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Påg, les retours. Entre nostalgie et réinvention

Publié le 01.12.2024

Avec Il Bosco dell’Alba, nouvelle création, Christian Denisart déploie les Påg dans une fresque théâtrale où l'absurde côtoie l'émotion, et où le passé résonne dans un présent désabusé.

À déguster en tournée romande, et déjà du 9 au 12 janvier à L'Echandole, Yverdon-les-Bains, puis le 24 janvier au Théâtre du Pré-aux-Moines, Cossonay


Dans un registre à la fois comique et mélancolique, le spectacle explorel'itinéraire fantasque de quatre musiciens suédois, Morten, Preben, Tåg et Bra, qui, après avoir connu la gloire dans les années 80, ressuscitent miraculeusement à la fonte des glaces.

Leur come-back sur scène, marqué par une rivalité acharnée avec un groupe italien fictif, les Spag, devient le prétexte d’un affrontement culturel. Le charme scandinave moustachu du Sexy Boys Band se heurte à la flamboyance méditerranéenne volcanique des Latin Lovers.

Entre critiques acérées de l'industrie musicale et introspections personnelles, ce opus - réalisé après Påg - Morning Wood, présenté en reprise à Nuithonie (Fribourg) les 28 et 29 janvier - met en lumière la lutte universelle contre l'obsolescence, avec un humour mordant et une poésie inattendue.

Plus qu’un simple hommage à une décennie révolue,
Påg questionne les notions de célébrité et de pérennité artistique, tout en célébrant la puissance fédératrice de la musique.

Sous les costumes cosplay eighties et les performances absurdes se cachent des personnages profondément humains, luttant pour donner un sens à leur existence dans un monde qui les a relégués au rang de reliques.

Denisart signe ici une œuvre à la fois burlesque et bouleversante, un miroir tendu au public qui oscille, comme les Påg, entre nostalgie et désir de réinvention.

Entretien avec Christian Denisart.


Votre écriture théâtrale regorge de personnages récurrents et d’univers qui se répondent.

Christian Denisart: J’adore mettre des liens entre nos différents spectacles, des personnages récurrents, mais aussi des gimmicks qui reviennent, des objets, des phrases, des langues...

Ceci dit, il y a sûrement aussi des récurrences involontaires. Je ne pense pas qu’on peut réellement contrôler ce qui va finir par constituer un univers, je crois qu’on ne peut que se retourner et se dire: «Ah tiens, il y a des choses qui se retrouvent...»



Vos liens avec la Suède?

Ma mère est suédoise! J’ai même eu le passeport suédois, de 15 à 25 ans. Ça a toujours été un élément un peu étrange que cette nationalité, d’autant que je ne ressemble pas aux suédois tels que l’on se les imagine.

Ce spectacle est ma revanche sur ma scandinavitude contrariée, je peux enfin parler ce suédois que j’ai tant entendu et jamais appris.

Habillés pareil, les Påg sont comme des clones avec variantes. On peut songer à Philippe Katerine dans certains de ses clips.

C’est amusant, car Påg a déjà partagé la scène de Philippe Katerine deux fois, aux Docks et à Paléo en 2010-2011! Il est vrai que Morten, mon personnage, est pour moi mon alter ego qui peut tout, qui ose tout. Derrière ses lunettes et sa moustache, la vie est simple, gaie et pleine d’audace!

Vos deux épisodes Påg semblent mêler satire sociale, humour absurde et réflexions existentielles.

Ces deux spectacles sont certainement les plus potaches de la compagnie des Voyages Extraordinaires, ils sont d’abord abordés de manière instinctive et rigolarde, du genre «et si les Påg avaient comme concurrents un groupe de pop italienne qui s’appellerait Spag?».

Ensuite j’essaie de trouver une dramaturgie qui se tienne, c’est une des parties que je préfère dans la création.

Enfin, la satire sociale apparaît dans telle ou telle scène. Et on la travaille pour la faire ressortir. Mais on peut voir ces spectacles juste pour le plaisir d’entendre cette musique et s’amuser.





Avec ces deux spectacles dans la langue d’IKEA, vos créations sont uniques dans le paysage théâtral helvétique.

Nous parlons véritablement suédois, mais avec une astuce que je ne vais pas révéler..... Je me suis basé sur les sonorités que j’ai entendu petit du côté de la famille maternelle, et on s’est amusé avec ce chant particulier.

On est maintenant très attaché à notre suédois de pacotille, qu’on pratique depuis près de dix ans.

La nostalgie des années 80 semble être un moteur essentiel de votre œuvre. Comment expliquez-vous cette fascination pour une époque que vous décrivez à la fois comme désert culturel et source d’inspiration infinie?


Les années 80, ce sont mes quatorze-vingt ans, c’est l’âge qui je crois définit tant notre petit juke-box personnel, celui qui nous suivra toute notre vie. On écoutera ensuite d’autres choses, mais on sera toujours attachés, secrètement ou non, à ces chansons.

Pour ma part, je suis étonné que les années 80 soient toujours aussi populaires, qui l’aurait cru à l’époque, après les magiques 50’s-60’s-70’s? Après, c’est vrai que je n’aimais pas la plupart de ces tubes, je me prétendais plus rock (ce que je n’étais pas vraiment), mais aujourd’hui ils sont représentatifs d’une époque.

Il faut du temps pour devenir un classique...

Vous explorez la question de l'identité et des origines, à travers votre propre dualité scandinave et italienne.

Je dirais que l’influence principale, ce sont les langues, j’entendais sans comprendre du suédois, de l’italien, de l’anglais, du russe... Et j’écoutais principalement de la musique anglo-saxonne, sans me préoccuper un instant des paroles, c’étaient les voix, l’attitude, la puissance du groupe...

Cette incompréhension donnait un sens magique imaginé, qui m’a souvent déçu quand j’ai compris la platitude du vrai texte. Je remarque que dans beaucoup de spectacle, je mets des langues inventées, comme si elles apportaient une dimension plus poétique que les mots.





Les Påg sont à la croisée des genres: comédie musicale, théâtre, concert, voire clip vidéo.

Påg, c’est à l’origine un groupe de rue, à cappella, qu’on a fondé il y a près de vingt ans. On a fait des concerts, des interventions dans des fêtes, des théâtres, et même vingt minutes devant 30'000 personnes sur la grande scène de Paléo!

On a fait des clips, un disque, et finalement on a eu envie de raconter leur vie et on a fait un premier spectacle en 2017, qui a très bien marché et beaucoup tourné.

On le rejoue ce premier opus au 2.21 du 3 au 10 décembre et à Nuithonie les 28 et 29 janvier 2025, ne le manquez pas!

La thématique des «dinosaures» du showbiz est récurrente dans votre pièce.


C’est plutôt pour se moquer de cette quête de la séduction, du macho... «Je suis sexy, non?» répètent-ils à longueur de discussion.

Leur obsession d’être les plus beaux, le combat de coqs leur fait complètement perdre de vue qu’autour d’eux le monde a changé et qu’ils sont devenus des dinosaures, des curiosités obsolètes, inadaptées.

La réapparition des Påg après leur «congélation» et celle des Spag après leur «pétrification» sont des résurrections symboliques.


À l’époque où on jouait comme groupe de rue, nous nous étions donnés comme cadre de ne faire que des chansons des années 80. Celles-ci ont une patine particulière, à mon avis due à l’arrivée des synthétiseurs dans la pop, de ces nappes romantiques qui ont favorisé des chansons très mélodiques et au son immédiatement identifiable.

Quand nous avons fait la pièce, j’ai proposé cette congélation pour expliquer ce choix. Ça nous a amenés sur d’autres pistes dramaturgiques très intéressantes et amusantes.

Ça nous a également permis de leur inventer une carrière, des aventures amoureuses avec des stars de l’époque, des rivalités avec ABBA ou maintenant Spag.

L’intervention de votre mère comme voix off, et ses commentaires en suédois ou italien, ajoute une dimension personnelle et universelle.

Ça m’amuse et me touche car c’est le suédois et l’italien que j’ai le plus entendu. Et puis elle a la voix de son âge, 74 ans, j’aime bien avoir cette vieille dame qui sermonne cette bande de garçons qui roulent des mécaniques.

Mais la voix n’est pas annoncée comme celle de ma maman.

Vous décrivez Påg - Il Bosco dell’Alba comme une sorte de West Side Story tragi-comique.


Durant ma vingtaine, j’avais un groupe qui marchait bien, Sakaryn, puis je suis arrivé au théâtre par la technique et la musique, composant des bandes-sons pour des pièces.

La musique est donc mon premier langage artistique, et elle rythme chacune de nos créations. J’en ai une approche cinématographique, et on essaie de créer une véritable B.O. qui participe à l’histoire, guide les émotions...

Je m’intéresse particulièrement à la place du musicien sur scène, je trouve qu’elle est souvent mal exploitée, du genre: que fait ce personnage avec un saxophone?

Comment faire en sorte que des musiciens sur scène puissent jouer autrement qu’en fosse, et qu’ils entrent naturellement dans l’histoire.

Les Påg montent un meuble IKEA, une scène à la fois absurde et métaphorique. Que représente cette tâche pour eux?


Nous voulions surtout montrer que les rêves auxquels accèdent les stars (Gloire! Fortune! Séduction!) ne sont pas forcément la panacée, et il est frappant de voir le nombre de dépressions, suicides, etc. dans cette population.

Si on voit Påg chercher désespérément à faire des choses simples comme un feu de cheminée, la cuisine ou un meuble IKEA, c’est que ses membres ont sûrement tout essayé sans y trouver le bonheur. Je trouve rassurant de supposer que celui-ci se cache dans des choses bien plus à portée que de devenir une star.

C’est banal, mais je suis pour ma part heureux d’être père, amoureux...

Propos recueillis par Pierre Siméon

Påg - Il Bosco Dell'Alba,
Du 9 au 12 janvier à L'Echandole, Yverdon-les-Bains
Le 24 janvier au Théâtre du Pré-aux-Moines, Cossonay

Christian Denisart, texte et création
Avec Blaise Bersinger, Domenico Carli, Vincent David, Christian Denisart, Pierrick Destraz, Greg Guhl, Salvatore Orlando, Pascal Schopfer

Informations, réservations:
https://echandole.ch/spectacles/pag-2/
https://www.preauxmoines.ch

autres représentations:

Il Bosco Dell'Alba

Du 30 janvier au 2 février à Equilibre-Nuithonie, Fribourg
Du 7 au 9 février au Casino-Théâtre de Rolle

Morning Wood
Les 28 et 29 janvier à Equilibre-Nuithonie, Fribourg

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