Social Tw. Fb.
Article

Détournement de conte

Publié le 17.05.2022

Du théâtre musical de rue pétillant d’inventivité revisitant un conte méconnu des frères Grimm est à l’affiche de la saison du Théâtre Le Reflet à Vevey, du 19 au 22 mai. A découvrir dès 7 ans, Ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux de la Compagnie Alsand imagine une troupe de passeur de tradition orale décapant La mariée noire et la mariée blanche des frères Grimm de l’époque qui l’a vue naître. Pour la réinventer au contemporain d’un spectacle mêlant jeu dérivé du clown, théâtre de mouvements, le chanté scandé et une musique métissée parfois proche du hip-hop.

L’ensemble paraît merveilleusement s’inventer sur le vif de la sincérité. En capillarité avec le public disposé face au lac Léman. La fable retrouve des personnages archétypaux pour les habiller d’habits neufs, rock et clownesque contemporain: un tyran amoureux fou jusqu’au crime des images d’une juvénile héroïne. Claire est son prénom. Rebelle, elle se refuse à un mariage qui tient du rapport de forces, voire de l’esclavage domestique. Outre ce personnage d’aventurière, il y est aussi question de sororité, de mère muette et de fées aux comportements contrastés. La cruauté y est tenue à distance par une atmosphère de narration décalée. Rencontre avec deux chevilles ouvrières de cette création, Morgane Mellet et Damien Vuarraz
.

 Comment se présente le travail de votre compagnie?

Morgane Mellet: Nous pratiquons un théâtre de rue avec son lot d’imprévus et d’inattendus dans les réactions du public notamment. C’est stimulant pour notre travail mobilisant les outils du clown, bien que l’on ne porte pas de nez rouge selon la vision parfois traditionnelle de cette figure. N’oublions pas que le clown est sorti possiblement depuis une trentaine d’années de l’univers du cirque. L’inspiration va plutôt notamment du côté du trio de clowns modernes, Les Chiches Capon – troupe humoristique, dont les créations souvent musicales, mêlent parodie et humour dans des atmosphères contrastées, ndr.

La fragilité, l’accident et l’échec sont la base pour que ce personnage clownesque puisse exister. Tout ce qui est fragile et nous met en échec peut ainsi devenir une grande force. D’où un rapport pluriel à l’échec. Celui-ci peut nous offrir cadeaux et moments de grâce. On peut donc réussir ou non à le retourner comme force d’un jeu voulu excentrique et décalé.



Le clown a aussi pour fonction de déranger la réalité.

Damien Vuarraz: Pratiquer l’art du théâtre de rue, c’est aussi déranger voire créer une forme de désordre dans la vie quotidienne. On ne sait jamais précisément ce que seront les conditions de représentation et par essence les imprévus. Cela nous met dans un état de fragilité. Loin d’essayer de le dompter, nous le recherchons et souhaitons aller avec. Pour le clown, nous nous sommes rencontrés à l’école Le Samovar. Sur deux ans, elle enseigne nombre d’outils et pratiques variés.

Mais toujours en lien avec le clown, le jeu excentrique et le burlesque qui provoquent le rire. Or nous avons préféré écrire un premier spectacle sans chercher systématiquement à être drôle. De fait, la compagnie tente d’écrire sans se dire qu’elle pratique le clown à but humoristique.

Morgane Mellet: Je nuancerais. Il me semble que nous écrivons bien en pensant au clown. Mais pas dans l’intention première de susciter l’hilarité en écrivant des blagues. Il s’agit essentiellement de laisser advenir une très grande sincérité. Dès lors, nos fragilités, failles et faiblesses d’êtres humains vont apparaître. Cela permet d’ouvrir l’imaginaire du public et de laisser libre cours à ses émotions, ressentis e

Quels sont les éléments qui vous ont attirés dans le conte des Grimm?

Morgane Mellet: C’est une fable éminemment duelle, tranchée dès son titre, La mariée blanche et la mariée noire. A la base, le conte ne recèle pas beaucoup de nuances. Ce qui m’a frappée? Cette idée de concurrence entre femmes. On constate que les protagonistes féminines dans les contes ne font souvent preuve d’aucune solidarité mutuelle, voire se détestent et se maltraitent. Le récit a fait puissamment résonance dans nos vies intimes. Il nous semblait donner à voir tout ce que précisément nous ne voulions plus voir au quotidien de nos créations. Partant, pourquoi ne pas réécrire le conte originel en le tordant? Quelles représentation peut-on en offrir aujourd’hui? A ce titre, l’apport de Déborah Weber dans la collaboration artistique et la mise en jeu a été important - Déborah Weber est par ailleurs comédienne, metteuse en scène, autrice et clown, ndr.





Damien Vuarraz: Dans ce processus de réécriture du conte, il y eut une lecture précieuse, l’ouvrage illustré façon bd, Et à la fin ils meurent. La sale vérité sur les contes de fées de Lou Lubie. Si cet ouvrage parle du conte sur un mode générique et acide, il a le mérite de retrouver l’origine de chaque histoire passablement édulcorée au final. Et de mettre en lumière les éléments fort cruels et sexistes de ces récits. Par nature, le conte en vient à changer et évoluer au rythme de ses réécritures et transmissions successives que favorisent des époques et auteurs différents. Cela nous a conforté dans notre nouvelle version de La mariée blanche et la mariée noire. Nous en avons ainsi préservé quelques séquences, situations et émotions.

Mais en les refigurant complètement tout en s’affranchissant du récit de base. Il arrive ainsi en public que les interprètes s’interrompent et rejouent, par exemple, une scène que nous estimons peu convaincante. Nous nous servons donc de l’histoire racontée pour jouer des situations bien réelles et conjuguées au présent de notre société.

Et le récit en lui-même…

Damien Vuarraz: C’est une histoire qui est loin d’être simple à adapter pour un spectacle voulu tout public dès 7 ans. Il y a des gens qui meurent, se battent, se détestent. Un cœur est arraché avant de ramener à la vie une autre protagoniste tuée de la fable. D’où le profond désir de raconter toutes ces épreuves, vicissitudes, menaces, affrontements et tensions propres à un large fond de contes avec légèreté et fraîcheur, joie et musique, étant dans la rue. En faisant participer le public, nous jouons littéralement ensemble en allant vers la joie.

Le récit? Claire vit avec sa belle-mère, Dolores, et sa belle-soeur, Brume. Un jour, le roi veut à tout prix épouser Claire d’après son portrait. Sous les traits ici d’un tyran contemporain, il menace de mort la jeune femme. Qui résiste et ne veut pas se soumettre à cette union forcée. Dans notre version, ce conte en devient une histoire très actuelle. Elle met en valeur notamment la solidarité féminine, le courage et l’émancipation.





Quant à l’esprit de votre adaptation «passerelle»?

Morgane Mellet: Pour le spectacle précédent de la Compagnie, L’Odyssée d’Alysse, nous avons principalement changé le genre du personnage principal issu du récit mythique d’Homère. A notre grande satisfaction, personne n’est jamais venu nous questionner ou demander, par exemple, pourquoi Alysse et Pénélope? Pour Ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux, nous nous sommes intéressés aux personnages féminins. A leurs rapports mutuels. Il est remarquable que ces femmes se révèlent tout autant fragiles, émotives, douces comme puissantes et violentes. Nous en proposons d’autres interprétations pour que public le puisse y naviguer aisément à partir de ce qu’il peut vivre tous les jours.

La démarche est d’interroger l’univers du conte, le monde actuel et ses mouvements par le prisme clownesque et musical. Nos créations ne sont d’ailleurs jamais figées et continuellement en évolution d’une représentation à l’autre.

Propos recueillis par Michel Viale


Ils vécurent enfants et firent beaucoup d'heureux
Dès 7 ans

Un spectacle de la Cie Alsand à découvrir du 19 au 22 mai, Quai Perdonnet 3 (Port de Plaisance), Vevey, dans le cadre de la saison du Reflet

Morgane Mellet et Damien Vuarraz, direction artistique
Deborah Weber, collaboration artistique et mise en jeu

Avec Morgane Mellet, Elise Merrien, Anaïs Tobelem, Damien Vuarraz

Informations, réservations:
https://www.lereflet.ch/programme/saison-actuelle/detail/ils-vecurent-enfants-et-firent-beaucoup-dheureux