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Un Roméo & Juliette pictural, l'autre romantique

Publié le 18.05.2024

Directeur musical du Sinfonietta de Lausanne à partir de 2017, puis désormais Premier chef invité, David Reiland est également directeur musical artistique de l’Orchestre national de Metz Grand-Est et directeur artistique du Korean National Symphony Orchestra. Il dirige ce jeudi 23 mai le Sinfonietta et un programme Romeo & Juliette à la Salle Métropole de Lausanne

Formé auprès de Sir Simon Rattle et Sir Roger Norrington, le chef belge voyage de pays en pays pour diriger des orchestres de renommée internationale. Rencontre

En étant directeur musical en Europe et en Asie, vous passez votre vie dans les airs. Comment garder de l’énergie avec un mode de vie si intense?

C’est une habitude dans la vie de chef d’orchestre ou de soliste. Depuis trois mois, j’ai un vol dans un sens ou dans l’autre en moyenne tous les dix jours. Parfois l’Asie, parfois les États-Unis, donc je vis avec un jet-lag que j’ai parfois du mal à compenser.

C’est une vie très fatigante pour laquelle il faut de la discipline, de la flexibilité et beaucoup d’abnégation. Le plus difficile, c’est de faire une croix sur la vie privée, la vie sociale, car on ne peut pas tout gérer de front dans les périodes intenses.

Cela dit, je ne me plains pas, je suis extrêmement heureux de travailler et d’avoir mes trois orchestres qui ont des personnalités variées, des dynamiques et des sonorités différentes.



Le Sinfonietta est une formation plus restreinte que vos deux autres orchestres principaux. Qu’est-ce que cela change dans le relationnel?

Pendant les premières années, j’étais directeur musical du Sinfonietta. Maintenant, j’ai le titre de Premier chef invité, donc je ne les dirige malheureusement plus aussi souvent. Ce sont des musiciens dont j’apprécie la générosité et l’attitude face au travail; ils ont une volonté de donner le meilleur d’eux-mêmes pour l’ultime détail jusqu’au dernier moment.

C’est un enthousiasme général qui fait le charme de cet orchestre. Les contacts sont très humains avec les musiciens, mais aussi avec l’administration. Je m’y sens bien, et pour être franc, il n’y a que quelques endroits sur la planète où j’ai la sensation d’être à la maison. Ce sont des moments qui sont assez uniques dans la saison.





Vous n’avez donc plus le même rôle dans la programmation des concerts?

C’est la deuxième saison que la programmation artistique au sens propre du terme est confiée à la commission artistique. Ils ont néanmoins la gentillesse d’échanger avec moi à propos des concerts que je dirige, mais je respecte totalement leurs propositions et leur façon de faire évoluer le répertoire de l’orchestre, ainsi que le format et le concept du concert.

À vrai dire, je vois une vraie continuité avec la philosophie de programmation que j’avais par le passé. J’ai toujours eu à cœur d’aborder le grand répertoire pour tous ces jeunes musiciens à l’aube de leur carrière et de travailler des œuvres qui ne seraient peut-être pas jouées en concert, que ce soient des créations, des compositrices, des redécouvertes...

Les Roméo et Juliette sont d’ailleurs des œuvres symphoniques généralement jouées en gros effectifs. Pourquoi faire le choix de ce répertoire pour le Sinfonietta de Lausanne?

Le Sinfonietta a deux exceptions dans la saison. Traditionnellement, les concerts d’ouverture et de clôture ont toujours eu une forme «exceptionnelle»: on met les petits plats dans les grands en fonction des budgets. L’effectif des bois est immuable, mais nous élargissons l’effectif de cordes selon les possibilités, dans la limite du raisonnable, et il se trouve que c’est un répertoire qui fonctionne aussi avec cet ensemble.

Roméo et Juliette est un programme que je voulais moi-même concevoir à l’époque et que je n’avais pas eu le temps de mettre en place. C’est rafraîchissant d’entendre ce répertoire dans cette configuration, avec de jeunes musiciens qui ont encore une approche très vive et verte de l’œuvre, qu’ils abordent avec un appétit, une curiosité et un sens critique particuliers. 






Le programme du prochain concert met en parallèle deux versions de Roméo & Juliette stylistiquement très différentes.

Le romantisme de Tchaïkovski est indéniable dans son Roméo et Juliette. Il fait preuve d’un véritable génie mélodique. Tchaïkovski considérait lui-même que c’était une de ses plus belles partitions.

Dans ses correspondances, il a écrit que son Roméo et Juliette contenait des choses qu’il ne pouvait pas dire mais qu’il pouvait mettre en musique. C’était un prétexte, une catharsis pour lui-même et son histoire. Il y a une honnêteté artistique, quelque chose d’extrêmement sincère. C’est pour cela que la pièce est incontournable et qu’elle a connu un succès immédiat.

Et Prokofiev?

Il a eu moins de chance: à ses débuts, son Roméo et Juliette n’a pas été compris et a été jugé indansable, en raison de sa complexité rythmique. C’est une œuvre polymorphe avec une grande variété stylistique, mais c’est aussi ce qui en fait sa force; chaque tableau est très typé, avec un grand voyage esthétique.

La partition de Prokofiev a un côté néo-classique, bien entendu, mais aussi expressionniste. Ne serait-ce que dans le début, par exemple, Prokofiev va déjà bien au-delà de l’impressionnisme qui s’était répandu à l’époque. Il intègre des textures, des structures sonores, notamment dans le 1er tableau, qui entrouvrent des fenêtres sur le reste du XXe siècle.

Le format des œuvres diffère également.

Le but narratif n’est sans doute pas le même?

Tout à fait ! Prokofiev vous prend par la main depuis le début de l’histoire; il décrit des atmosphères mais aussi des actions. Il y a un côté très littéral, pictural et presque cinématographique chez lui. Le format en plusieurs tableaux permet de situer le déroulé des actions de la pièce de Shakespeare par rapport à la musique.

Tchaïkovski avait opté pour une ouverture-fantaisie. Son Roméo et Juliette est comme un poème symphonique qui suggère des atmosphères. Il utilise des thèmes musicaux très caractérisés, comme celui de la haine et de la discorde, et le superbe thème de l’amour.

Entre ces mélodies, l’image de la mort est aussi musicalement incarnée. En entendant tout cela, on peut se construire des images, mais on ne peut pas savoir quelle action se passe à quel moment.

Je le vois plus comme une fantaisie sur un souvenir, sur l’amour. Tchaïkovski avait toujours voulu aborder ce thème: l’amour, qui était une partie compliquée de sa vie, pouvait au moins exister et s’épanouir dans sa musique.

Propos recueillis par Sébastien Cayet


Sinfonietta de Lausanne - Roméo & Juliette
Le jeudi 23 mai 2024 à la Salle Métropole, Lausanne

David Reiland, direction

Programme:
Piotr Ilitch Tchaïkovski Le Lac des cygnes, Suite, op. 20a
Roméo et Juliette, Ouverture-fantaisie

Sergueï Prokofiev, Roméo et Juliette, Suites 1 et 2 (extraits)


Information, réservation:
https://www.sinfonietta.ch