"Je ne regrette pas d’avoir choisi le "Concert" de Chausson. Avec Nelson Goerner, nous avons d’ailleurs pour projet de l’enregistrer"
Repéré très jeune, le violoniste d’origine albanaise a quitté la dictature de l’Albanie communiste d’Enver Hoxha pour la France, où il a étudié avec Pierre Amoyal au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.
Aujourd’hui installé à Genève où il enseigne à la Haute école de Musique, Tedi Papavrami possède un large évantail d’intérêts. Rencontre avec l’artiste aux multiples facette.
Lors de votre concert aux Variations Musicales de Tannay, vous interpréterez le Concert pour violon, piano et quatuor à cordes de Chausson, qui n’est pas son œuvre la plus connue.
Je me rends compte que, pour la plupart des mélomanes, Chausson n’est associé qu’à son Poème pour violon et orchestre. Il n’a pas énormément composé, mais tout ce qu’il a écrit est absolument précieux et, à mon sens, le Concert n’est pas inférieur au célèbre Poème.
C’est une œuvre plus longue et presque plus extraordinaire, avec une partie de piano gigantesque faite de milliers de notes. L’instrument porte toute l’harmonie et la magie qui en émane.
Le violon a le beau rôle ici, car nous avons les phrases, les belles mélodies que l’on pourrait retrouver dans un concerto que Chausson n’a pas eu le temps d’écrire. Sans oublier le quatuor à cordes qui colore magnifiquement le tout.
Je ne regrette pas d’avoir choisi cette œuvre. Avec Nelson Goerner, nous avons d’ailleurs pour projet de l’enregistrer.
Avec Nelson, certainement. En revanche, ce sera la première fois que je jouerai avec le Quatuor Van Kuijk; si tout se passe bien, pourquoi pas, ce serait assez logique.
Dans tous les cas, cela fait un moment que Nelson et moi avons en tête l’idée du Concert de Chausson et de sonates françaises. Nous avions commencé ce projet il y a huit ans en enregistrant les sonates de Fauré et de Franck, mais malheureusement, en raison de problèmes physiques auxquels je devais faire face à l’époque, la suite est restée en suspens.
La situation actuelle n’est plus la même et pourrait nous permettre de le reprendre.
Vous mettez en avant les différents domaines d’intérêts de Chausson: littérature, peinture, musique et droit. Vous êtes vous-même interprète, transcripteur, traducteur et vous écrivez. La personnalité de Chausson fait écho à la vôtre?
Je pense que Chausson devait posséder un esprit tellement cultivé et raffiné que je n’ose même pas imaginer. Son niveau de connaissances et de sensibilité sur des domaines divers comme la peinture ou la poésie devait être impressionnant. Je ne me risquerais pas à me comparer à lui, mais effectivement, ça me parle.
En tant qu’être humain avant tout. On peut être un très grand musicien sans pour autant avoir un horizon aussi large dans d’autres arts. Cela n’enlève en rien au génie expressif de certains interprètes. Tous les cas de figure peuvent cohabiter, mais humainement, je pense que c’est préférable.
Nous avons plutôt l’habitude de vous entendre dans des répertoires concertants ou pour violon seul. Quelle place occupe la musique de chambre dans votre activité?J’ai joué beaucoup de musique de chambre, à vrai dire. J’ai notamment fait partie du Quatuor Schumann pendant neuf ans et joué plusieurs fois en concert l’intégrale des trios de Beethoven avec François-Frédéric Guy et Xavier Phillips. Cependant, il est vrai que je m’y suis mis un peu tard par rapport à certains de mes collègues, après l’âge de 25 ans.
Un peu trop tard à mon goût. Cela m’a valu d’être catalogué « virtuose », ce qui est un peu bête, mais je ne m’étais pas rendu compte à quel point les gens vous assignent une place, et quand on vous colle une étiquette, il faut bien dix ans pour s’en débarrasser.
J’ai rencontré des musiciens qui pratiquent la musique de chambre depuis leur plus jeune âge, et ils ont une aisance que je suis obligé de compenser par davantage de travail. Ce n’est pas plus mal, par ailleurs, parce qu’en musique de chambre, on peut facilement tomber dans le côté «on se retrouve entre potes, on déchiffre la veille et tout va bien se passer».
Si je faisais cela, je serais angoissé et pas à l’aise. Se sentir éternel novice n’est peut-être pas mal pour pratiquer un art.
Dans la technique, je considérais - peut-être à tort - qu’il y a une limite d’âge dans certains acquis physiques, qui n’existe pas dans la musique elle-même. J’étais tellement braqué sur le désir d’atteindre ce niveau de technique que je me disais, à l’époque, qu’il serait toujours temps de se plonger dans la musique de chambre plus tard.
Je suivais ce que faisaient les exemples que j’avais en tête: les grands maîtres du passé enregistraient beaucoup de virtuosité à leurs débuts. Cela ne veut pas dire qu’ils étaient superficiels, c’est simplement qu’il y a un âge pour tout, mais les gens jugent plus facilement par le répertoire que vous jouez que par ce que vous en faites.
Une de mes envies serait de présenter au public davantage de jeunes talents. Des artistes que je trouve très intéressants mais qui ne sont pas forcément sous le feu des projecteurs.
Favoriser la découverte de nouveaux artistes, c’est essentiel; j’étais moi-même très heureux d’être invité dans des festivals lorsque j’étais plus jeune. Nous donnerons donc l’occasion à de jeunes musiciens des HEM de Genève et Lausanne et de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de se produire.
C’est tellement facile de nos jours. Il existe beaucoup de musiciens passionnants et extraordinaires qui ne sont pas connus dans la région, ou qui sont tout simplement méconnus parce qu’ils ont des personnalités discrètes. Je n’aurai aucune hésitation à inviter quelqu’un de très jeune et qui n’est pas encore sous les projecteurs, mais qui me convainc.
Des artistes que vous rencontrez par exemple au cours de masterclasses ou concerts que vous donnez?
Pas cette fois, en tout cas. Ce sont parfois des artistes qui m’ont fasciné en tant qu’auditeur lors de concerts qu’ils donnaient, qu’ils soient violonistes, violoncellistes ou pianistes...
Ce n’est vraiment pas le but, et je pense que l’on s’en rendra compte assez vite. En faisant cela, la surprise n’est pas au rendez-vous et les découvertes sont moindres... Dans la prochaine programmation figurent des musiciens que je ne connaissais pas personnellement; je les ai contactés via leurs agents par la voie complètement normale et anonyme.
J’espère surtout guider le public à découvrir des personnalités nouvelles, que je découvre parfois moi-même également. Mon objectif est de partager les personnalités qui me touchent et qui me semblent artistiquement intéressantes.
Mon envie de proposer des découvertes passe également par des compositeurs un peu moins évidents. Ce n’est pas pour autant pas qu’une œuvre très connue doit être évitée à tout prix.
Mais par exemple, j’aurais trouvé dommage de priver le public d’une œuvre sublime comme le Concert de Chausson, même si c’est un risque à prendre.
C’est aussi le travail du festival, de la communication et des attachés de presse d’informer au maximum pour inciter le public à la découverte. Il y a, derrière, une mission éducative, pour que le public ne retrouve pas la même chose d’année en année.
Variations Musicales de Tannay
Du 15 au 25 août 2024 dans le parc du Château de Tannay (Sous chapiteau)
Mardi 20, Renaud Capuçon
Jeudi 22, Hélène Grimaud
Vendredi 23, Éric Le Sage & Cameristi della Scala
Samedi 24: Nelson Goerner, Tedi Papavrami et Quatuor Van Kuijk
Dimanche 25, Trio Wanderer
Informations, réservations:
https://musicales-tannay.ch