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Un fil irrésistible

Publié le 18.02.2022

Après sa création au Théâtre du Loup, à Genève, Un fil à la patte, de George Feydeau, tourne ce printemps en Suisse romande - les 1er et 2 avril au Théâtre Benno Besson d'Yverdon. Dix ans après le grand succès de La Puce à l'oreille, le metteur en scène Julien George revient à ce génie comique, pratiquement avec la même troupe.

Chez Feydeau, rien ne se passe jamais comme prévu. Bois d'Enghien veut rompre avec Lucette, vedette de café-concert, pour pouvoir se fiancer avec une jeune aristocrate. Il rate une occasion, la deuxième ne se représentera plus. Quiproquos, gêneurs divers, amis bien-attentionnés maladroits ou malchanceux. Une dizaine de comédiennes et de comédiens participent à la fête. Mais la réussir est loin d'être facile: Quelques jours avant la première, Julien George évoquait quelques secrets





Un spectacle amené à tourner en Suisse romande avec douze comédien-ne-s…Y a-t-il chez vous un plaisir de la grande production?

Ce n’est pas le but, même si cela l’est devenu. D’abord, il y avait le précédent de La Puce à l’oreille, déjà de Feydeau, monté il y a dix ans avec pratiquement la même troupe. La première idée était de retrouver cette troupe, cet auteur et cette émulation. De poursuivre un travail sur cette écriture, qui est très spécifique. On le dit souvent, mais Feydeau, c’est vraiment une mécanique de précision. Sacha Guitry faisait remarquer qu’il savait mathématiquement à quel moment il voulait que les gens rient, et pendant combien de temps.

Et monter un tel spectacle, c’est la perspective - rare à notre époque - de rassembler 25 personnes - les comédien-ne-s et les technicien-ne-s. Bien au delà de la pièce, des thématiques qu’elle porte, c’est cela qui me mobilise: rassembler pour raconter des histoires; une communauté humaine qui se réunit pour transmettre des émotions, des sensations. Entreprendre cela à plus de dix personnes, c’est devenu une gageure. Quand les gens regardent un plateau et saluent douze comédiennes et comédiens, il y a quelque chose de l’ordre du rassemblement. De tels moments dont nous avons été bannis pendant 2 ans. Alors qu’humains, nous sommes faits pour le collectif.



 Vous sentez-vous doué pour ce type d’aventure?


Rassembler des gens, transmettre une énergie pour se lancer dans une aventure artistique et humaine, dont on sortira transformé, c’est ce que je recherche. C’est une des choses les plus belles qui soient. C’est une de mes raisons de vivre - l’autre étant ma famille.

A vous entendre, on peut croire à un mode de création collectif?

Non, tout comme dans tout spectacle, il y a quelqu’un - le metteur en scène - qui a un idée assez claire de ce qu’il veut faire, et qui l’enrichit avec les propositions que lui font les comédien-ne-s et les technicien-ne-s. 


Dans ce cadre, quelle est la spécificité de Feydeau?


La dynamique du texte ne permet pas de partir dans des improvisations. Il faut toujours conserver la bonne distance entre deux comédien-nes, il faut le nombre de pas juste, il faut que les portes s’ouvrent exactement au moment voulu. On passe beaucoup de temps en répétitions à faire de la mise en place, pour permettre aux actrices et acteurs de s’emparer du jeu.







Ce qui surprend, à la relecture du texte, c’est le faible recours aux bons mots, aux punchlines, comme on dit aujourd’hui.
Le 

Il y a de tout. Feydeau se permet tout. Comique de situation, jeux de mots, satire, farce, clown, burlesque… C’est ce qu’il y a d’extraordinaire, chez lui. En fait, je suis d’avis contraire: il n’y a que des punchlines! Tout dépend de la manière de les dire.



Et pour les interprètes?

Ce qui est très compliqué, fascinant et pas toujours facile à capter, c’est que cela exige une outrance dans le jeu. Mais également un très grand niveau de sincérité de la part des comédiennes et des comédiens. Pas pour défendre les personnages, mais dans la manière de s’adresser les uns aux autres et de faire face au publicitaire 



Une forme d’anti-cabotinage?


Oui, et pourtant il faut en faire des tonnes. Pour l’expliquer, je parle beaucoup de Tex Avery aux comédiennes. Quand le loup voit arriver la danseuse, il a les yeux qui sortent des orbites, la langue qui se déroule jusqu’à terre, mais il est complètement sincère. Avec Feydeau, on est dans le zéro psychologie.



Jusqu’où peut aller ce jeu du contre-pied dans cette pièce?
Il est permanent.

Par exemple, dans Le Fil à la patte, l’action ne se passe pas où elle le devrait. Dans le premier acte, il y a un dîner, mais l’action se déroule dans un salon attenant. Dans le deuxième acte, il y a une soirée mondaine, tout se passe dans la chambre dans laquelle la chanteuse invitée - Lucette - doit se changer. Et dans le troisième, l’action a lieu sur un palier, une cage d’escalier - pas un endroit où l’on s’attend à suivre un cours de chant ou voir des personnages se déplacer en sous-vêtements.






Rien ne se déroule comme attendu?


Bois-d'Enghien vient chez Lucette pour mettre un terme à leur relation. Mais comme il est lâche, il remet ça à plus tard et passe la nuit avec elle. Et le moment ne se présente jamais. Dans cette pièce rien de ce qui n’était prévu ne se produit. Le metteur en scène met-il de l’huile dans les rouages?
Le phrasé est parfois un peu désuet, la société a évolué. On essaie de trouver une esthétique qui corresponde à l’esprit sans être dans la reconstitution historique ou dans la transcription à tout prix.

Le rythme pourrait être effréné du début à la fin.

A une semaine de la première, je ne sais pas quelle sensation générale va s’en dégager. Mais il y a des respirations voulues par l’auteur. Par exemple, au début, les personnages vont sans cesse d’une porte à l’autre, il y a énormément de mouvement. Puis tout le monde sort pour le déjeuner, et arrivent deux personnages que tout sépare, la Baronne et Bouzin. Et c’est une situation éminemment voulue par Feydeau, qui disait chercher dans ses pièces à mettre face à face des personnes qui n’auraient aucune raison de se rencontrer. Comment vont-ils rentrer en contact?

C’est un exemple parmi des dizaines d’autres. Mais je dirais qu’il faut suivre Feydeau: chaque fois qu’on essaie de faire autre chose que ce qu’il induit, le résultat est moins bon. Il faut l’adapter à notre espace, à notre esprit, mais ne pas vouloir se montrer plus intelligent que lui.

Propos recueillis par Vincent Borcard
Interview réalisé à l'occasion de la création du spectacle au Théâtre du Loup, Genève


Un Fil à la Patte, de Georges Feydeau

Julien George, mise en en scène

Avec Laurent Deshusses, Carine Barbey, Pascale Vachoux, Léonie Keller, David Casada, Julien George, Thierry Jorand, Julien Tsongas, Mariama Sylla, Nelson Duborgel, Gaëlle Imboden, Janju Bonzon ou Khaled Khouri (en alternance)

Les 1er et 2 avril au Théâtre Benno Besson

Informations, réservations:
https://www.theatrebennobesson.ch/programme-21-22/un-fil-a-la-patte

Tournée 2022
Théâtre Grand-Champ (Gland), 18 mars
Nuithonie (Fribourg), 23 et 24 mars
Nebia (Bienne), 29 mars
Théâtre Benno Besson (Yverdon), 1er et 2 avril
Théâtre du Crochetan (Monthey), 6 au 10 avril
Théâtre de Beausobre (Morges), 13 avril
TKM – Théâtre Kléber-Méleau (Renens), 3 au 15 mai