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Apocalypse réflexive et joyeuse

Publié le 25.01.2022

L’Apocalypse est envisagée telle une opportunité et non une fatalité par Louis Bonard à l’Arsenic pour le premier épisode de cette série théâtrale, du 27 au 30 janvier. Des millénaristes aux collapsologues, les ultimes moments de l’humanité sur terre sont l’objet de tous les scénarios anxiogènes. Déclinant le texte labyrinthique de Saint Jean - ou plutôt son squelette, - en feuilleton, l’artiste en bouffon déleste la partition initiale de toute religiosité. Mieux, il varie les genres et adresses théâtrales convoquées, du cabaret au chant polyphonique. Jusqu’en juin 2022 se déploieront Le début de la fin (des formes de sermons notamment)), Les adieux (les fléaux), L’Adversaire (Satan, le Mal), Promesses… (la Jérusalem céleste de l’utopie). L’ensemble débouche sur l’assomption d’un monde nouveau, pacifié, un idéal social réalisé.
Les intuitions de Louis Bonard, dramaturge, metteur en scène et comédien qui s’efforce de nous rendre le texte biblique plus proche de nos quotidiens déboussolés.


L’Apocalypse est tout à la fois un livre fascinant et difficile, célèbre et méconnu.

Louis Bonard: De la Bible, l’on connait des noms qui sonnent familiers, les sept Cavaliers de l’Apocalypse et autant de trompettes. Face à un texte dont certaines images troublantes, nébuleuses et passées en boucle semblent impossibles à traduire scéniquement, voire à comprendre, je me suis plongé à la fois dans une méditation et une réflexion. Avec ses dimensions qui hantent et habitent profondément, voici un écrit dont on peut résolument faire une lecture poétique.



L’écrit de Saint Jean ou Livre de la Révélation est aussi lié à la joie selon le philosophe du 17e siècle, Spinoza.

Mon travail est effectivement empreint d’un esprit résolument joyeux. Sans se refuser pour autant une part très critique et sombre. C’est l’essai de regarder le monde avec sévérité, un ton grinçant tout en faisant que le joie et l’optimisme demeurent. Aujourd’hui, ce texte est toutefois peu utilisé au sein de la chrétienté tant il condamne avec grande violence les Chrétiens victimes de grandes persécutions, déjà au temps de son écriture par Jean exilé du fait de sa foi chrétienne. Il reçoit des lettres adressées aux communautés religieuses. Elles condamnent durement la tiédeur, le doute. Et appellent à être acteur de sa vie sans aucune concession. Le Christ dicte ainsi à Jean sept lettres, à sept communautés religieuses. Elles forment un constat sur le monde, et sur ses courants de pensée.

Quelle est donc son actualité dans le fait d’imaginer des possibles pour nos sociétés déboussolées?

Depuis plusieurs projets personnels réalisés faisant référence à des esthétiques du passé, je m’efforce de susciter des cadres fictifs pour penser et regarder le présent, si ce n’est un monde futur en faisant toujours un pas de côté. Pour le philosophe italien Giorgio Agamben en substance, regarder le présent est aussi vain que de contempler le soleil. A regarder le présent, on se brûle les yeux. Au fond on en parlerait toujours mal. Il s’agit alors moins de jardiner le présent que de créer des espaces de fiction, de fable. Pour faire avec l’Apocalypse, table rase de tout ce que l’on connaît, imaginer un nouveau monde différent accompagné par l’idée de purge.





Sur le décor.

Au plan de la forme, je résiste farouchement à une déclinaison minimale. D’où l’idée d’un dispositif scénographique modulable, majestueux et enfantin créé pour les quatre épisodes. Il y a l’idée du démiurge (Dieu, l’artiste…) construisant un petit monde mais aussi de l’enfant bricolant le sien. Le décor reprend certaines idées de la monumentale tapisserie dépeignant L’Apocalypse présente au Château d’Angers - cette représentation de L'Apocalypse de Jean réalisée à la fin du 14ᵉ s. sur commande du duc Louis Iᵉʳ d'Anjou est le plus conséquent ensemble de tapisseries médiévales au monde pour rassurer ses sujets en temps de crise.

Mais encore…

Ces tentures reprennent souvent le motif d’édifices qui s’effondrent comme des blocs issus de jeux enfantins. D’où la réalisation scénographique visant à reproduire une sorte de jeu de construction géant. Il s’agit évidemment d’une scénographie évolutive d’un épisode à l’autre. Ce premier épisode est une forme d’échauffement à L’Apocalypse. Comme je l’écris dans le texte du spectacle, l’Apocalypse, 
«c’est un genre qui s’inscrit dans les périodes un peu agitées, comme on dit de crise, mais crise au sens où non pas on subit une catastrophe mais la crisis grecque c’est l’injonction à analyser et à prendre une décision En ce sens une crise c’est une bonne nouvelle, c’est une bonne occasion de se décider, de faire mémoire, de manifester son espérance, de dire à quoi on tient.»

Vous avez créé un personnage de messager que vous incarnez.

Il ne s’agit pas vraiment d'un personnage. Bien plutôt une sorte de morphing entre l’acteur et metteur que je suis en scène (Louis) et le rôle que prend le Jean biblique dans le récit. Narrateur sobre, Il est un être de l’entre-deux ayant accès à l’autre monde, celui de l’invisible du commencement et de la fin, le monde du hors-temps.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


L’Apocalypse – épisode 1: Le début de la fin
De et avec Louis Bonnard Du 27 au 30 janvier à l’Arsenic, Lausanne

Informations, réservations:
https://arsenic.ch/spectacle/lapocalypse-1