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Diplomatie à l’ère des réseaux

Publié le 11.03.2024

L'identité et la diplomatie de Taïwan sont explorées dans une expérience théâtrale intitulée Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan) en création pour la Suisse romande au Théâtre de Vidy, du 14 au 24 mars, dans le cadre de Programme Commun.

Conçu par le metteur en scène suisse Stefan Kaegi (Rimini Protokoll), ce spectacle met en lumière les défis politiques et diplomatiques uniques auxquels Taïwan est confronté depuis son expulsion des Nations unies en 1971. Trois personnes issues de l’île, un ex-diplomate et retraité favorable à la Chine populaire, une activiste de la Toile et une musicienne héritière d’une société de thé à bulles croisent leurs récits intimes, photos, activités et regards.

Ensemble, ce trio favorise la création d’une forme de diplomatie à l’ère 5.0 avec aussi un réseau d’amitiés au Kosovo. Cela sur fond de maquettes d’une ambassade imaginaire et virtuelle.

Grâce à une résidence de recherche au Théâtre national de Taipei, capitale de pays, l'équipe suisso-taïwanaise a plongé au cœur de ce petit État Insulaire de toutes les tensions et pressions avec la Chine continentale. Son gouvernement estime «inévitable» le rattachement de cette «province rebelle» selon Pékin à la Chine populaire dirigée par Xi Jinping.

Pour mieux comprendre les enjeux d’un territoire peuplé de quelque 25 millions d’âmes, les trois expert.es offrent une perspective immersive sur la réalité taïwanaise, mêlant des récits personnels à des séquences vidéo tournées sur place. À travers ce geste scénique et performatif singulier, est interrogée la nature même de la diplomatie et de l'ambassade.

Le spectacle met en lumière l'importance de chaque événement à Taïwan sur la scène géopolitique internationale, rappelant au public l'impact de la politique mondiale sur les vies individuelles. Rencontre avec Stefan Kaegi.



Comme est né ce spectacle?

Stefan Kaegi: Il est le fruit d’une collaboration entre le Rimini Protokoll et une équipe artistique taiwanaise ainsi que trois expert.es de la réalité insulaire. Qui témoignent et interagissent sur scène.

Nous nous sommes demandé.es comment Taïwan, l’une des vingt principales économies de la planète et considérée comme une démocratie participative asiatique dynamique animée d’une transparence numérique, est dans l’impossibilité d'envoyer officiellement ses représentants gouvernementaux en Europe?

Nous avons réfléchi à la manière dont le théâtre, espace de représentation subjective, peut accueillir sous une forme contrastée et des points de vue et vécus parfois contradictoires les enjeux politiques internationaux de notre monde.

Aux côtés de l’artiste vidéo Mikko Gaestel et du scénographe Dominic Huber, nous avons construit une maquette modulable. Elle fonctionne tel un set de cinéma. Les histoires sont rendues en miniature et deviennent de petits scénarios pour des lieux de tournage en live sur scène. Ainsi nous avons l’Assemblée Générale de l’ONU en miniature, où peuvent s’inscrire et évoluer les protagonistes de Taïwan qui, historiquement, ne peuvent y pénétrer.



Une interrogation qui vous est chère?

Ce spectacle est une manière de réfléchir sur ce que sont et représentent une ambassade et la diplomatie au quotidien.

C’est aussi une possibilité de représenter ce pays, Taïwan, que j’ai connu en plusieurs occasions tout en en faisant le portrait.

Ceci sans oublier de questionner notre relation à cette île en Suisse ou en Allemagne, Berlin ayant accueilli la première de de Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan). Mais aussi nos liens avec la Chine dont nous dépendons parfois fortement. La Suisse a ainsi rencontré le Premier ministre chinois, Li Qiang, au dernier Forum économique mondial de Davos en janvier 2024 pour développer un accord de libre-échange.*





Un vrai diplomate à la retraite évolue sur scène. Dans l’univers théâtral, où l'illusion, la mise en scène et le faire semblant prédominent, peut-on imaginer une représentation symbolique et fictive de Taïwan à l’époque des réseaux sociaux?

Le spectacle met en scène trois formes et facettes de la diplomatie taïwanaise visant à la représentation à l’international du pays.

Il y a ainsi David Wu, 72 ans, fort de ses 37 années de service dans diverses missions à travers le monde. Ce diplomate de carrière se sent profondément chinois et souhaite qu’un jour lointain une réunification puisse avoir lieu, à la condition que Taïwan soit respecté en tant que pays démocratique et assure sa pérennité.

D’autres pensent, au contraire, que cette perspective n’est guère réaliste.

Et aussi deux jeunes protagonistes.

Les deux jeunes femmes ont une socialisation fort différente et cherchent une identité nationale forte pour Taïwan. À 30 ans, Chiayo Kuo œuvre pour une diplomatie numérique plus directe et informelle via des images et des publications en ligne. Elle a fondé la Taiwan Digital Association visant à donner à son pays une place prépondérante sur l’échiquier mondial.

Elle présente Taïwan comme un pays cherchant des ami.es et pouvant fournir aide et services. Par exemple, des soins médicaux au Vietnam. Son association apprend aussi aux citoyennes et citoyens à se prémunir contre les cyberattaques chinoises.

Enfin, la vibraphoniste héritière d’une entreprise de thé à bulles, Debby Wang, 27 ans. Elle se garde bien de positions politiques publiques, souhaitant apporter sa pierre à l'expansion mondiale de Taïwan à travers le commerce international.

Au plateau, elle créée la bande sonore du fim réalisé en direct sur scène. Dans leurs récits respectifs, ces trois personnes se basent notamment sur leurs propres histoires biographiques et sur celles de leurs ancêtres.





Que développent ces expert.es de leur réalité au plateau?

Ensemble, ces personnes utilisent l’arène scénique pour présenter une vision alternative de leur pays, composant à partir des symboles, de la musique et des images avec notamment des caméras vidéo miniatures permettant des projections live sur des drapeaux faisant office d’écrans.

D’autres images tournées sur place par le Rimini Protokoll sont aussi dévoilées.

Ce faisant, David Wu, Chiayo Kuo et Debby Wang invitent le public à une exploration politique et culturelle visant à dépasser voire subvertir les limites habituelles entre art et diplomatie. Dès lors, ce trio offre une perspective voulue souvent inédite sur les relations complexes entre Taïwan, l'Europe, et la Chine, grâce au prisme de la créativité artistique et de l'engagement citoyen.

Parlez-nous de l’histoire diplomatique singulière de Taïwan.

Depuis sa fondation en 1945 comme "République de Chine", Taïwan fut l'un des membres initiaux de l'ONU, occupant un siège au Conseil de sécurité. En 1971, Richard Nixon, enlisé dans le conflit vietnamien, décide de réorienter les relations diplomatiques des États-Unis vers la Chine continentale communiste.

Dès lors, Taïwan doit se retirer de l'ONU, luttant depuis pour gagner une reconnaissance diplomatique internationale, malgré le fait que ses missions diplomatiques n’ont le statut d'ambassade que dans 12 États, le Vatican étant le seul en Europe.

Malgré un large réseau d’appuis commerciaux dans le monde, le poids économique de la Chine rend problématique toute reconnaissance officielle de Taïwan.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan)"
Du 14 au 24 mars au Théâtre de Vidy - Lausanne

Stefan Kaegi (Rimini Protokoll), conception et mise en scène Stefan Kaegi
Avec Chiayo Kuo Debby Szu-Ya Wang David Chienkuo Wu

En anglais et chinois, surtitré en français et anglais

Première Suisse romande

Informations, réservations:
https://vidy.ch/fr/evenement/ceci-nest-pas-une-ambassade-made-in-taiwan/#artistes


* La Chine est le plus grand partenaire commercial de la Suisse en Asie. Et son troisième partenaire commercial au plan international, derrière les États-Unis et l’UE, ndr.