bel (en juin 2022). Leurs spectacles sont nés de réflexions sur la circulation des œuvres en temps de pandémie, et des conséquences sur les processus de création.

"Avec Une pièce pour les vivant-e-x-s en temps d’extinction, d’après le texte de Miranda Rose Hall, la metteurse en scène Katie Mitchell réfléchit à notre responsabilité et à nos actions possibles. Ce spectacle éco-responsable et engagé sur les questions sociales et de représentation n’aura pas recours à l’électricité du réseau, mais produira sa propre énergie via les efforts de deux cyclistes. Et Katie Mitchell dirigera les répétitions à distance, via Zoom. Le spectacle sera créé à Lausanne. Les représentations donneront lieu à un script qui sera transmis aux treize théâtres partenaires du réseau européen «Théâtre en transition» qui recréeront le spectacle avec des équipes locales.

Cette méthode existe déjà un peu pour la danse, à ma connaissance pas pour le théâtre. L’idée n’est pas de dire que le théâtre va devenir cela, mais cela demeure un exercice, une recherche pragmatique de nouveaux possibles."

Partager les bonnes pratiques La problématique des tournées, de leur importante empreinte carbone, des difficultés d’obtenir des visas en période de pandémie est partagée par beaucoup d’artistes. Et à l’échelle du globe, de nombreuses solutions ont été mises en place pour maintenir la singularité du vivant dans la représentation. «Nous avons donc eu l’idée de lancer un recensement, un catalogue de ces formes artistique qui voyagent sans voyager. Cette initiative, conjuguée par 5 curateur·ice·s issu·e·s des 5 continents, s’est concrétisée début septembre par un atlas, un Open Source d’idées et bonnes pratiques, Showing without Going qui sera présenté au public de Vidy début octobre.




Mais à Vidy, on verra surtout beaucoup de spectacles pour penser le monde et l’actualité. Nul spectacle n’incarne la résistance à la pandémie que Contre-enquêtes (dès le 6 octobre), de Nicolas Stemann. «Il a été repoussé trois ou quatre fois, avant une création en mars dernier, devant un public de professionnel·le·s et d’enseignant·e·s uniquement. Le texte de Kamel Daoud donne la parole au frère de l’arabe tué par le héros de L’Etranger de Camus. Et il est intéressant de découvrir comment Stemann fait dialoguer l’Algérie de Camus de 1942, et celle de Daoud d’aujourd’hui. Le spectacle pose la question de savoir qui est légitime pour parler de colonisation et de décolonisation, une question centrale aujourd’hui dans les arts.»

Résistance poétique
La découverte de l’autre est aussi au centre de La Luna en el Amazonas, du collectif suisso-colombien Mapo Teatro (dès le 10 novembre). «La troupe a mené une enquête sur une tribu amazonienne qui a refusé la civilisation. C’est un spectacle qui a recours aux archives, à la vidéo à des matériaux sonores pour créer un récit, une sorte d’ethno-fiction futuriste qui se découvre aussi comme une résistante poétique à de nouvelles formes de violence idéologique et écologique.» La venue à Lausanne de cette troupe de Bogota s’inscrit dans une tournée européenne pour réduire l’impact carbone.

Après Les Idoles, qui faisait revivre, la saison dernière, des artistes morts du Sida, Vidy accueille la nouvelle création de Christophe Honoré, Le Ciel de Nantes (dès le 19 novembre à l’Opéra de Lausanne), dans lequel l’écrivain-cinéaste et metteur en scène demande à ses comédien·ne·s d’incarner les membres de sa propre famille, sur trois générations. Ce spectacle compte parmi les plus attendus de la nouvelle saison.

Marthaler, le médium
Autre point fort, Aucune idée, de Christoph Marthaler (dès le 5 décembre). «Il est important pour moi de programmer celui que je considère comme un des artistes majeurs de ces dernières décennies. Il vient avec cette petite forme qui nous invite à suivre un homme qui vit seul dans son appartement, et qui s’éloigne progressivement du monde extérieur. Comme souvent avec Marthaler, c’est un spectacle de théâtre musical, de situation dans lequel l’humour se teinte de mélancolie.» Accessoirement un spectacle prémonitoire. Pensé avant la pandémie, l’équipe artistique aurait réalisé en cours de création qu’elle racontait l’histoire d’une personne qui ne sortait plus de chez elle!

Propos recueillis par Vincent Borcard lors de la conférence de presse du Théâtre de Vidy, le 30 août


Programme complet, informations et réservations:
vidy.ch

Filtres