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Hugo redécouvert

Publié le 16.03.2025

Le Projet Hugo – de quoi demain sera-t-il fait? se veut une immersion vibrante dans l’univers de l’auteur des Misérables, où le théâtre, le cabaret, la musique et le verbe s’unissent pour faire résonner la puissance intemporelle de son œuvre.

Ce spectacle de théâtre musical est à l’affiche du Reflet à Vevey, le 25 mars et en tournée romande.

Porté par la mise en scène de Lorenzo Malaguerra et Philippe Soltermann, un Hugo’s Band, des comédiennes et comédiens engé.es, ce spectacle hybride explore l’homme derrière le monument.

Défilent alors le journaliste se battant pour la justice et contre la peine de mort, l’indigné dénonçant la nuit sociale, l’oppression systémique de la femme par la prostitution de survie. Hugo est un et multiple.

On le redécouvre entre évocations baroques, scènes rejouées, envolées lyriques et punk, tableaux musicaux et mise en abyme de la narration scénique, échos de la bataille d’Hernani *, ses plaidoyers contre la peine de mort ou encore ses amours tumultueuses prennent vie sous une forme à la fois artisanale et intime.

Son sous-titre, emprunté aux Chants du crépuscule, De quoi demain sera-t-il fait?, pose une question toujours brûlante sur l’avenir de la pensée, de la révolte et de l’utopie.

Entretien avec Lorenzo Malaguerra.



De quoi demain sera-t-il fait?
est un texte témoignant de l’humanisme et de l’idéalisme parfois naïf de Victor Hugo. Pourquoi ce sous-titre?

Lorenzo Malaguerra: Il me paraissait important en ces temps troublés, où la vision de l’avenir est tout sauf positive, ce qu’elle était aussi au XIXe s. de poser un Hugo ayant une vision positive du progrès social et scientifique. Quitte à être utopiste.

Cette conception positive de l’humanité transparait dans son énergie romanesque, poétique et vitale. Voici une dimension thérapeutique contribuant à mettre la pensée en mouvement.

Cette position contraste avec la complainte de la catastrophe sociale. Chez l’écrivain, la pensée a cette qualité de toujours se projeter ver le devenir. On ne sait évidemment ce dont nos lendemains seront faits.



À travers ses romans, Les Misérables et L’Homme qui rit notamment, Victor Hugo interroge l’inanité de la justice, les inégalités sociales et la mort de faim des enfants avec une acuité rarement égalée. Qu’en avez-vous retenu?


Ce que j’ai découvert à travers ses deux œuvres est précisément son activité moins de journaliste que de chroniqueur du quotidien.

De sa liste de courses à sa comptabilité quotidienne en passant par la misère des faubourgs de Paris.

Le roman fleuve écrit en grande partie en exil dans une relative solitude, Les Misérables, témoigne avant tout de l’acuité d’un regard porté sur la société et les réalités de son temps. Mais aussi de cette capacité à traduire les faits dans la leur plus grande cruauté, radicalité et objectivité.

Il a ainsi pu rendre l’essence de ce qu’est la misère à travers ses romans.

Le spectacle débute par une évocation des funérailles de Victor Hugo. Il est dit qu’environ deux millions de personnes assistèrent au cortège funéraire, une affluence inédite dans l’histoire de la France.


Aux côtés de nombreuses délégations étrangères, tous les milieux sociaux y sont représentés - ouvriers, intellectuels, hommes politiques, écrivains, artistes... Tant la Province que Paris sont représentés.

Le cortège, qui s’étend sur plusieurs kilomètres, suit l’itinéraire depuis l’Arc de Triomphe jusqu’au Panthéon.

Je ne suis pas certain que l’on ait conscience en Suisse de la popularité de l’homme qu’était Hugo. À ce titre, il est loin de n’être qu’un écrivain. Mais bien une personnalité et un artiste ayant largement rencontré une époque et un peuple.

Victor Hugo, essentiellement connu pour sa poésie et ses romans, a aussi profondément marqué le théâtre français du XIXᵉ siècle.

Si la bataille d’Hernani* évoquée dans le spectacle a eu autant d’importance, c’est pour dire que le théâtre est le lieu de tous les possibles. Le théâtre comme scène était un lieu d’affrontements y compris physiques et de contestions violentes, ce qui n’est plus guère le cas aujourd’hui.

Cette confrontation entre esthétiques et générations pouvait aussi se manifester sur un plan physique.

Quels ont aujourd’hui les lieux artistiques de débats et de contestations. C’est une interrogation que pose en creux ce spectacle à travers les batailles que l’œuvre d’Hugo et son engagement ont suscité.





L’œuvre dramatique, participant du mouvement romantique, a bouleversé les codes du théâtre classique et proposé une nouvelle esthétique. Elle est basée sur la liberté, le contraste et l’engagement politique.


Oui. Toute espèce de narration et d’invraisemblance y semble aussi bienvenue.

Rocambolesque, le répertoire hugolien est parfois étrange et maladroit, excessif voire épisodiquement caricatural.

Par son audace dramaturgique et son engagement politique, l’écrivain annonce le théâtre de Brecht ou de Sartre au siècle suivant.

Le cinéaste Tom Hooper a opté pour le film musical dramatique dans son adaptation des Misérables, roman fleuve de 1000 pages faisant référence à la misère, l’injustice sociale, le combat pour la liberté. Vous faites aussi le choix de compositions et de parties chantées en mêlant étroitement drame musical et texte.


Nous tentons d’insuffler, à une modeste échelle, une dimension moins de comédie musicale qu’opératique.

En d’autres termes, il s’agit de miser sur une certaine diversité d’adresses et de styles narratifs, de contenus et de tons dans ce spectacle co-écrit avec Mali van Valenberg et Philippe Soltermann.

Entendre seulement des textes d’Hugo pendant presque deux tours d’horloge, cela prend le risque d’être relativement pesant.

Dès lors, pourquoi ne pas envisager la musique comme une forme d’évasion face à des textes souvent graves, puissants et tragiques.

Le mot «diversité» est un peu la clé de cette réalisation.

Assurément. Au fond, ce recours à la musique jouée live créée plus de liberté.

Il permet d’aller musarder dans l’électro, le jazz et la chanson française, voire des registres plus mêlés et punk.

Le Projet Hugo – de quoi demain sera-t-il fait? convoque aussi plusieurs genres scéniques, le cabaret, l’opérette, le récit théâtralisé, la choralité, la performance jusque dans des exercices d’échauffement à la scène.





L’opus est travaillé par une énergie punk et alternative.

Le côté punk vient aussi de descriptions de la bataille d’Hernani. Les jeunes gens de la bande à Hugo, dont l’écrivain, romancier, dramaturge et poète du romantisme français, Alfred de Vigny ne seraient-il pas littéralement les punks dans une variante dandy d’aujourd’hui.

Un épisode important est celui de la perte de sa première fille, dont l’écrivain ne se remettra jamais.

Il éprouvait pour elle un amour paternel complexe et profond, intense et possessif. Hugo est ce père inconsolé de la mort accidentelle de sa première fille, l’angélique Léopoldine.

Elle se noie à 19 ans, le 4 septembre 1873. L’impact de cette disparition est important. Hugo cesse toute publication littéraire pendant près d’une décennie.

L’écrivain tentera de «communiquer avec elle» en se tournant vers le spiritisme et les tables tournantes. L'influence de cette perte se ressent dans de nombreux écrits de Hugo.

Ainsi Les Contemplations, où il exprime sa douleur et son désir de communion avec l'âme de sa fille disparue. L’homme dévoile une dimension trouble dans son rapport au féminin.


Hugo témoigne d’un rapport éminemment problématique aux femmes. Dès lors, il me semblait important que cette parole hugolienne soit aussi être portée par des comédiennes sur un mode parfois volontairement violent, agressif et critique.

Nous avons abordé certains de ces comportements d’emprise et de harcèlement au début de la pièce et au détour d’une confrontation entre une jeune comédienne et des comédiens plus âgés.

Il s’agit alors de mettre en abyme cet Hugo intime qui défend les prostituées et dénonce leur exploitation par écrit, à travers le personnage de Fantine (Les Misérables) tout en les fréquentant assidûment.

Il faut toutefois rappeler que ses écrits et son action politique ont fait avancer la justice sociale. Que l’on songe notamment à son combat contre la peine de mort, la misère, la mort des enfants et la faim.

Malgré ses multiples infidélités, Juliette Drouet l’accompagnera une grande partie de sa vie...


La relation entre l’actrice Juliette Drouet et Victor Hugo est passionnelle, fusionnelle et marquée par une grande inégalité de pouvoir.

Pendant plus d’un demi-siècle, Juliette Drouet a voué sa vie à Victor Hugo, sacrifiant sa carrière et son indépendance pour devenir son ombre et sa confidente.

Elle recopie pieusement ses manuscrits. Dépendante financièrement, cloîtrée pendant les douze premières années de leur relation par le tyran domestique qu’est ici Hugo, elle lui écrit aussi des lettres d’amour et d’adoration mystique, quelques 20’000.

Cette relation fut jalonnée de tensions, de jalousie et d’un profond déséquilibre. Souvent, Juliette peste de se voir considérée comme une servante et non une maîtresse. Elle se rebelle parfois. Son rôle est celui d’une secrétaire et d’une veilleuse dévouée, mais qui peut se révéler d’une tranchante lucidité dans ses lettres.

Au final, elle lui pardonne tout. Cela reste en partie une énigme.

Propos recueillis par Pierre Siméon


Le Projet Hugo – de quoi demain sera-t-il fait?
Le 25 mars 2025 au Reflet, Vevey

Lorenzo Malaguerra Philippe Soltermann, mise en scène - Lorenzo Malaguerra Philippe Soltermann et Mali Van Valenberg, écriture, d'après Victor Hugo

Avec Edmée Fleury, Mali Van Valenberg, Romaine, Zufferey, Philippe Soltermann, Pascal Rinaldi Yannick Barmanm, Denis Alber

Informations, réservations:
https://www.lereflet.ch/programme/saison-actuelle/detail/le-projet-hugo

Autre représentation:
Le 27 mars; Nuithonie, Villars-sur-Glâne (FR)


* Le 25 février 1830 à Paris a lieu une bataille célèbre faite de chahuts et de polémiques entre des hommes de plume et des artistes. La bataille d'Hernani, tire son nom d’Hernani, drame romantique de Hugo, alors âgé de 27 ans, et pour la première fois à la Comédie Française.
Il s’agit de conflits esthétiques, dramaturgiques et politiques autour du théâtre. Ceci entre novateurs adeptes notamment d’une liberté de l’art et d’une trivialité des dialogues, d’une part, et tenants des dogmes du classicisme avec sa hiérarchisation des genres théâtraux, de l’autre. ndr.

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