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Danse des drapeaux

Publié le 19.02.2023

Symbole de la puissance étatique ou de corps constitués, le drapeau est au centre d’ARA! ARA!, duo chorégraphique cosigné et interprété par Ginevra Panzetti et Enrico Ticconi. A voir les 23 et 24 février à l’Usine à Gaz de Nyon dans le cadre du Festival Antigel.

Les deux couleurs jaune et bleu qu’affichent les drapeaux manipulés et dansé par le binôme dansant remontent à la période médiévale tout en ne faisant pas intentionnellement référence à la résistance ukrainienne, la pièce ayant été créée avant l’invasion russe de février 2022. Une dimension guerrière donc. Mais aussi festive dans le sillage des parades et célébration où l’identité, d’un individu, d’une famille ou d’une dynastie est donnée par de écussons, boucliers et drapeaux. Créatures chimériques et figures oniriques surgissent et se croisent avant de s’estomper comme au cœur d’un armorial imaginaire.

Jusque dans les mouvements et déplacements des deux protagonistes, l’animal est présent tant Ara désigne une espèce de perroquet. Au plateau, les bannières s’agitent au son de roulements percussifs savamment retravaillés par le sound design. Les corps vont puiser à la source somatique de leur inconscient pour dire dans le ralenti, la spirale, la reptation et la chute.

Bref, ce qui construit et déconstruit une chimère qui oscille entre héraldique étatique ou folklorique, danse graphique et «humanimalité». La pièce conjugue un volet héroïque et l’autre mortuaire tel un drapeau linceul. Dialogue avec Enrico Ticconi, chorégraphe et interprète de la pièce au côté de Ginevra Panzetti.



Comment est né ce duo avec oriflammes?

Enrico Ticconi: Tradition antique remontant à la période médiévale, la manipulation de drapeaux est populaire en Italie. C’est la valeur hautement symbolique du drapeau qui nous a intéressé ainsi que les techniques dérivées du champ militaire convoquées initialement sur le champ de bataille. Nous avons conservé ce mélange entre une dimension festive et un volet martial.



Sur le côté animal de la chorégraphie...

Il est issu d’un travail de longue haleine mené autour de la symbologie héraldique très liée au non-humain, à l’animal. Au fil de la tradition héraldique, on relève une omniprésence des figures animales. La refiguration de la symbolique animale participe d’une représentation identitaire. À l’origine, la tradition héraldique est figurative au sein d’une grammaire codifiée née au Moyen Âge. Elle servait à l’époque à représenter des formes de pouvoir.

D’où les références multiples au sein de notre travail à la genèse d’une image héraldique que nous individuons dans la figure du perroquet représentant un nouveau pouvoir naissant. Dans le cas de cette pièce chorégraphique, il s’agit donc du perroquet dont nous avons recherché une forme d’équivalence au plan du signe, de certaines postures et du son.

Le son apparaît essentiel dans votre duo.

L’utilisation des percussions roulantes dérive de la tradition du maniement de drapeaux et est la base pour les exercices des porte-drapeaux et l’accompagnement musical durant les parades. Cette colonne sonore est présente afin que la chorégraphie puisse s’y appuyer de manière consistante.

Votre scénographie peut évoquer une page blanche.

Ce que vous appelez page blanche représente pour nous une forme d’écusson, de bouclier. Mais il s’agit bien d’un page dans le sens où pour l’héraldique, la grammaire des symbologies appartenant aux dynasties et familles régnantes est organisée de manière ultra-codifiée.





Il existe une dimension de ralentissement, de micromouvements dans la chorégraphie.

A nos yeux, la lenteur a toujours été éminemment évocatrice. Il s’agit d’une forme de cinétique développée au fil des répétitions, la lenteur permettant de mieux saisir les symboles et leur enchaînement. On peut repérer un véritable code cinétique simple qui suspend la temporalité tout en dessinant une sorte d’abstraction, un espace propice aux évocations.

Que gardez-vous de la tradition médiévale?

Ce que nous travaillons au cœur de la sémiologie médiévale est la bi-dimensionnalité de la représentation. En d’autres termes, voici une manière d’architecturer l’espace scénique qui nous a singulièrement inspirés. Le travail cinétique sur les corps est ainsi porteur d’une forte plasticité. Quant à elle la tridimensionnalité de la figure ne me semble pas participer de l’époque médiévale.

Vous avez développé une forme diffuse d’érotisation voire de cécité de certaines postures. Ainsi la main devant les yeux de l’Autre.

Assurément. Cette réalisation est loin d’être uniquement graphique. On peut y ressentir émotions et sensualité dans cette volonté d’interagir avec le drapeau en mouvement comme objet. L’étendard en devient un possible prolongement du corps tant sa capacité plastique et graphique est élevée.

Nous désirions donc interagir avec cette esthétique grâce aux corps. Ceci dans l’optique d’un continuum entre anatomie et objet. De fait, ce feuilletage d’images continues en métamorphoses favorise à brouiller les limites et les contours des figures hybrides ainsi dansées. En fait, le drapeau a cette qualité de pouvoir véhiculer des symboliques aussi contrastées qu’opposées. Mais épisodiquement ces contraires en viennent alors à se rencontrer, s’hybrider voire fusionner.





On peut parler de chimères...

Oui. Ce que nous souhaitons mettre en avant est l’aspect hybride des corps couplés à la bannière, mais aussi entre eux. Tout cela peut évoquer de loin en loin des formes animales archaïques.

La colonne sonore est impressionnante.

Elle module la forme de l’hybridité entre animal et humain en cherchant à faire ressortir la voix issue d’une créature chimérique. Les cris d’un perroquet sont ici complètement retravaillés, distordus afin de donner une expression vocale à cette nouvelle symbolique héraldique chimérique en train de naître.

On repère une atmosphère somatique liée à la partie inconsciente du mouvement.

Il existe naturellement une dimension liée à l’inconscient, au rêve dans l’évocation de ces figures chimériques. Toutefois la discipline chorégraphique se concentre autour des drapeaux, éléments physiquement très ardus à manipuler. Ce qui rend le travail éminemment rigide et découpé.

Les performeurs.euses que nous sommes ne cessons ainsi de compter les temps au sein de la partition dansée. Cela afin de ne pas perdre la synchronisation entre les corps et le rythme ainsi que les mouvements. Ce faisant, nous parvenons à nous abstraire de la contrainte héraldique formelle pour atteindre à une forme de possession somatique du geste et du mouvement parfois proches de la transe.

Il y a donc ici cette volonté de transcender la rigidité de la structure chorégraphique.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Ara! Ara!

Les 23 et 24 février à l’Usine à Gaz, Nyon



Ginevra Panzetti & Enrico Ticconi, chorégraphie, performance et conception visuelle
Demetrio Castellucci, création sonore et composition

Michele Scotti, percussions et enregistrement 


Informations, réservations:
https://usineagaz.ch/event/ara-ara-panzetti-ticconi-it-de/

En collaboration avec le festival Antigel