Imaginaires partagés
Par sa performance écologiquement engagée Wasted Land, Ntando Cele pose un regard critique sur les désastres humains de la Fast-Fashion, un regard et un discours hégémoniquement blancs portés sur les questions climatiques qui concernent pourtant l’humanité tout entière.
Les œuvres de cette demi-saison, qu'elles abordent des thèmes sociaux, politiques ou environnementaux, sont autant d'invitations à reconsidérer notre place et notre rôle dans le monde actuel. La question des héritages culturels et de la transmission traverse également la programmation.
Des récits comme ceux de Dieudonné Niangouna (Opération Rumba), qui évoque un voyage au pays de la rumba, ou le spectacle Reminiscencia dû à Malicho Vaca Valenzuela nous rappellent l'importance de nos racines et de notre histoire collective.
Avec une programmation qui oscille entre poésie et engagement, ce lieu scénique tellurique au fil de l’eau semble inviter le public à un voyage introspectif et collectif à travers les arts vivants. D’ici et d’ailleurs. Dialogue avec Vincent Baudriller, directeur du Théâtre de Vidy.
En ouverture de saison, Yvette Théraulaz. L’actrice historique incarne cette mémoire vivante du théâtre dont Stefan Kaëgi avait passé la voix passionnée dans le déambulatoire et audio parcours Boîte noire - Théâtre fantôme pour une personne, l’un des seuls spectacles accessibles durant le pic de la pandémie en Suisse romande au printemps-été 2020.
Dans un art éphémère disparaissant avec le temps et se vivant au présent comme le théâtre, la question de la transmission est essentielle. Yvette Théraulaz a songé à l’écrivain, dramaturge et metteur en scène français, Pascal Rambert, qui souhaitait écrire un texte pour cette actrice tant il était inspiré par sa voix et son phrasé.
Sous le titre, L’Interview 2 (du 19 septembre au 10 octobre), on suit l’histoire d’une artiste-actrice rencontrant une danseuse désormais à la retraite qui pourrait être sa grand-mère.
Chez Pascal Rambert, les non-dits et les souffrances pouvant exister entre les êtres affleureront avant de se révéler au fil d’un dialogue réunissant deux femmes de générations contrastées.
Chez cette artiste sud-africaine vivant à Berne, j’apprécie son engagement, caractère et humour. Ces spectacles questionnent le racisme existant en Europe en l’abordant de différentes manières.
Inspiré par The Waste Land (La Terre vaine) écrit en partie à Lausanne par T.S. Eliot, poète, dramaturge et critique littéraire, Wasted Land (du 20 au 29 septembre), sa création à Vidy interroge la question de l’écologie dans une perspective décoloniale. Ntando Cele dénonce une approche occidentalocentrée d’une certaine écologie considérant l’Afrique comme un lieu des déchets mondialisés.
Elle prend comme exemple un type de mode jetable, la Fast-Fashion à l’impact environnemental problématique et dont les détritus se retrouvent notamment sur le sol africain. En compagnie d’autres interprètes et chanteuses afrodescendantes, l’artiste crée alors une comédie musicale et engagée.
Massimo Furlan a créé 1973 évoquant le 18e Concours de l’Eurovision de la chanson remporté par la Suisse avec Patrick Juvet (Je vais me marier Marie) en chantant toutes les chassons du concours. Ceci au Festival d’Avignon, lorsque j’en avais la charge aux côtés d’Hortense Archambault.
Je les suis depuis notamment au travers de leur production Hospitalités (2017), une forme de théâtre documentaire d’enquête autour de la création d’un Centre pour migrant.es au Pays basque.
Avec une grande humanité, humilité et en empathie, Furlan et de Ribaupierre convient sur scène des personnes que l’on n’a guère l’habitude de voir au Théâtre. Elles sont associées avec des actrices et acteurs.
Ainsi pour Les Italiens racontant l’immigration de ces hommes venus d’Italie construire la Suisse moderne dans les années 50-60.
Quant à elle, la création Le Lasagne della Nonna (du 19 septembre au 29 septembre) se consacre aux Italiennes, ces femmes arrivées en Suisse pour suivre leurs maris notamment. Elles travaillèrent dans plusieurs secteurs économiques, dont les usines d’horlogerie.
Mais tout en devant de surcroit assumer leurs rôles de mères ou de grand-mère. De fait, figure le récit de plusieurs Italiennes vivant dans le Jura suisse ouvrier, dont une raconte son lien à son petit-fils qui est acteur.
Lina Prosa est une grande figure engagée du théâtre italien contemporain. Entrée au répertoire de la Comédie française, cette dramaturge a beaucoup écrit sur la question de l’immigration. Elle est au cœur de sa Trilogie du Naufrage, composée de Lampedusa Beach, Lampedusa Snow et Lampedusa Way.
L’auteure s’intéresse ici à la figure complexe et mythique de Médée. Par amour, celle-ci quitte sa terre d’origine et doit s’exiler. L’écrivaine se saisit de cette protagoniste chargée de tous les drames passés et présents de l’Europe. Une Médée d’aujourd’hui, (Médéas-S, du 26 au 28 septembre) au cœur de la Méditerranée. Et magnifiquement servie par une écriture singulière.
Carolina Bianchi met en lumière les violences faites aux femmes.
A Noiva e o Boa Noite Cinderela (La Mariée et Bonne nuit Cendrillon, du 9 au 11 octobre) par la metteuse en scène, écrivaine et artiste brésilienne Carolina Bianchi se rattache à la performance liée aux arts visuels. L’artiste expose et interroge d’abord les représentations dans l’histoire de l’art du viol et du féminicide. Elle cite le parcours tragique d’une performeuse italienne, Giuseppina Pasqualino di Marineo (alias Pippa Bacca).
En robe de mariée comme signe de fraternité, elle sillonnait en performance itinérante les pays en conflits - l'ex-Yougoslavie, la Slovénie, la Syrie... - pour prôner la paix et le dialogue avec l’Autre.
Violée et étranglée, elle meurt en 2008 à Gebze (Turquie). Carolina Bianchi, elle, prend sur scène la drogue du violeur qui s’appelle Bonne nuit Cendrillon au Brésil. Endormie par ce stupéfiant, elle laisse se déployer au plateau des images de danses, de fêtes, violences et viols. Pour mieux interroger la violence et ses représentations sur scène. Un spectacle puissant qui ne laisse guère indemne.
Après notamment Virginie Despentes, Annie Ernaux et Peter Handke tous accueillis à Vidy, Emilie Charriot est une artiste qui fait preuve d’une vraie et belle attention aux mots et aux acteurs et actrices. Elle a ici rencontré trois des plus grands interprètes travaillant en Francophonie, Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond.
À travers le compte-rendu d’un fait divers sordide, Marguerite Duras invite dans L’Amante anglaise (du 27 novembre au 8 décembre) à une enquête sur le (non-) sens d’un geste incroyablement violent sorti de l’ennui d’une petite bourgeoisie. Grâce à ce spectacle, il s’agit de l’interrogation de la place du féminin et des femmes dans la société.
Travail débuté sous le confinement, Reminiscencia (du 4 au 8 décembre) parvient à relayer l’histoire du Chili, du quartier de Santiago où il vit avec le récit intime de Malicho Vaca Valenzuela né en 1987. Engagé très jeune dans les manifestations étudiantes, il a grandi éduqué par ses grands-parents, dont sa grand-mère.
Aujourd’hui amnésique, elle ne se souvient que des chansons d’amour chantées dans sa jeunesse. La pièce se développe à la manière d’un collage d’images. Elles sont puisées dans ce qu’il nomme son roman familial et sur le net.
C’est un immense acteur, auteure et metteure en scène originaire de Brazzaville. Il ne cesse d’interroger sa propre histoire et la Grande Histoire, celle du continent africain et de son pays. L’artiste part du récit de deux frères ayant quitté les terres de leurs origines congolaises.
C’est naturellement une histoire de la rumba, musique partie des Royaumes congolais pour voyager sous l’esclavage et la période dite de «la traite négrière»**. Elle revient in fine en Afrique.
Vidy Théâtre - Lausanne
Demi-saison septembre 2024 - février 2025
Voir le programme complet:
https://vidy.ch/fr/saison/
* Au Théâtre de Vidy, Dieudonné Niangouna a présenté Le Kung-Fu (2014), créé Nkenguegi (2016). Son texte Et Dieu ne pesait pas lourd... est monté et interprété par Frédéric Fisbach (2019).
** Nommée aussi «La traite des Noirs», elle désigne le commerce des esclaves dit noir.es déporté.es d’Afrique. Elle s’étend sur treize siècles et comprendrait quelque 50 millions de victimes. Elle compte la traite orientale, la traite infra-africaine et la traite atlantique appelée aussi occidentale, ndr.