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Dialogues avec soi

Publié le 22.03.2022

Un homme esseulé, plus blessé que misanthrope, voit son quotidien tourneboulé par une enfant en fugue déboulant dans sa vie, demandant refuge et nourriture. Se frayant un chemin entre surréalisme et réalités tendues, Le Poisson belge est à savourer les 23 et 24 marsau Théâtre de Grandchamp à Gland et en tournée romande. Si la langue est cash et drolatique, les thèmes abordés sont graves, du deuil à l’enfance entourée de non-dits. Au plateau, Margot van Hove et Roland Vouilloz excellent à ramener à la surface, l’étrangeté, la poésie et le fantastique. Pour approcher le cœur à vif de l’enfance meurtrie en voie de résilience.
L’auteure franco-suisse, Léonore Confino, n’a guère son pareil pour pêcher l’art des contrastes. Le monsieur de la fable invite donc la fillette à s’intéresser à un devoir plutôt qu’on le soupçonne, lui, de pédophilie. La Petite, elle, part en apnée dans la baignoire enlacée par une pieuvre. Lucie Rausis éclaire sa mise en scène sensible se dépliant autour d’identités fluides, parfois en pointillés.


Qu’est-ce qui vous a harponnée dans cette pièce?

Lucie Rausis: J’ai été bouleversée et captivée tant par l’histoire que l’écriture, incisive et directe, de l’auteure. Une petite fille s’incruste au domicile d’un homme solitaire sans que l’on connaisse leurs rapports mutuels. L’histoire se scelle sur un retournement que plusieurs indices préfigurent et annoncent au fil de l’intrigue. Sans le révéler, disons que ce twist va dans un sens universel. Il met en lumière que nombre de nœuds et troubles prennent leur source à l’enfance pour se perpétuer une vie durant.



Comment avez-vous abordé le texte?

J’avais envie de travailler en musique, scénographie et jeu en alternant le côté hyperréaliste d’un appartement, où les échanges sont très directs, concrets avec des scènes oniriques. On y voit les larmes couler d’un lieu étrange, inhabituel. D’où des scènes dramatiques et d’autres bien plus légères d’envolée poétique grâce à la musique composée par Mael Godant (piano) et enregistrée avec Sara Oswald au violoncelle et Béatrice Lapointe au hautbois. La bande son comprend aussi des respirations comme au sortir d’une apnée.

Mais encore…

Il m’a aussi semblé intéressant de passer par une étape empreinte de malaise si ce n’est d’ambiguïté. Tout ne doit pas être donné d’emblée au public. Les cartes et indices doivent être distillés, disséminés petit à petit. D’entrée de jeu, le malaise s’installe relativement à la présence d’une petite fille chez un monsieur. C’est pertinent que l’on ne sache pas ce qu’elle fait là, ce que cette enfant veut. Ce n’est que progressivement que la relation entre les deux personnages se relève. On s’attache ainsi à ce duo improbable. Les blessures d’un personnage vont venir comme réparer celles de l’autre protagoniste.





Il y a une dimension symbolique?

Oui. Dans le sillage du titre de la pièce, Petit fille se prend littéralement pour un poisson muni de branchies. On l'a empêchée de respirer jusqu'à ce qu'elle refasse surface d'elle-même.

L’auteure, Léonore Confino, développe un rapport multiple à l’enfance dans Le Poisson belge.

Le personnage féminin enfantin de la pièce va chercher à entreprendre ce
Grande monsieur récalcitrant, qui n’a pu faire le deuil de plusieurs choses depuis son enfance. Adulte, ce dernier fait ainsi ressurgir son propre enfant intérieur.

Ce qui m’a touchée? Nous avons bien chacun.e une part d’enfance ou autre chose enfouie en soi. Et qui peut ressortir, de manière brutale ou tendre. C’est ce à quoi nous assistons au cœur de ce huis clos poignant. Pour des personnages qui sont le miroir l’un de l’autre, les interprètes nous font ainsi passer du rire aux larmes.




Comment les monologues se répondent-ils dans la pièce?

Il en existe deux vraiment charnières. Passé par la protagoniste féminine, le premier monologue est une forme de flashback dans lequel ses parents s’engueulent. A la fin, c’est au tour de
Grande monsieur de tenir un monologue style «mon père, ma mère». D’où l’effet miroir permettant de comprendre chez lui les raisons qui l’ont poussé à rejeter, en son for intérieur, un deuil vécu comme traumatique. Toute cette prise de conscience durant l’heure et demie que fait la pièce revient à un réconfort face à la perte et au deuil. Et finalement à accepter l’enfant présent en soi. Soit être qui l’on est vraiment.

Et le rapport à la mort?

Un épisode voit Grande monsieur expliquer qu’il a découvert dans un livre, un rituel japonais destiné à faire le deuil. Il faut justement pleurer dans un bocal, où l’on aura pêché un poisson pour l’y mettre pendant sept jours. Il s’agit ensuite de le digérer. Cette digestion accomplie marque le fait que le deuil est consommé et la culpabilité effacée. Ce spectacle est bien de l’ordre de la caresse à vertu réconciliatrice pouvant parler à tout le monde.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Le Poisson belge

Les 23 et 24 mars au Théâtre Grand-Champ, Gland
De Léonore Confino, par la Cie Barberine
Lucie Rausis, mise en scène
Avec Roland Vouilloz, Margot Van Hove

Informations, réservations:
https://www.grand-champ.ch/saison-culturelle/spectacles-theatre/


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