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En quête d’avenirs

Publié le 05.09.2023

Comment s’essayer à faire le point au milieu des désarrois contemporains? Imaginé par La Grange, à l’UNIL, le festival FICTIONS FUTURES demains réels se déroule du 27 septembre au 14 octobre. Il s’agit d’ouvrir des espaces créatifs et réflexifs pour artistes, chercheurexs, étudiantexs et publics. Au programme: raconter des lendemains dans les forces et tensions qui les animent. S’enrichir donc de visions et perspectives plurielles et partageuses au fil de trois semaines et d'une vingtaine de propositions.

Ainsi la chorégraphe et performeuse Rocio Berenguer s'intéresse aux enjeux et mutations de notre monde contemporain, dont l'évolution des espaces de liberté ou les questions environnementales. Sa nouvelle création THEBADWEEDS (les 6 et 7 octobre) se jouera sur un mode hybride et inter-espèces. Cosigné par la Compagnie IF et le Studio Personne, Lavinia, du 27 au 30 septembre, mêle récit mythologique et biopic dans un spectacle immersif. Troisième texte du collectif anthropie - après Début (2018) et Dio (2019) -, Extinction Piscine (les 13 et 14 octobre) s’interrogera notamment sur les possibles théâtres de nos émotions à l’ère des mutations.

Rencontres, discussions, lectures, expositions et restitutions sont aussi au menu. En témoigne le programme de recherche Du milieu, projet annuel de collaboration, formation et expérimentation théorique et pratique. Ceci parmi tant d’autres gestes visant à replacer une pensée féconde et performative au milieu de nos actes et devenirs possibles. Rencontre avec Bénédicte Brunet qui préside aux destinées artistiques de La Grange.



Quel est l’esprit programmatique de FICTIONS FUTURES demains réels

Bénédicte Brunet: À travers cette première édition festivalière, s’exprime le désir profond de La Grange de rassembler à la fois artistes, scientifiques, étudiantexs et publics lors d’un événement inaugural de la saison. En effet, notre lieu œuvre intensément à accompagner les créations de compagnies locales et à accueillir des spectacles internationaux rarement ou jamais vus en Suisse, tout en resserrant les liens avec les activités de recherche et de formation de l’UNIL. Soit une programmation collégiale et pluridisciplinaire.

Les liens entre artistes et chercheurexs se nouent parfois directement au cœur des processus de création artistique. C’est le cas avec l’artiste Rocio Berenguer qui a travaillé sur les questions d’hybridité inter-espèce avec le spécialiste de biologie moléculaire végétale de l’UNIL Edward Farmer. C’est aussi le cas avec La Compagnie IF qui a profité de son passage à l’UNIL pour préciser ce que pourrait être la gestuelle des Étrusques avec le laboratoire IASA. Enfin, c’est ce qu’ont expérimenté toute cette saison les artistes et chercheurexs du programme de recherche Du milieu qui partageront les fruits de leur collaboration avec le public.



Mais encore.

Parfois, en revanche, ces liens arts-sciences prennent la forme de discussions et rencontres en marge des spectacles, favorisant un large éventail de points de vue et expériences concrètes. De leur côté, les étudiantexs apportent leur pierre à l’édifice par le partage de leurs visions et engagements sur un mode très vivant. En résumé, cet événement permettra d’exprimer et donner forme à nombre de désirs d’avenir. Ceci à travers le double regard artistique et scientifique au service de notre vivre en commun.

La manifestation propose des outils de navigation pour traverser le trouble actuel et le brouillage entre fictions et réalités.

Les bouleversements aujourd’hui à l’œuvre nous affectent tant au plan intime que dans la façon dont nous nous relions les unexs aux autres. Je reste persuadée que les artistes et les scientifiques sont les vecteuricexs, à travers l’expression de leurs visions, de points d’ancrage, si ce n’est d’équilibre. Cela pour penser et composer avec ce que nous vivons. Dans l’espoir que ces visions, impressions et ressentis développés par des personnalités invitées au fil de la saison nous aident à construire notre propre vision d’un futur désiré, à partir de ce présent qui est notre commun.





Le conte écologique THEBADWEEDS joue du dialogue entre slam et danse afin de troubler le regard anthropocentrique porté sur les vivants de la planète (végétaux, animaux, humains).

À mon sens, Rocio Berenguer est une artiste majeure, essentielle dans l’anticipation et l’avant-garde. Partant du principe que le monde ne cesse de changer, elle va chercher notre aptitude à embrasser ces changements et bouleversements. Ce qui est intéressant, c’est le décalage qu’elle provoque dans la pensée en se projetant dans un avenir plus lointain: ce qu’elle propose de rendre tangible, à savoir l’hybridité entre les humains et les végétaux, nous apparaît aujourd’hui comme improbable.

Mais parce qu’elle ose sérieusement se poser la question, en y embarquant des scientifiques avec elle, et qu’elle s’attelle à en proposer une représentation, l’hybridité humains-végétaux rentre clairement dans le champ des «possibles». Et comme elle le fait avec humour, et en empruntant beaucoup à la culture pop, ce «possible» semble pourquoi pas désirable! Et c’est ainsi que les représentations et les désirs évoluent.

Qu’est-ce qui vous attirée dans Lavinia/Vie et mort d’une héroïne antique dans le Métavers?

La metteure en scène Isis Fahmy et l’artiste transdisciplinaire Benoît Renaudin (Studio Personne) ont développé une approche passionnante de l’écriture numérique avec performance au plateau. Pour ce spectacle, iels utilisent la motion capture* comme dispositif pour donner vie, en temps réel, à l’avatar numérique de Lavinia. Personnage secondaire de l’Énéide de Virgile, Lavinia est surtout née sous la plume de l’auteure de science-fiction, Ursula K. Leguin, qui, dans un roman éponyme, décide de lui offrir un destin.

C’est un geste doublement engagé de la part de cette auteure. Tout d’abord parce qu’il consiste à donner vie à un personnage féminin historique une fois de plus oublié de l’histoire, mais aussi parce qu’il vient conclure une œuvre littéraire qui s’est toute sa vie consacrée à l’invention de mondes imaginaires via la science-fiction.





Mais encore.

Avec Lavinia, il y a presque un retour au réel chez LeGuin, du moins, un regard vers «ce qui a été» plutôt que «ce qui pourrait être». Comme un geste de réparation de ce qui a été mal transmis de génération en génération, dans le sens de partiellement transmis. Je vois chez Fahmy et Renaudin une réelle envie de poursuivre ce geste: réparer déjà l’absence quasi inéluctable d’une figure féminine étrusque dans les mondes numériques virtuels qui nous entourent.

Ce désir de réparation s’exprime tellement fortement que les metteurexs en scène ont accepté l’idée, conditionnée par la motion capture, de collaborer avec trois comédiennexs pour aboutir la création de l’avatar d’un personnage unique. Entre la réécriture d’un classique et le dispositif numérique, le dialogue entre les Étrusques et le métavers** s’annonce passionnant.

Quelle est la fable du troisième spectacle à l’affiche, Extinction Piscine?

C’est le récit d’un groupe de personnes, réunies dans un appartement, dont on ne connait ni l’âge ni le biopic. Les protagonistes vivent dans un monde marqué par des transformations dystopiques, hanté par l’omniprésence de politiques sécuritaires, une lutte pour la vie au quotidien et une grande instabilité des structures politiques et sociales. Côté écosystèmes, le dérèglement règne aussi en maître.

Le texte sur lequel se base cette création nous immerge tout d’abord dans un présent éminemment concret, au cœur d’un monde quasi-invivable. Mais l’écriture jette peu à peu la lumière sur d’autres époques de l’Histoire marquées par de grands bouleversements, - comme l’âge glaciaire ou la peste noire médiévale -, et les brèches que ces catastrophes ont pu ouvrir et les alternatives qu’elles ont vues naître. Je partage ce constat avec le collectif anthropie qu’il est grand temps d’imaginer et de reconnaître les alternatives qui naissent des brèches qui s’ouvrent aujourd’hui.

Il est aussi présenté notamment un travail de restitution...

Du milieu # 1: se décentrer (les 10 et 11 octobre) est un travail de recherches-création autour de l’action de se décentrer, et de la nécessité de faire théâtre autrement aujourd’hui. Ce travail a été mené par un groupe de dix artistes et chercheurexs en résidence à la Grange pendant toute une saison. C’est une façon originale d’allier le temps long propre à la recherche scientifique et à la création artistique.

Il s’agit d’explorer les manières de décentrer son regard. Décentrement relativement à une vision anthropocentrée du vivant. Mais aussi le décentrement par rapport à sa propre discipline, qu’elle soit d’ordre artistique ou scientifique. Ou l’art du pas de côté pour mieux entrer pleinement dans l’interdisciplinarité.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


FICTIONS FUTURES demains réels
Du 27 septembre au 14 octobre 2023 à
La Grange - Centre Arts et Sciences - UNIL

Voir programme complet, informations et réservations:
https://www.grange-unil.ch/


* La motion capture enregistrer les mouvements dans l'espace par une combinaison avec de nombreux capteurs sur une personne réelle. Avant d’être retranscrits sur un modèle virtuel 3d
** Le métavers est un méta-univers. Soit un univers allant au-delà du connu. C’est un monde virtuel structuré et ouvert 

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