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Un soir chez un trappeur conteur funambule

Publié le 03.12.2022

Un Soir chez Boris voit un solitaire, Olivier Debelhoir, enchanter de ses récits et acrobaties avec chaise ou poutre, pelle ou échelle. Sous yourte rassembleuse qu’il a construite, le facétieux conteur et poète de la matière est à l’enseigne de l’Usine à gaz de Nyon, du 9 au 11 décembre.

Son personnage de trappeur hirsute semble n’avoir comme seul compagnon d’imaginaire, un sanglier, Napoléon. Du haut de sa longue barbe, l’homme piste sa solitude et ne réalise ses séquences funambules que comme par hasard. L’homme retrouve aussi le sens d’une aventure épique, celle d’une horde de trappeurs disparaissant un à un dans le blizzard.

Boris chante s’accompagnant à l’accordéon, la voix retournée dans les années 80, celles de son adolescence. Nous sommes alors en compagnie de Pierre Bachelet et son Elle est d’ailleurs. «Elle a de ces lumières au fond des yeux/Qui rendent aveugles ou amoureux», entend-on au détour de l’une de plus belles chansons d’amour du siècle dernier. Les folles aventures dont il serait le héros, notre trappeur des faubourgs les emprunte à de grands auteurs nordiques tel l’écrivain danois ami de Paul-Emile Victor, Jørn Riel, comme autant d’invitations au voyage.

Dans sa besace, la poésie décalée et l’humour de guingois forment les meilleures rations de survie qui soient. Rencontre autour d’un feu.



Comment avez-vous imaginé ce spectacle?

Olivier Debelhoir: A l’époque de la création d’Un Soir chez Boris, j’étais funambule et porteur de mes camarades acrobates bienveillants. Il y eut alors un vrai besoin tant d’un solo que de solitude. Venant du monde funambule sous chapiteau, j’ai fabriqué une yourte avec un ami, un dispositif qui m’a toujours fasciné. Ceci par l’espace circulaire offert ici sans mât central.



Mais encore.

Sous le regard d’un œil extérieur, Pierre Déaux, assurant la co-écriture la mise en scène, le spectacle s’est échafaudé sur la base de dérives et d’accidents relativement au projet initial. Ce qui me plait dans la yourte? Il s’agit d’un objet immédiatement contextuel. Entrant dans une yourte, on se dit volontiers être chez quelqu’un. En l’occurrence chez Boris.

De là peut naître un imaginaire. Cela peut-être celui d’une yourte en Mongolie. Voire la cabane improvisée d’un trappeur. Cette circularité de l’espace partagé amène aussi une heureuse proximité avec le public. Comment construire une solitude au milieu de cent personnes baignant dans une lumière égale? Tel est le propos de cette création remontant à 2015 et toujours très bien accueillie depuis.

Quand on dit trappeur, on peut songer à des récits d’aventures ou un film comme The Revenant avec Leonardo di Caprio. Et pour vous?

J’ai naturellement toute une iconographie de trappeurs, cow-boys et yourtes. Mais c’est essentiellement la littérature du Grand Nord, notamment danoise et groenlandaise qui m’inspire. En témoigne le Danois Jørn Riel et ses Racontars arctiques pleins d’humour. Pour lui, un racontar est une vérité qui pourrait être mensonge.

Loin de chercher à être fidèle à ces sources d’inspirations, j’en tire d’abord des réminiscences. Tout peut ensuite se mélanger dans un fantasme solitaire haut en couleurs. Dans Un Soir chez Boris, on ne sait donc ce qui est vrai ou faux.





Vous jouez sur l’attente...

Ce seul en scène est une écriture de cirque. Si le support acrobatique existe bel et bien, ce qui me plait au cirque est d’assister à une réalisation proprement extra-ordinaire. En dehors de l’attente de ce que l’on pourrait penser découvrir, ma passion est de prendre doucement les gens à contre-pied dans leur désir de cirque.

De fait, mon premier angle d’attaque dramaturgique est un bref ennui, le silence et l’attente. A l’image de ce qui se déroule dans une cabane de trappeur, qu’est-ce qui peut ici naître d’un ennui vécu en commun?

Vous êtes un funambule avec pelle et poutre notamment...

Comme nombre d’artistes, il faut travailler dur quotidiennement pour être un virtuose dans son métier. Et proposer une virtuosité singulière sortant de l’ordinaire et tenue par exemple à 50 cm du sol. Si j’ai admiration et empathie pour les fildeféristes se baladant à 50 mètres du plancher des vaches, je pratique cet exercice sur des objets incongrus tout en étant très proche du public.

Un corps de funambule, c’est magnifique. Sauf que lorsqu’il évolue à 30 mètres de haut, on ne le voit guère. A contrario, évoluant à 20 cm du sol et proche des gens, il est possible d’apprécier toute la précision d’une anatomie qui se bloque en équilibre. Cette vision rapprochée révèle l’ancrage que le funambule doit développer afin de pas chuter. C’est cette tentative que je propose, être unfunambule de proximité.

Faire burlesque de tout, c’est la base des situations inventées par les Keaton et Llyod.

Absolument. Ce genre d’exercices est souvent pratiqué en cirque et au temps des riches heures du cinéma burlesque muet. Pour la petite histoire, tous les objets mis en jeu ici furent récupérés dans la ferme de mon grand-père. A sa mort, je suis resté quelques mois dans sa ferme à travailler avec les objets.

En effet, les Keaton et Chaplin piochent dans les objets du quotidien pour mieux les détourner. C’est ce qui en fait leur virtuosité.





Qu’avez-retenu des années 80?

Ce sont ces années-là qui m’ont vu grandir. Celles d’une génération que l’on estime volontiers condamnée. Or pas tant que cela car elles ne furent pas uniquement résignées, mais joyeuses. Prenez la naissance de la console de jeux vidéo. Elle voit toute une virtuosité graviter autour d’elle.

Père de famille, je lutte contre la culture du jeu vidéo. Mais comme support artistique, il ouvre des univers de mouvements, du créatif étonnant. Que l’on songe aussi à la force de proposition du rock ou de la chanson francophone à texte. Autant d’éléments qui m’aident à construire la solitude de mon personnage de trappeur funambule enfermé dans une époque.

Vous donnez leur chance aux chansons...

Parmi d’autres titres, je reprends à l’accordéon et voix Elle est d’ailleurs, un titre mythique signé Pierre Bachelet. Et Le Premier pas de Claude-Michel Schönberg - on y entend: «J'aimerais qu'elle fasse le premier pas/On peut s'attendre longtemps comme ça/On peut rester des années à se contempler/Et vivre chacun de son côté». L’un des slows lyriques les plus inspirés et pudiques qui soit, ndr.

En une chanson, ces artistes créent un succès que l’on entendait partout à l’époque – radios FM et boîtes de nuit. Quand je les chante, elles peuvent renvoyer chacun.e à un souvenir de leur écoute (anniversaire de mariage, trajet en bus…) ou un vécu singulier. Et partant à sa solitude. C’est aussi une manière de faire (ré)entendre, sous un autre angle, ces textes magnifiques de grande qualité et beauté d’écriture.

Votre personnage fait le récit d’une communauté de trappeurs fantômes...

J’aime être associé à la figure du conteur rompue à la libre association d’idées véridiques ou fictionnelles. Il s’agit de tirer parti de l’imagination active. En d’autres termes, puiser en soi les images qui surgissent. Et faire des constellations d’idées en associations libre. Ceci pour remuer les gens et les emmener là où ils ne pensaient pas aller.

Spoilez un brin tout de même.

Oui. A un moment, je me mets à faire vivre une cinquantaine de personnages au cœur d’une tempête. Mon but? Les faire mourir les uns après les autres après les avoir fait revivre autour de moi. Certains protagonistes fusionnent. On parle maintenant de John. Et plus loin d’Elton. Avant de les réunir en référence aux années 80.

Le spectacle est une suite de cinq tableaux autour de la solitude, occasions d’exprimer à chaque fois une virtuosité renouvelée qui me ramènent à l’écriture circassienne.

D’autres inspirations?

L’épopée des trappeurs vient des westerns spaghetti tels Mon nom est Personne de Tonino Valerii (sur un scénario de Sergio Leone) et Il était une fois dans l’Ouest de Leone (scénario de Dario Argento, Bernardo Bertolucci et des deux Sergio: Donatti et Leone, ndr). Comme dans les séries B ou les polars à l’atmosphère déglinguée de l’écrivain américain James Crummely, il y règne une poésie de la réplique et un sens du dialogue inédits sous d’autres formes et genres.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet 


Un Soir chez Boris
Du 9 au 11 décembre à l'Usine à Gaz, Nyon.
Dès 8 ans

Olivier Debelhoir et Pierre Déaux, écriture
Olivier Debeloir, interprétation
Cie d'un Ours

Informations, réservations:
https://usineagaz.ch/event/un-soir-chez-boris-compagnie-dun-ours-fr/

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