Dans l’intime énergétique
L’opus fusionne ces concepts avec des corps dansants animés d’une énergie profondément organique, sexuelle et psychique.
À travers ses onze interprètes au plateau, l’artiste franco-suisse effeuille les couches de fantasmes et d'émotions, d'intranquillité et de pulsions, évoquant ainsi la tension entre le charnel et le spirituel que l'on retrouve dans le poème biblique, Le Cantique des Cantiques, l’une des sources d’inspiration en coulisses de cette création.
L’opus se présente comme un dialogue entre l'abstraction d'un mouvement tantôt fluide, quasi-liquide, tantôt figé, et un désir charnel qui s'intensifie et se précise dans une attente méditative. L'expérience est visuellement amplifiée par une stylisation graphique et des compositions musicales envoûtantes. La chorégraphe transcende les représentations littérales de la sexualité pour explorer les profondeurs des désirs, peurs et fantasmes qui constituent notre psyché.
Adoptant un langage chorégraphique aussi précis qu’un sismographe des émotions et sensations, elle convie les corps à exprimer l’énergie invisible et puissante qui nous traverse. Inspirée par ses études en sexologie et en neurosciences, elle intègre ses connaissances dans un processus créatif riche, où la danse devient une réflexion méditative sur les dynamiques du désir, explorant les frontières entre le visible et l'invisible.
L’œuvre établit un lien poétique et spirituel avec l’exploration sexuelle tout en soulignant la continuité artistique et thématique au fil des collaborations antérieures de la chorégraphe avec le musicien Eric Linder. Rencontre.
Sur le titre de cette nouvelle création...
Perrine Valli: L’intitulé vient pour une part de la physique quantique qui m’intéresse depuis ces dernières années œuvrant sur les paliers d’énergie. Kantik aborde et explore l’énergie psychique orientée vers la sexualité, des pensées aux émotions et désirs. Tout un univers se déroulant dans nos têtes.
Quant à elle, l’influence parallèle l’écrit biblique, Le Cantique des Cantiques, ne se retrouve pas transmise littéralement au plateau. Elle a toutefois alimenté le travail réflexif de création notamment. Le statut de la femme ne se retrouve pas érotisé, alors que le féminin peut y évoquer sa propre sexualité.
Ce texte a été un déclic, car j’y ai retrouvé mes interrogations de toujours: la physique quantique questionnant tant l’énergie que l’origine du monde. Mais aussi la sexualité abordée sur un mode métaphorique. Dans oublier l’art qui sublime ces sujets.
L'exploration chorégraphique elle, se concentre sur des concepts contradictoires tels que la tension et le relâchement, la vitesse et la lenteur, la légèreté et la lourdeur, la liberté et la restriction, ainsi que l'attraction et la répulsion.
Comment l’exploration de l'énergie sexuelle se traduit-elle à travers le mouvement corporel?Baignée d’une forte abstraction, la pièce évoque plutôt des notions autour de la sexualité. Ainsi par exemple, la pulsion une énergie sexuelle et corporelle pouvant se manifester sur scène par des spasmes, crispations ou contorsions.
Cette dimension se traduira aussi grâce à des corps qui s’abandonnent au fil d’un relâchement. Plus loin, la pièce croise des corps faisant l’expérience d’un climax énergétique tentant de se transmettre une forme d’excitation mutuelle. Nous aurons également des corps s’influençant l’un l’autre. Ceci en déployant tout un canevas chorégraphique jouant sur des connexions reliant réciproquement les interprètes.
Oui. Une séquence découvre les corps pris dans une grande ronde, courant les un.es derrière les autres. À cette occasion, les interprètes sont littéralement saisis par un courant et prise par l’énergie psychique, physique et corpusculaire et cosmique qui est le sujet central du spectacle.
L’énergie corporelle évoquée peut également se manifester à travers la figure de la chute. Il s’agit cette fois du poids rigide de la sexualité pouvant écraser les corps. C’est une poésie de l’instabilité qui joue de l’énergie contre la gravité. D’où l’alternance de la chute et du rétablissement au sein d’une dynamique de groupe.
S’il existe des connexions, frottements et contacts entre les interprètes au plateau, une sensualité donc, il n’a jamais été question pour moi de représenter la sexualité et l’acte sexué de manière explicite et illustrative. Dans cette pièce, la sexualité est présente dans une grande diversité. Elle explore des enjeux notamment de pluralités, d'homosexualité, de genres et d'identités.
Les douze danseurs et danseuses se produisent essentiellement en formation de groupe, dessinant des configurations et des spirales qui rappellent des courants d'énergie. La performance comprendra également des duos, trios et en petits ensembles, semblables à des particules qui se détachent du groupe principal.
La musique moderne et originale est notamment lointainement inspirée dans sa dimension spirituelle par Hildegarde de Bingen, une compositrice et moniale mystique du XIIe siècle. Mais la partition due Eric Linder reste fondamentalement abstraite.
Cet artiste a déjà collaboré avec moi pour les pièces Intérieur en été, Les Renards de surface, Une Femme au soleil, La Danse du Tutuguri, Sun Trip, Cité intérieure, L’Un à queue fouetteuse et Cloud. Cette partition musicale participe à visualiser un aspect souvent laissé invisible, l'énergie sexuelle.
Un tableau arpentant les états de peur et d’effroi est marqué par le recours à des masques de loup imaginés par l’artiste pluridisciplinaire Nagi Gianni. Il est empreint d’une dimension plus psychique fantasmatique, inconsciente et somatique. Partie à l’intuition, je lui ai demandé si les masques de loup ouvraient à des expérimentations.
Cette figure peut représenter notre part instinctive ou d’animalité. Si trois masques refigurent des têtes de loup dans leur entièreté, d’autres ne les reproduisent qu’à moitié avec leur pilosité laissant une partie du visage à nu. L’on assiste à un processus de métamorphose, passant de masques ressemblant à des peaux déformées, floutées à la figuration hyperréaliste d’une tête de loup.
Absolument. On les découvre rodant sur les bords de la scène. Dans la pièce, les loups se révèlent prédateurs agressant une jeune femme, évoquant le danger et le viol. Cela n’empêchera pas la femme de monter ensuite sur le carnassier.
Le loup se mue alors en objet de désir avant de passer par une certaine drôlerie. Et de se révéler une figure maternelle, protectrice, se faisant doux. Mais les hommes en sont aussi les victimes.
Que l’on songe aux abus et actes pédophiles en société religieuse ou laïque. La prédation recouvre aussi toute une palette de conditionnements pouvant peser sur la sexualité masculine. À cet égard, je souhaite laisser un champ libre à l’interprétation du public des scènes convoquées au plateau.
Spécialisée et centrée sur la sexualité féminine, il m’a semblé pertinent d’en explorer des versants plus sombres et durs, les loups déboulant comme des peurs et traumas. Il est aussi question de corps de souffrance.
À mes yeux, les histoires de la sexualité, ici féminine, là masculine ne sont radicalement pas les mêmes. Du coup, la pièce ne saurait oublier une énergie sexuelle pouvant se révéler tour à tour négative et positive.
Kantik
Le 3 mai à L’Usine à Gaz, Nyon
Perrine Valli, chorégraphie
Avec Léna Sophia Bagutti, Clément Carre, Bilal El Had, Axel Escot, Ludivine Ferrara, Yuta Ishikawa, Julien Meslage, Vittorio Pagani, Tilouna Morel / Julia Rieder, Salomé Rebuffat, Pauline Rousselet
Informations, réservations:
https://usineagaz.ch/event/kantik/
Dans le cadre du Festival Steps