Publié le 02.04.2023
Violoncelliste allemand de talent, Alban Gerhardt débute sa carrière de soliste en 1987 avec l’Orchestre de chambre de la Philharmonie de Berlin. Sa carrière connaît un essor grandissant après son concert avec le Philharmonique de Berlin en 1991 et ses nombreux succès dans les concours internationaux comme le concours de l’ARD. Il parcourt le globe et donne de nombreux concerts chaque année alors même qu’il ne se prédestinait pas à une carrière de soliste.
En amont de ses concerts les 5 et 6 avril avec l'Orchestre de Chambre de Lausanne (OCL), rencontre avec le violoncelliste qui montre une authenticité et une franchise peu communes.
Vous menez une carrière de soliste alors que vous ne vouliez pas, par peur d’incompatibilité avec la paternité. Comment conciliez-vous les deux aujourd’hui?
Je n’ai pas été très présent pour mon premier fils, malheureusement, j’étais trop occupé. Pour mon deuxième fils, je n’ai pas voulu reproduire la même chose. Aujourd’hui, je peux concilier les deux parce que je n’ai plus à travailler autant qu’avant pour me bâtir une réputation, une carrière, des liens avec les chefs et orchestres...
J’ai grandi avec l’exemple de mon père qui jouait lui-même en orchestre et enseignait. Il est formidable, mais il était peu présent, et c’est peut-être aussi pour cette raison que, jusqu’à maintenant, je n’ai encore jamais accepté de poste de professeur.
J’ai toujours aimé enseigner, déjà quand j’avais treize ou quatorze ans et que je donnais des cours de piano à des enfants. Ce qui me freine, c’est la responsabilité d’avoir une classe, de suivre des étudiants sur plusieurs années et devoir les guider dans leurs objectifs. Pour des musiciens qui se destinent à une carrière professionnelle, il leur faut quelqu’un qui puisse leur donner du temps.
Vous pensez que ce serait incompatible avec votre planning de concerts?Non, je pourrais très bien concilier les deux, d’autant que mon plus jeune fils a maintenant 10 ans, il a moins besoin de moi. J’ai 60 ou 70 concerts par an et enseigner en parallèle serait possible, mais je ne suis pas un «workoholic». J’aime avoir du temps libre pour moi, pour le sport, des activités extérieures, ou pour simplement ne rien faire. Je n’ai pas envie de ne faire que travailler.
Les masterclasses me donnent la possibilité d’enseigner sans avoir les contraintes d’un professeur qui suit les étudiants sur plusieurs années. C’est plus facile.
Si je devais comparer l’enseignement en institution et en masterclass, je dirais qu’être un professeur de conservatoire, c’est comme être un père.
Un professeur de masterclass, c’est plutôt le grand-père: tu arrives, tu apportes les bonnes choses. Tu n’as pas à les «élever», tu as juste à être le gentil grand-parent. Il n’y a que les bons côtés.
J’ai commencé à écrire dans mon blog il y a 15 ou 20 ans. Je pense que c’est aussi parce que, à cette époque, j’étais assez seul. C’était thérapeutique. Partager m’a permis de trouver qui j’étais.
J’avais aussi le désir d’attirer plus de gens vers la musique classique, ou d’amener la musique à un plus grand nombre.
Je pensais que partager la personne que je suis aiderait le public à se sentir plus proche, en supprimant la barrière qui existe entre le public et les musiciens dans la musique classique. Ce qu’on fait n’est pas si spécial, dans un sens, il faut casser l’idée qu’on se fait de l’élitisme dans ce domaine.
Je me réjouis de retrouver les musiciens! J’ai joué avec eux le Concerto pour violoncelle d’Anderson en 2021. Je me souviens de leur énergie sur scène. Ce n’était pas facile, mais ils y ont mis tout leur cœur et c’était génial! L’avantage de cet orchestre, c’est que, comme c’est un orchestre de chambre, par définition, les musiciens écoutent mieux. Ils jouent plus «ensemble», ils n’ont pas une nécessité absolue de la battue d’un chef. Ils s’écoutent, jouent avec moi et entre eux.
D’autant plus que cette fois, c’et le concerto de Dvořák au programme, et je ne joue pas ce concerto de manière traditionnelle, je suis sûr qu’ils seront ouverts à mes propositions.
Je l’ai joué une fois à Prague et c’était une guerre, parce que j’ai osé jouer différemment de ce qu’ils avaient l’habitude. Une des musiciennes m’a dit «Ce n’est pas mon Dvořák!» Juste parce qu’elle est tchèque, elle s’imagine qu’elle sait comment jouer Dvořák.
La vérité, c’est qu’on n’en a pas la moindre idée, la nationalité ne justifie rien. Je suis allemand, je ne sais pas forcément comment jouer Beethoven pour autant.
On essaie au maximum de se rapprocher de sa propre vérité et notre vérité est différente de celle des autres.
Il y a plusieurs choses. Par exemple, le deuxième thème du premier mouvement. Dans le facsimile, Dvořák écrit pianissimo. Tu peux écouter les enregistrements, je pense que 99% jouent forte ou fortissimo et à la moitié du tempo. L’indication officielle de la partition, c’est «100 à la noire». Ce n’est censé être un thème lent.
Pour moi, il y a plus de passion à penser ce deuxième thème dans le tempo indiqué avec les lignes mélodiques plus longues.
Le concerto de Dvořák est un concerto qui subit beaucoup de pratiques traditionnelles, et je suis en croisade contre les traditions, en général. Quand on joue par tradition, on ne donne pas assez d’attention à la partition, et on ne se donne pas la peine d’intégrer une touche personnelle, on répète simplement ce que tout le monde fait.
Gustav Mahler disait que la tradition devrait être la conservation du feu et pas l’adoration des cendres. On ne doit pas essayer d’imiter, mais essayer de comprendre faire vivre la flamme.
Si j’achète un billet de concert, tout ce que je veux, c’est ne pas entendre quelque chose de lisse et identique à l’enregistrement d’un musicien connu. Je veux entendre ce que le musicien a à dire lui-même.
Ça ne doit pas être la version parfaite, ça doit être quelque chose de personnel.