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Qu’est-ce que l’amour?

Publié le 06.06.2022

A découvrir sur la pelouse du Théâtre de Vidy du 9 au 12 juin, This is not a love song de Lola Giouse est une chronique intense, voire un récit organique suivant au plus près les hésitations et pulsions gravitant autour de la relation amoureuse. Non sans humour, se dit, se crie ou se tait, le désir enflammé de fièvre de l’autre dans une pièce charnelle, joueuse et dansante. Qui ne s’adresse pas qu’aux «frustrés de la couette». Entre paroles inachevées, reproches, agitations, non-dits, humeurs d’orgasme insurrectionnel et fluides, qu’est-ce qui circule, s’échange et se dépose entre deux êtres?

Toute une insondable fragilité et une intranquilité traversent de part en part le fait d’aimer et sa réalité. Avant, pendant, après, qu’est-ce que l’amour, le cœur en état d’urgence? Dans une note d’intention, Lola Giouse confie: «Nous avons essayé de voir si le théâtre, les mots, ceux des acteurs, ceux que j’ai écrits pour elle et lui, pour leurs corps, pouvaient dire cela. Est-il possible de raconter ces moments où la vie est si intense qu'elle passe au-delà des mots, quand elle est tout d'un coup sans mot?» D’où le souhait de la rencontrer pour ces quelques mots
.


Sur la manière contrastée des sexes ou genres de faire récit de l’amour…

Lola Giouse: A mes yeux, la pièce pourrait tout aussi bien être jouée par deux filles ou deux garçons. Mais on peut aussi voir dans la pièce la mise un jeu du handicap de n’avoir pas donné, dans l’éducation des garçons, des moyens pour dire, verbaliser, cerner ce que l’on ressent, ses sentiments.

Ce que je retiendrais des questions féministes, c’est précisément la possibilité de donner des moyens aux hommes pour contourner la frustration de cette incapacité à nommer leur ressenti. Le fait de ne pas pouvoir nommer, se dire, peut générer beaucoup de violence. Envers soi et les autres.



La violence est présente à travers un monologue inspiré pour partie de la pièce Manque de Sarah Kane. Soit sauver et détruire par l’amour.

Il ne s’agit pas de citer ce fameux monologue, dont ne subsiste qu’une phrase de Sarah Kane.Ainsi le monologue en question dans 
This is not a love song n’est plus celui de la dramaturge britannique. Je l’ai entièrement réécrit. Notre approche est bien différente. Si l’on prend la pièce de Sarah Kane, le manque d’amour se révèle plus central que l’amour.

Notre pièce a été créée avant le Covid, qui a posé des questions relatives aux rapports physiques, à la proximité entre les corps, mais nous voulions dès lors nous demander comment parler de deux personnes qui s’aiment plutôt que d’évoquer le manque d’amour, la force qui nous pousse vers l’autre plutôt que ce qui y fait obstacle. Nous nous sommes demandé: quels problèmes se déposent et restent quand deux êtres qui s’aiment ont envie d’être ensemble?

Mais encore…

Le pari dramaturgique a été de réduire au maximum les problèmes pour ne garder que ce qui résiste lorsque deux personnes sont irrésistiblement poussées l’une vers l’autre par le désir, la puissance énergétique qui en émane, et l’amour. Contrairement à la pièce de Sarah Kane, il n’y a pas ici une dénonciation du manque d’amour. Mais bien plutôt l’aspiration à trouver encore et toujours la manière de nommer l’amour. Peut-on vraiment comprendre la même chose lorsque l’on se dit mutuellement «Je t’aime», sur ce qui est possible ou non?

Dire ce que l’on ressent, c’est déjà quitter le domaine du sensible pour celui de la parole. On passe d’un régime d’expression sensorielle du sensible à un autre qui tient de la construction syntaxique, de la formulation. C’est une véritable mise à l’épreuve du langage. Chez les personnages incarnés par Géraldine Dupla et Simon Hildebrand, plaisir sexuel et plaisir de jouer se rejoignent.





Face à la femme, l’homme ne parvient pas à se dire, et est déchiré par le cri.

Dans sa manière de se dire, il y a le vertige de s’adresser d’abord à elle et pas à lui. Elle se le raconte ainsi qu’au public, cet amour, ce désir. Cela requiert un courage immense de la part de la comédienne Géraldine Dupla tant l’exercice est exigeant. La tentative de réponse de Simon Hildebrand, elle, représente possiblement une manière genrée de traduire cette difficulté à exprimer ses sentiments. Toutefois comme autrice, je me retrouve autant dans les hésitations et impossibilités à se dire de Simon qu’au détour des plongeons dans la langue que peut faire Géraldine.

Il y a dans le couple une exigence de réciprocité qui peut tourmenter. Or pour le psy français Jacques Lacan l’amour entre femme et homme n’est pas complémentaire.

Oui, c’est une perspective intéressante. Mais à mon sens, dans les différences de perception de la vie, le genre est parfois la moindre. Soit comment l’on s’entend, se comprend. Ou pas. A la fin, sur un fond musical, les deux protagonistes regardent ensemble dans la même direction. Lorsque Géraldine et Simon nous regardent ensemble en se focalisant au même endroit, c’est une manière de traduire qu’il existe un gouffre entre les êtres. Mais que l’on fait simplement avec, jour après jour.

Même sans différence de genres, un abîme est bien là. Il existera toujours en l’autre un endroit que l’on ne peut comprendre ni partager. C’est la tentative essentielle de cette pièce: Peut-on vraiment vivre avec ce gouffre qui nous sépare?





A la fin, il y a un côté roman photo d’une romance classique avec fleurs qui ne se refusent pas.

Assurément. Ce que j’apprécie dans l’amour? C’est qu’il met tout le monde au même niveau. Personne ne peut nier qu’il/elle est ce que l’on appelle bête alors qu’il/elle tombe amoureux. Il s’agit d’un état très fédérateur. A l’image de ce que devrait être le théâtre, un état de communauté, de communion.

Du coup, la tentative de rester au ras des pâquerettes de l’état amoureux est une dimension que l’on peut tous partager. Il n’existe ainsi plus de codes, de rapports au théâtre ou de différences de lectures. Voici quelque chose que tout le monde peut comprendre à sa manière. Comme une chanson.

C’est-à-dire…

This is not a love song
, le titre du groupe Public Image Limited, qui est aussi celui de la pièce, participe du concept de consommation secrète en sociologie. En témoignent ces musiques que l’on écoute tout seul. Puis incidemment Simon accepte de partager avec Géraldine une musique qu’il a peut-être écoutée en solitaire avec son casque, rentrant chez lui après l’avoir rencontrée. Cette chanson, Video Games, par The Young Professionals rend bien ce qui est à la fois agréable, kitsch, pop et soulève un brin le cœur.

Propos recueillis par Michel Vuille





This Is Not a Love Song

Du 9 au 12 juin sur la pelouse du Théâtre de Vidy, Lausanne


Lola Giouse, écriture et mise en scène

Avec Géraldine Dupla Simon Hildebrand

Informations, réservations:

https://vidy.ch/this-is-not-a-love-song

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