Donatienne Amann: Super Elle
Elle aborde ses peurs du quotidien - des piqûres d'abeilles à l'éco-anxiété, en passant par les douleurs menstruelles. Shootée à la tisane de framboisier aux vertus anxiolytiques, l’artiste infuse ensuite ses "super-pouvoirs inutiles".
Son seule-en-scène touche en plein cœur, en allumant cette petite flamme vacillante de l'estime de soi. Moins pour se transformer en une meilleure version de soi-même que pour s'accepter un peu plus, un peu mieux.
Formée à La Manufacture (Haute Ecole des arts de la scène de Lausanne), l’artiste s’appuie sur son expérience en improvisation et écriture de plateau pour créer un spectacle à la fois drôle et profond. Costumière, sa maman lui imaginait des tenues de Princesse. Cela tombe bien puisque pour son premier solo, elle a incarné un dragon pas vraiment tout feu tout flamme à l’idée de carboniser les innocentes qu’on lui sacrifie.
Accroc à la pop culture - la saga du Seigneur des Anneaux, l’univers des Super-Héroïnes/Héros, une chanson du blockbuster Top Gun –, la Vaudoise est une sagace observatrice de nos interactions quotidiennes. Elle révèle ainsi ce que l’on n’aurait parfois guère su formuler pour soi.
Avec un style oscillant entre conteuse et humoriste, cette idéaliste à tendance réaliste se montre tour à tour timide, mélancolique et battante contradictoire ferraillant avec ses démons intérieurs. Sans s’appesantir.
Entretien avec une artiste aux multiples facettes.
Qu’est-ce qui vous amenée à la scène en solitaire?
Donatienne Amann: J’étais une enfant très timide, un brin mélancolique. Grâce à la scène, entre autres, j’ai commencé à m’ouvrir. La discipline de l’improvisation m’a fait prendre conscience que je pouvais m’affirmer. Et également être drôle. Même si c’est pas toujours facile de prendre sa place dans un milieu, qui est encore très dominé par le genre masculin.
Quand j’ai tenté le stand-up, j’ai découvert cette chose incroyable: déclencher le rire chez l’autre. Je me suis revue enfant et n’aurais jamais imaginée être capable d’une chose pareille. L’envie d’un solo trottait dans ma tête depuis un moment et la forme du stand-up est venue naturellement.
On est nue quand on fait du stand-up. Il n’y a rien derrière lequel se cacher, ni décor, ni personnage. J’ai trouvé que c’était une bonne façon de parler des peurs, celles qui m’ont retenues pendant trop longtemps de déployer mes ailes et que j’ai combattues pour arriver sur scène, seule.
J’avoue avoir pris la première idée qui me venait et me faisait rire: parler du titre.
Je sais que celui-ci est intrigant et potentiellement évocateur, je voulais jouer sur ce que tout le monde pouvait en penser pour annoncer que non, ça ne va pas être un spectacle en-dessous de la ceinture. Que oui, c’est un titre un peu bête mais en fait pas si bête que ça. Et surtout, ça me faisait rire et j’essaye de faire confiance à cette intuition du rire.
Je souffre de règles douloureuses depuis l’adolescence. En plus d’avoir mal au ventre, dépressive et inapte à quoique soit lorsque j’ai mes règles, je souffre également d’un fort syndrome prémenstruel.
J’ai fait beaucoup de tests médicaux et les résultats sont tombés: je n’ai pas de maladie. Je rêvais presque d’avoir de l’endométriose*, pour pouvoir mettre des mots sur mes maux.
J’essaye d’imaginer que cette faiblesse en fait devienne mon super-pouvoir, quitte à devenir presque une super-méchante plutôt qu’une super-héroïne.
Beaucoup de femmes m’ont dit que c’était très libérateur de voir les choses de cette façon. J’ai aussi accepté dernièrement de marrainer For Womexn Period, une association qui brise les tabous sur les règles et sensibilise aux protections hygiéniques durables.
Les supers pouvoirs inutiles, c’est une blague qui est née au sein d’un groupe d’amis. L’un trouvait toujours une place de parc, peu importe l’heure. L’autre arrivait toujours à attraper des objets en hauteur car il a des très longs bras, etc.
J’ai commencé à creuser, à demander autour de moi, m’amusant de ces petites habiletés que les gens ont et qui nous rendent un peu unique.
J’adore les grands héros épiques, mais également les gens un peu loser qui trouvent de la fierté et de la force dans des petites choses. Les super pouvoirs inutiles remplissent totalement cette fonction.
C’est radical, mais peut-être vrai. On est multiple. On est fait de plein de personnages qui se transforment selon les situations, les humeurs, l’âge, les hormones, etc.
En tout cas, le jour où j’ai accepté que toute ma vie, je ne serai jamais la même personne, que les situations, mais également mes expériences faisaient de moi quelqu’un constamment dans le changement, j’ai trouvé ça beau. Et rafraichissant. J’ai moins peur de vieillir depuis.
Je pense que personne ne va dire qu’il s’en fout de pas être aimé. On a besoin d’amour, mais surtout on a besoin de s’aimer. Je trouve que ce n’est pas quelque chose qu’on valorise beaucoup dans notre société.
Lorsqu’on est fier de nous, et qu’on le verbalise, on nous trouve arrogant. Alors que c’est important de reconnaître qu’on réussit, qu’on est beau, heureux. Il y a une course à la performance, mais seulement validée par le regard des autres et pas assez par notre regard.
Lorsque je dis que je ne suis pas un cadeau, je parle du regard que j’ai posé sur moi pendant trop longtemps, le regard qui détruit, qui empêche d’avancer. C’est le syndrome de l’imposteur.
C’est de ça donc que je voulais parler dans En Slip. On est si doué dans l’autosabotage, on s’empêche d’atteindre notre version améliorée de nous-mêmes. Et je demande: et si on le fait? Si on atteint notre super-soi, qu’est-ce qu’il va se passer?
Dans En Slip, j’essaye de me rappeler ce moment dans l’enfance où l’on n’a pas encore cette voix qui nous juge et veut nous surprotéger. J’essaye de me souvenir de comment c’était quand on s’en foutait de tout, que le plus important était de pouvoir jouer et recevoir l’amour de papa et maman. Je me demande si être un super-héros, c’est pas revenir à cet état où tout est possible.
Vous êtes aussi à l’affiche de La Comédie (Genève) pour Heimweh/Mal du pays.Heimweh/Mal du pays est un spectacle créé en 2022 aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles. Il est né d’un travail de sortie d’école, porté par Gabriel Sparti, un Suisse exilé en Belgique. Une des particularités de cette pièce est que le texte n’est pas écrit.
La structure, les figures (personnages) sont fixes, mais notre production de parole est libre. Nos points de rendez-vous sont toujours les mêmes, dont des chansons du répertoire traditionnel suisse.
L’histoire est simple, un étranger débarque en Suisse. Il est émerveillé par ce décor type carte postale et pourtant il n’est pas à l’aise, il faut qu’il se passe quelque chose. Alors il invite trois Suisses à venir sur un plateau de théâtre pour les interroger sur leur vie et comprendre plus les habitants de ce pays.
Nous ne répondrons jamais vraiment aux questions, préférant rester entre nous. Cette création collective, menée par Gabriel Sparti est passionnante et une réelle expérience pour le public.
Le travail avec Tiago pour le spectacle de sortie de ma promotion de la Manufacture en 2018, Ça ne se passe pas jamais comme prévu était une expérience extraordinaire. De tous les intervenants que l’on a reçus, Tiago était un des plus simples, des plus humains.
On avait devant nous une star internationale du théâtre, mais il était juste lui. Avec un sourire et un amour de nous voir grandir et utiliser la matière qu’il avait créée pour nous.
On a passé deux mois à Lisbonne et il nous avait écrit une lettre chacun. L’histoire était simple, nous retrouvions seize lettres écrites par un touriste qui a rencontré une personne une nuit. Ils se promettent de se retrouver le lendemain dans un parc. Problème, il ne retrouve plus son chemin. Il écrira seize lettres, seize lettres d’adieu, où il raconte comment il tente de retrouver son chemin par cet amour éphémère.
Dans le conte classique, un village livre chaque année une jeune vierge au dragon pour se protéger. Jusqu’au jour où vient Saint-Georges, héros martyr qui tuera le dragon et épousera la jeune vierge.
Agacée, j’ai eu envie de détourner ce conte, et d’en parler du point de vue du dragon qui ne comprend pas pourquoi on lui livre des jeunes femmes, alors qu’il n’a rien demandé.
J’ai interprété un dragon quelques heures avant sa mort. Il sait que Saint-Georges arrive et le tuera, alors il se délaisse de ces derniers effets personnels.
J’ai joué un personnage ambigu à la fois terrifiant, drôle, séducteur. J’ai toujours en tête de reprendre ce solo pour approfondir ce travail.
L’idée était, avec Laura Chaignat, d’écrire une web-série mettant en avant des femmes et leur contradiction. Je ne suis pas sûre qu’elle soit antiféministe, au contraire. On a voulu créer des femmes qui se questionnent, qui veulent s’émanciper, être fortes, mais qui sont aussi rattrapées par leur attirance pour les hommes, leur besoin d’amour, le désintérêt des luttes.
Nous n’avions pas envie de scléroser les femmes dans du militantisme pur et dur. C’était une première pour Couleur 3 d’amener des thématiques aussi franches et féminines.
En Slip,
Les 11 et 12 octobre 2024 à L'Échandole, Yverdon-les-Bains
De et avec Donatienne Amann
Informations, réservations:
https://echandole.ch/spectacles/en-slip/
En Slip en tournée:
Le 25 octobre 2024 au Nouveau Monde, Fribourg
Le 15 novembre 2024 aux Capucins, Romont
Le 7 mars 2025 à La Grange, Le Locle
Du 21 au 28 mars 2025 à l'ABC, Lausanne (saison Boulimie)
Le 22 mars 2025 à Johanis on Stage, Chamoson
Le 23 mai 2025à Hameau Z'Arts, Payerne
Le 13 juin 2025 à la Salle de spectacle d'Epalinges
*L’endométriose est une affection gynécologique fréquente et complexe. Elle peut susciter une forte douleur dans le bassin et des difficultés à tomber enceinte. Elle peut surgir dès les premières règles et se prolonger jusqu'à la ménopause, ndr.