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Avenir radieusement incertain

Publié le 06.06.2020

Du 21 avril au 10 mai, il n’a pas été possible d’assister à Avenir Radieux, au Pulloff Théâtres de Lausanne. La pièce met en scène une terre romande aussi attachée à un fond immémorial de croyances et légendes que dispersée dans l’universel. Avenir radieux piste une croyance heureuse. Celle d’un père en les promesses de la modernité et de la croissance illimitée des Trente Glorieuses (1946-1975). Mais aussi la volonté de s’arracher à un passé de pauvreté et suivre le tourbillon de la société de consommation. Tels sont les grands traits de cette fresque partagée entre drôlerie et gravité. La pièce oratorio est l’adaptation du roman de l’écrivain valaisan Jérôme Meizoz, Absolument modernes! par le dramaturge et metteur en scène Jean-Luc Borgeat originaire de la même commune que l’auteur, Vernayaz.

Des anges compassionnels et impuissants au spectacle d’une humanité courant à sa perte se mêlent à un fils déraciné revenu prendre le pouls de ce qui disparaît. Mais aussi à un entrepreneur empereur hypnotisant les foules pour un profit oublieux de l’extinction des biotopes et espèces. Au-delà, cette chronique caustique séduit par cette manière inventive de nouer épisodes d’une vie familiale intime et habiles constats sur un devenir collectif.

 

Comment s’est déroulée votre rencontre avec l’œuvre de Jérôme Meizoz?

Jean-Luc Borgeat: De Jérôme Meizoz, Prix Suisse de littérature 2018, j’ai créé et joué Haute Trahison, un texte qu’il m’a confié, à l’Espace Monologue du Théâtre 2.21. La pièce imagine un auteur sollicité en vue d’une commande: la préface pour un catalogue consacré aux «peintres de montagne». Or l’écrivain ferait plutôt le portrait des domestiques, ces «bonnes» assurant aux peintres la possibilité de travailler en paix. Ce monologue évoque l’usure du langage, la domination politique, la loyauté dans les relations humaines et le pouvoir de l’art.
L’adaptation de son roman, Absolument modernes! s’est faite sur la base d’un extrait envoyé par l’auteur, prélude à un échange fécond avec l’auteur. Du côté des personnages qualifiés de «bâtisseurs» dans le récit, Jérôme Meizoz est sensible sur Martigny à la politique entrepreneuriale de l’homme d’affaires et entraîneur du FC Sion, Christian Constantin auquel le texte fait d’ailleurs allusion de manière détournée. Ils érigent «des cages à humains pour les Assureurs qui les payaient avec l’argent des Travailleurs», entend-on. C’est un pays d’entrepreneurs empereurs où règne l’utralibéralisme.

 

 

L’auteur interroge aussi la violence présente dans le Haut-Valais.

Assurément. Dans son roman Haut Val des Loups, Jérôme Meizoz explore un fait divers des années 1990: la tentative d’assassinat dont a été victime un jeune militant écologiste valaisan. J’apprécie la prise de position de l’écrivain relativement à la nature, l’environnement et ce Valais qui a été, en partie, «bétonné», dès l’expansion du tourisme de la fin du 19e siècle.
La mer comme la montagne prend les hommes. Il a été longtemps inconcevable pour les indigènes valaisans d’aller se balader en leurs monts et sommets pour le plaisir. L’on s’y rend pour planter du seigle ou élever de la vache d’Hérens. Au 19e, les mariages se réalisaient de village en village pour des rasions économiques liées à des pâtures et alpages afin d’éviter l’avènement du grand propriétaire terrien. A mes yeux, la violence remonte à loin au cœur de ses grandes vallées encaissées. Que l’on songe aux invasions possibles d’Hannibal et à celles de Napoléon. Les armées colonisent les plaines avec leur lot d’exactions (pillage, viols) provoquant des exodes vers les montagnes.
Cette violence est ainsi intrinsèquement liée à la dureté de la vie et à la difficulté du terrain. L’arrivée du tourisme suscitera un mouvement massif de ventes de terres pour en faire des domaines skiables plutôt que de les cultiver, ce que relève Absolument modernes!

 

Comment se présente la pièce?

Il y a une impressionnante manière ponctuelle de prélever images - le passage des bombardiers dans le ciel valaisan durant la dernière guerre - , émotions et sensations. C’est un puzzle, un kaléidoscope de situations, d’instantanés, de souvenirs d’enfance dessinant une radiographie sociale, historique et humaine. De la fin des années 60 jusqu’en 2000, se livre une constellation de poèmes, rêves, tracts construisent comme une chronique en suivant l’ordre du temps.
Le déferlement de la modernité se marque par un «vieux monde qui part à la renverse». Mais aussi l’irruption d’un nouvel âge du capitalisme, d’une surproduction de richesses inégalement réparties, au détriment des paysages et des vies. En Valais, on sanctifie la modernité, condamnant à l’oubli traditions et coutume.

 

 

La fable débute par la naissance d’un monde…

«Au commencement était l’action. Dieu sépara le haut du bas, la crème du petit-lait et la femme de l’homme. Il tira le béton de la boue et le verre de la pierre.» Avant que Dieu ne créée l’électricité. C’est une genèse provocatrice, manière de titiller l’histoire biblique, certains dogmes en Valais, où le lien à la foi reste puissant.

 

Quels en sont les personnages archétypaux?

Il y a d’abord la figure du déraciné, un voyageur revenu au pays et qui constate, amer, son état. Ensuite celle d’un type social fréquemment rencontré, l’entrepreneur évoluant entre la veulerie et le burlesque involontaire. Enfin, un ange prisonnier de son état immatériel, empêché d’agir. Il mêle inquiétude, colère et ironie. Le spectateur suit les commentaires de ces trois protagonistes témoins de l’évolution d’une région son histoire et sa vie sociale.

 

La mise en scène offre chansons crées et musiciens au plateau.

Rencontrant le compositeur et musicien Arthur Besson qui a travaillé notamment avec Matthias Langhoff, Denis Maillefer, François Courvoisier ou Philippe Mentha et signé 70 musiques originales pour le théâtre, je lui glisse le texte et lui livre le pitch. Le souhait est alors qu’il y pose une certaine couleur lui permettant de composer les chansons.
Au scénographe de travailler sur les ex-voto imaginés. Le spectacle se présente ainsi essentiellement comme un oratorio avec les comédiens face public. Sans dialogues. Ma manière de travailler avec les artisans de la scène est de leur proposer des pistes avant de recueillir leurs façons de respirer un texte, de le segmenter, le rythmer. La création est ainsi le fruit d’un échange constant sans volonté d’imposer une vision et une lecture de la pièce démiurgiques et solitaires. Le théâtre n’est-il pas d’abord une aventure collective et partageuse?

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

 

Avenir radieux, de Jérôme Meizoz
Par la Cie du Milan noir dans une mise en scène de Jean-Luc Borgeat.
Avec Marie Ruchat, Marco Calamandrei, Marc Mayoraz, Loane Ruga, Arthur Besson.

La pièce devait se jouer du 21 avril au 10 mai 2020 au Pulloff Théâtres, Lausanne

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