Publié le 27.10.2024
Dans Cowboys Don’t Cry, performance à vivre du 31 octobre au 3 novembre à L’Arsenic (Lausanne), le comédien Raphaël Defour explore les contours effrités d’un mythe américain, celui du cowboy solitaire.
Cette performance solo nous ramène dans un décor évoquant les vastes étendues des Rocheuses, où l’homme, vieillissant, incarne un modèle obsolète, tel un fantôme errant dans un désert lunaire.
Loin d’un simple hommage, l’acteur pourrait utiliser ce cadre pour dresser une satire mordante et introspective de la virilité, de la solitude et des valeurs désuètes qui continuent de hanter l’imaginaire collectif. Mais rien n’est certain.
Sous la direction de Billy Demiguel, performer et artiste visuel, qui signe aussi la création lumière et en collaboration avec la scénographe et artiste adepte du mélange entre sculpture, son, image, lumière et récit, Florence Giroud, l’homme en authentique poncho made in USA joue un personnage ambigu.
En quête de sens, voici un cowboy contemporain, vulnérable face à un monde qui ne l’attend plus et le désire plus. Entre chansons, récits, jeu distancié de fouet et moments de silence suspendu, l’artiste nous invite à réfléchir sur la fragilité de l’homme moderne, piégé dans une existence entre vie et mort, comme un duel métaphysique où le passé pèse sur chaque geste.
Cette réalisation, loin de se limiter à une simple performance, se veut une réflexion sur l’évolution des identités masculines, entre héritage et effacement, dans une société qui, à l’image du cowboy cigarettier à Stetson vissé sur le crâne, tourne lentement le dos à ses icônes souvent mortifères d’antan.
Dialogue avec Raphaël Defour.
Comment vous êtes-vous intéressé à la figure du cow-boy?
Raphaël Defour: Avant de possiblement construire et déconstruire cette figure au fil d’une performance de quatre tours d’horloge, l’image du cow-boy vient naturellement des terres de l’enfance. Avec un père fan de western, le mythe du cow-boy m’a tôt hanté.
Tout est largement parti de là pour le premier mouvement de cette création
Et d’une photo me découvrant enfant immortalisé sur un petit cheval de marque Fisher Price braquant l’objectif à l’aide d’un pistolet plastique, l’air pas vraiment convaincu.
Or cette image dont je me souviens parfaitement reste encore aujourd’hui introuvable. C’est l’image manquante. Celle du devenir cow-boy, de la figure archétypale et iconique que l’on essaye d’atteindre et d’embrasser lorsque l’on est petit. Sans trop se poser de questions.
Cette image photographique manquante du cow-boy dans un album de famille m’a posé la question de la représentation de l’univers du western. En mêlant diverses déclinaisons du western au cinéma - classique, philosophique, surréaliste. Ou le western spaghetti, style Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone.
C’est une aspiration à refigurer sur scène l’essence même de ce genre cinématographique. Ses origines rejoignent d’ailleurs les débuts du cinéma. Comme la tragédie se confond avec la naissance du théâtre.
Ce qui m’intéresse notamment, c’est la manière de transposer les moments de tension prolongée. Ces silences arides et métaphysiques qui précèdent les duels emblématiques des westerns.
La figure du cow-boy a un lien multiple avec la mort. À l’instar notamment de Clint Eastwood dans sa réalisation, L’Homme des Hautes Pleines.Être un cowboy ici, c’est jouer au cowboy. Le cowboy est essentiellement un être en suspension dans une forme d’entre-deux entre le monde des vivants et celui des morts. Ainsi il n’est ni tout à fait vivant, ni déjà mort, évoluant dans un espace intermédiaire. Il peut avoir un côté mort-vivant indéfinissable.
Plutôt une figure fantomatique. Elle est désormais largement déclassée, bien qu’il y ait encore quelques films et séries western qui sortent. Elle traverse encore l’imaginaire contemporain, bien que vidée de sa substance.
Se questionner sur le cow-boy, c’est considérer sa quête sans objet aujourd’hui, ne laissant subsister que ses contours comme un spectre.
La création actuelle est dans le sillage direct de Da Love Tape, solo sur l’amour et l’adolescence créé en 2013 pour le festival Les Urbaines à l’Arsenic.
Cowboys Don’t Cry est un seul en scène sur l’âge adulte, la maturité, l’homme blanc presque cinquantenaire que je suis, le cowboy Marlboro aussi, la solitude surtout. Même très entouré, l’on est fondamentalement seul. C’est aussi de cela dont parle ce spectacle.
Durant Da Love Tape, un jeune couple s’est embrassé quasi-continûment. Les gens sont libres dans leur déplacement, de sortir et de revenir. Mais il ne s’agit pas d’une performance interactive ou participative qui verrait le public sollicité, bousculé.
Le public est donc témoin de l’action sans être directement interpellé. Il peut prendre le rôle d’un observateur passif. Le but est de favoriser une relation détendue, fluide entre l’artiste et son public.
L’acteur américain renvoie souvent l’image d’un justicier qui ne doute pas. L’on ne sait dans L’Homme des Hautes Pleines si Clint Eastwood incarne un justicier vengeur comme une figure diabolique et mauvaise. Ou s’il peut aussi se révéler au fond un homme bon.
C’est le flou indéfinissable, l’ambiguïté de ce cow-boy qui m’a toujours intéressé dans ce film. Elle fait immanquablement se poser des questions et cogiter.
Une partie du public de l’Arsenic risque aussi de se demander s’il s’agit de premier degré dans Cowboys Don’t Cry. En d’autres termes, l’apologie de cette masculinité démiurgique et en partie destructrice faite cow-boy. Ou une critique de cette même masculinité, mise en lumière de la fragilité et des failles du mythe. Voire les deux.
Franchement, je me refuse à trancher et n’en sais rien. À aucun moment, je ne vais d’ailleurs brandir une pancarte. Ou me lancer dans un discours explicite sur la figure du cowboy qui sera habitée de doutes et de fêlures.
Il évoque aussi la période New Wave et la chanson des Cure, Boys Don’t Cry. Le cowboy n’est ainsi pas le seul thème de cette performance. Est-ce qu’un homme blanc de 48 ans fait encore envie au Théâtre aujourd’hui? C’est un âge qui permet des remises en question profondes.
À l’instar de Da Love Tape, il y a ici quasiment tout le temps du son ou de la musique. Je collabore en premier lieu avec l'artiste Billy Demiguel qui a participé à imaginer et élaborer le dispositif scénique et lumineux ainsi qu’avec la scénographe, plasticienne et musicienne Florence Giroud (nous avions collaboré sur le disque de son groupe Omerta dont j'ai signé les paroles du premier album).
Elle a souhaité reconstruire des paysages, des rochers propres à ce genre cinématographique. Cela rejoint l’esprit de performance installation de cette création.