Créativité et réflexions au menu du far° Nyon
La manifestation dessine une rencontre stimulante pour celles et ceux qui souhaitent explorer, sous un angle inédit, des territoires de la créativité et de la réflexion sociale.
Ainsi Mohamed Toukabri à travers la pièce chorégraphique The Power (of) the Fragile explore la profondeur des liens familiaux à travers une collaboration intime avec sa mère, Latifa Khamessi. Ce dialogue intergénérationnel sur scène illustre avec une élégance désarmante la tension entre fragilité et résilience, révélant la puissance des liens familiaux et la transmission des expériences à travers les générations.
D'autres œuvres marquantes incluent Une Leçon de Ténèbres signée Betty Tchomanga pose une réflexion engagée sur l'écologie décoloniale. Fusionnant danse contemporaine et rituels traditionnels, le solo explore la cohabitation des cultures dominantes et dominées.
Avec Schönheit ist Nebensache ou la Beauté s’avère accessoire, Pol Pi propose un dialogue performatif et dansé réunissant musique et danse. Pour interroger notamment les répercussions des régimes totalitaires sur l’art.
Au détour de Ten Ways to put up a Tent, Tejus Menon revisite l'acte de camper avec humour et profondeur. Ce geste, anodin en Occident, est chargé d'histoire coloniale en Inde. Sa performance transforme le simple montage d'une tente en une réflexion sur notre rapport à la nature et aux récits historiques.
Au sein d’Entepfuhl, Alina Arshi explore la quête identitaire par une chorégraphie intense et répétitive. S'inspirant du mythe de l'ouroboros, l’artiste utilise des mouvements cycliques pour exprimer le sentiment d'appartenance entre plusieurs cultures. Rencontre avec Anne-Christine Liske qui préside aux destinées du far°.
Sur l’idée de bivouacs...
Anne-Christine Liske: Comme chaque année, émerge un thème fédérateur pour rassembler ici 35 projets différents. Ainsi la notion de bivouacs participe de plusieurs dimensions.
D’abord, le fait d’être dans un état de curiosité, voire d’alerte faisant que les réalisations artistiques favorisent notre éveil afin de voir les choses sous un angle différent.
On relève ensuite les idées croisées de repos et de soin. Avant de s’intéresser au côté de haltes temporaires dans l’espace public que véhicule aussi le terme bivouacs.
Il y ainsi plusieurs parcours proposés. L’un s’adresse aux familles, plus relax. L’autre est notamment dansant recoupant cette dimension soins et repos. Sous le titre Brouiller les pistes la programmation artistique s’interroge sur le fait que des événements individuels puissent influer sur des expériences collectives.
Au sein du parcours festif célébrant les 40 ans du far°, une exposition dans les rues de Nyon regroupe l’ensemble de photographes ayant œuvré sur ce Festival. Fort riche, cette archive imagée permet de raconter une certaine histoire de la manifestation.
La programmation a privilégié trois angles caractéristiques du far°, son ADN en quelque sorte : l’in situ en lien avec le territoire nyonnais; l’émergence traduite par des photos de spectacles d’artistes encore peu connus lors de leur passage au far°.
Enfin l’aspect de la convivialité si essentiel à la manifestation et que retrouve tant au lieu-dit La Cour des Marchandises que dans le fait de débattre avec d’autres publics.
C’est le cas, parmi d’autres spectacles, pour le solo de danse Entepfuhl d’Alina Arshi.
Mais aussi à l’occasion de l’une des dernières propositions artistiques à l’affiche de cette année, Stéréo Vulcani du Collectif français Fléchir le Vide en Avant en Faisant une Torsion de Côté, une création sonore réunissant un trio de performeuses. Ces artistes puisent au cœur de musiques électroniques, récits intimes face aux paysages et enregistrements de terrain. Entre chants et musiques, cette création se développe autour des questions de santé mentale.
Il s’agit d’un solo d’une force prégnante et proprement incroyable tissé de torsions et contorsion corporelles expressives et sidérantes. Son énergie est d’une qualité qui vous chamboule et vous prend. Littéralement. Née en Inde et grandie pour partie à Dubaï et en Suisse, Alina Arshi est vraiment une artiste à découvrir et suivre.
Quelle serait alors l’une de visions de l’art au far°?On peut citer les transformations temporaires de l’espace que réalise certains spectacles. Ceci à l’image de Pretend it’s a toilet. Signé Sara Leghissa, il questionne la représentation anatomique dans un espace public peu investi par l’art, les wc publics. L’artiste y interroge la binarité de genres. Voici un exemple simple pouvant parler à tout le monde autour de cette binarité genrée.
Prenez aussi le projet réalisé en collaboration avec La Manufacture-Haute école des arts de la scène Insomnia, une danse pour s’interrompre. C’est l’une des haltes imaginées par Alix Eynaudi au cœur d’une création se déployant dans d’autres cités européennes, dont Berlin, Vienne et Lisbonne.
La démarche aborde le soin que nous pouvons exercer entre nous au quotidien pour affronter des réalités parfois violentes. Mais il s’intéresse aussi aux problématiques sociales et politiques du repos. Avec la rencontre à l’enseigne de la représentation du 9 août de Geoffroy Solelhac, médecin spécialiste des troubles du sommeil au CHUV.
Il y a d’abord cet essai d’interroger la liberté des artistes expressionnistes de la modernité allemande face au régime totalitaire nazi. Il s’agit de la chorégraphe et interprète Dore Hoyer et du compositeur Paul Hindemith.
Cette question de la liberté artistique résonne avec d’autres époques car cette réalisation fut imaginée sous le régime ultradroitier de Jair Bolsonaro au Brésil. Le solo aborde également la question de la transidentité concernant l’artiste. Pol Pi excelle à la fois comme danseur et altiste.
La pièce combine ainsi cinq courts soli signés Dore Hoyer sur les Affects humains (la vanité, la haine, la peur, l’amour et la luxure). Tout le spectacle jongle alors entre la danse et l’alto mis à l’honneur par la sonate due à Paul Hindemith.
C’est un opus naviguant entre conférence et pièce chorégraphique. Betty Tchomanga raconte ainsi la naissance d’une œuvre dansée, Mascarade. Cette dernière s’intéresse au culte vaudou et ses divinités ancestrales liées aux éléments fondamentaux dont une déesse de l’eau.
L’ensemble noue des liens forts avec l’écologie et l’histoire de la danse. Par le krump notamment se tissent des ramifications entre le Bénin, le culte vaudou et les Caraïbes.
Propos recueillis par Paul Siméon
far° - festival des arts vivants
Du 8 au 18 août 2024 dans divers lieux de Nyon
Informations, réservations, programme complet:
www.far-nyon.ch
* "La beauté s’avère accessoire" est l’une des instructions au commencement du quatrième mouvement de la Sonate pour alto solo op. 25 no.1 du compositeur allemand Paul Hindemith (1895-1963). Elle aurait possiblement pu être prononcée par la chorégraphe Dore Hoyer (1911-1967). Qui a créé un cycle de danses Afectos Humanos sur lesquels Pol Pi travaille depuis de nombreuses années, ndr.
** L’acronyme de Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise («Éloge Puissant d’un Royaume Radicalement Élevé»), pour une danse explosive à vert cathartique née dans les ghettos de Los Angeles. Traversée de mouvements saccadés, énergiques et expressifs, elle implique une intense dimension de partage, ndr.