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Au bord de l’eau et au fil du monde

Publié le 22.06.2023

La première image d’une saison n’est-elle pas son identité visuelle voulue plurielle par le Théâtre de Vidy? Pour celle qui s’achève, le Théâtre au bord de l’eau a choisi le travail de la photographe suisse-guinéenne Namsa Leuba. Rebelotte pour la nouvelle saison en compagnie de la photographe française Yohanne Lamoulère. Son travail choisi, Les Enfants du fleuve, sera aussi à l’honneur cet été aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles. De la mer Méditerranée et du Sud, elle met le cap vers le glacier du Rhône. Entre créations, reprises sous le sceau de la fidélité - et de la durabilité - et accueils, le voyage artistique de Vidy part en sens inverse. Des rives du Léman vers le bassin méditerranéen.

Ainsi avec Lola Giouse et son théâtre musical des émotions à fleur de peau, We’re Here. Sous les étoiles exactement. On accoste ensuite à Beyrouth au détour de Fumée d’ambre du tandem Issam Bou Khaled et Sarmad Louis, théâtre choral autour de l’une des plus grandes catastrophes humaines, sociales et environnementales de ce siècle. Telles sont parmi les premières escales d’une belle demi-saison.

Découvertes de quelques spectacles en compagnie de Vincent Baudriller, directeur artistique du Théâtre de Vidy naviguant sur toutes les eaux des arts scéniques.



Pourquoi ce choix de mettre en avant l’image photo?

Vincent Baudriller: Au-delà de mon intérêt pour le 8e art, il me semble important que le premier contact du public avec les histoires et les spectacles qui se déroulent à Vidy soit un geste artistique fort. Il est donc pertinent de s’associer à des artistes visuelles et photographes. Ceci pour accompagner le récit d’une saison et entrer en résonance avec lui. Nous avons retenu pour cette saison le travail de la photographe Yohanne Lamoulère Les Enfants du fleuve (exposition à la Kantina de Vidy, 13 sept-15 déc. 2023).

Basée à Marseille, elle a longtemps vécu dans le delta du Rhône. Un fleuve qu’elle a eu pour projet de remonter en partant de la Camargue pour naviguer jusqu’en Valais à sa source sur 812 kilomètres de long.

Elle a tenté de saisir les personnes qui peuplent ce Rhône. D’où une manière de s’interroger sur notre rapport à la nature et les questions environnementales qu’incarne bien ce fleuve. Ceci depuis sa pollution et sa fragilité jusqu’au fait qu’il est source de vie et d’énergie. N’est-il pas aussi la voie de communication depuis Lausanne vers la Méditerranée et toutes ces cultures qui enrichissent la saison à venir?



Fumée d’ambre (les 16 et 17 septembre) revient sur un drame libanais...

Le spectacle interroge la discrimination, l’injustice et l’impunité qui flottent autour de l’énorme explosion qui a eu lieu 4 août 2020 dans le port de Beyrouth. Elle a été causée par le stockage illégal sans précaution de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt. L’accident industriel a détruit des quartiers proches du port.* Cette catastrophe symbolise aussi une période marquée par un délabrement, politique, social et économique.

Cosigné par deux artistes vivant dans la capitale libanaise, Issam Bou Khaled et Sarmad Louis, Fumée d’ambre aborde directement dans une réunion virtuelle notamment, l’activisme visant à lever des fonds pour les victimes. Et leur statut ainsi que celui des coupables toujours impunis. Née en plein Covid, c’est une réalisation à forte charge politique pleine d’humour provocateur et de sarcasme en lien au présent.

Vidy s’associe à la quatrième édition de Lausanne Méditerranées, un événement porté par la Ville de Lausanne et dédié cette année au Liban.

J’ai développé une longue histoire commune et fidélité avec le couple d’artistes libanais formé de Lina Majdalanie et Rabih Mroué qui est aussi un plasticien renommé dans le monde des arts visuels. C’est une production du Théâtre de Vidy déjà présentée en janvier dernier. Pour Hartaqāt (Hérésie) (du 5 au 8 oct.) Le duo est parti de trois textes commandés à une autrice et deux auteurs libanais en exil.

Ces écrivain.es ont ainsi travaillé un regard singulier sur la question de l’exil. Raconté par le musicien Raed Yassin, le premier est dû à Rana Issa. Il relie l’exil intime avec la destinée de sa grand-mère palestinienne réfugiée dans un camp à Beyrouth. Le second est l’œuvre de Souhaib Ayoub, écrivain, poète et journaliste libanais installé à Paris ayant fui de Tripoli pour vivre librement son homosexualité. Il l’interprète avec une dimension performative. Le troisième écrit est l’œuvre d’un intellectuel libanais vivant aux Etats-Unis, Bilal Khbeiz. Il interroge le territoire auquel l’exilé se relie. La performeuse Lina Majdalanie dit ce texte. Celui-ci est accompagné d’une œuvre visuelle réalisée Rabih Mroué comme le paysage des drames libanais.





Deux opus se déploient autour d’un banquier libanais.

A mon sens, la question de l’économie et de la finance est essentielle à la compréhension du monde d’aujourd’hui. Or le délitement de la société libanaise actuelle est aussi économique et financier. Actrice, autrice et metteuse en scène basée à Beyrouth, Chrystèle Khodr a développé deux formes, une lecture musicale (L’Ascension et la chute de la Suisse d’Orient, du 5 au 8 octobre.) et un jeu de société participatif tissant le lien entre effondrement financier et sentiment amoureux (Qui a tué Youssef Beidas?, du 5 au 8 oct.).

Le tout autour de l’histoire et de la figure de Youssef Beidas, un Palestinien ayant fui la Palestine en 1948 avant de s’installer au Liban. A travers ce destin, la femme de théâtre évoque l’effondrement présent du système économique et financier libanais qui a mené à une corruption effrénée.

Quels sont les éléments qui vous ont attiré dans le travail de Lola Giouse ouvrant la saison?

Lola Giouse a beaucoup joué sur la scène de Vidy en tant qu’actrice. En découvrant le premier volet de sa trilogie théâtrale et musicale We’re Here (du 14 au 17 sept.) intitulé This is not a love song, je fus impressionné par son talent, sa belle énergie et sa foi au gré d’un théâtre vivant, généreux et joyeux. Et cette capacité à saisir les questions existentielles qui traversent la jeunesse.

Nous avons aussi invité la création du deuxième épisode, Lust for Life. Et toujours en plein air grâce à un gradin installé dans la cour du Théâtre, nous produisons l’ultime partie, True Faith. Il s’agit toujours de l’histoire d’un groupe d’amis et de musique s‘interrogeant ou non sur la nécessiter de jouer. Faut-il faire de l’art ou s’engager dans la politique. Au final, c’est le jeu, la fête et le partage avec le public qui se concrétisent.

Après entre autres Farm Fatale et la création de Fantasmagoria à Vidy, Philippe Quesne s’est inspiré d’une composition de Jérôme Bosch.

C’est un artiste qui bénéficie d’un compagnonnage avec Vidy. Ainsi pour Le Jardin des délices qui sera créé au Festival d’Avignon pour venir ensuite à Vidy (26 sept. au 5 oct.) après un détour par Athènes et la Ruhr. Les spectacles imaginés par le metteur en scène, plasticien et scénographe Philippe Quesne suivent invariablement une petite communauté plongée dans un milieu plus ou moins hostile. Elles essayent alors de créer du commun, de l’art et des utopies. Ici à partir d’un fascinant tableau ouvrant sur l’univers imaginaire et fabuleux de Jérôme Bosch. Créer des imaginaires reste un geste d’une grande acuité.

La place faite à la danse est importante. Quelques noms parmi d’autres?

Oui. La grande chorégraphe brésilienne, Lia Rodrigues signe Encantado ( les 9 et 10 octobre.) Son travail se base sur les actions artistiques et pédagogiques qu’elle mène dans la favela où elle a créé, avec l’association Redes da Maré, le Centre des arts et l’Ecole libre de danse. Dans ce spectacle magique, elle convoque ces esprits qui vivent entre ciel et terre, les encantados. Elle rejoint une dimension essentielle de la saison, celle d’ouvrir de nouveaux imaginaires à l’ère de la crise environnementale.

L’Ivoirienne Nadia Beugré s’intéresse à la communauté transgenre en luttant contre les assignations identitaires. Ses membres s’adonnent à la coiffure le jour. La nuit venue, ces êtres se muent en divas des pistes de danse d’Abidjan (7-10 nov.). Eléphant de La Marocaine Bouchra Ouizguen réunit des interprètes venus des arts populaires de son pays et d’horizons chorégraphiques contemporaines. Pour un spectacle empreint d’une forte liberté et singularité s’inspirant des Laâbates, artistes femmes chères aux fêtes traditionnelles (du 14 au 17 novembre.) Le GDRA , collectif transdisciplinaire (danses, chant, musique et anthropologie..) donne la parole à la Méditerranée à travers Au milieu des terres, avec notamment les mots de l’anthroplogue lausannois Mondher Kilani (du 30 novembre au 4 décembre)





Marc Oosterhoff interroge le théâtre comme lieu. Nina Negri et Laura Den Hondt proposent, elles, Violence Forest.

Formé à la danse et au cirque, le Lausannois Marc Oosterhoff est un artiste prometteur et engagé réalisant du théâtre dans l’espace public et en salle. Pour la création de Préparation pour un miracle. Catastrophes et magie, il imagine un homme enfermé dans un théâtre dans un univers dysfonctionnel (31 oct.-12 nov.). On y retrouve grâce à ce mélange entre chorégraphie, cirque et magie les influences croisées de Beckett, Keaton et du Bartleby de Melville.

Nous suivons le parcours de Laura Negri, jeune metteure en scène issue de la Manufacture pour un troisième projet. Avec l’excellente comédienne et metteure en scène Laura Den Hondt, le binôme s’interroge sur la radicalité du mouvement féministe, le recours à la violence relativement à la violence éprouvée et subie par les femmes. L’enquête sur cette thématique passe aussi par l’héroïne du roman Pastorale américaine signé Philip Roth (Violence Forest,  du 1er au 17 nov.).

Une figure historique du théâtre européen Matthias Langhoff est présente tandis que Robert Cantarella monte un classique.

La programmation s’attache à la notion de transmission entre générations. Ancien directeur du Théâtre de Vidy de 1989 à 1991, il est l’un des grands metteurs en scène contemporains et renommé concepteur d’espaces et d’environnements scéniques. Matthias Langhoff a développé une forte complicité avec le dramaturge est-allemand Heiner Müller. Ensemble, ils ont créé en 1983 à Bochum ces trois textes concis et puissants autour du mythe de Médée, Rivage à l'abandon, Médée-matériau et Paysage avec argonautes qu’ils envisagent entre le théâtre dramatique et la poésie (du 22 au 26 novembre.). Ou comment s’interroger et faire réentendre les écrits de Müller sur cette Europe se construisant sur les ruines de la guerre, du communisme, mais aussi du capitalisme.

Le metteur en scène français Robert Cantarella et l’auteur Stéphane Bouquet revisitent l’une des pièces phares des débuts du romantisme, Un prince de Hombourg, d’Heinrich von Kleist (du 6 au 10 décembre.) L’histoire se souvient de cette œuvre iconique montée en 1951 par Jean Vilar dans la Cour d’Honneur d’Avignon avec Gérard Philipe dans le rôle-titre. Cette pièce nous parle avec pertinence du rapport au monde de la jeunesse. Ou comment prendre et trouver ses distances avec le fonctionnement de la société d’aujourd’hui. En témoigne le personnage de ce jeune Prince rêveur, distrait et refusant de s’engager dans la guerre.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Vidy Théâtre - Lausanne
Septembre - Février

Premiers spectacles de la demi-saison:

Lola Giouse, We're Here, du 14 au 17 septembre
Issam Bou Khaled - Sarmad Louis, Fumée d’ambre, les 16 et 17 septembre
Philippe Quesne, Le Jardin des délices, du 26 septembre au 5 octobre
Chrystèle Khodr, Qui a tué Youssef Beidas?, du 5 au 8 octobre


Programme complet, informations, réservations:
https://vidy.ch/fr/  


*Bilan d’environ 215 morts et 6’500 blessés. Les autorités libanaises sont mises en cause par des ONG et les familles des victimes, notamment pour faire obstacle aux investigations locales et leur refus d’une enquête internationale, ndr.

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