Tisser les nuages

Publié le 22.09.2025

Ouverture de saison en fanfare pour le Sinfonietta de Lausanne. L’orchestre lausannois se réunit le 25 septembre sous la baguette de son directeur artistique David Reiland autour d’œuvres qualifiées de programmatiques.

Entre contes orientaux, légende asiatique ou paysages tchèques, la musique se veut narratrice. Sous le signe du récit, la soirée commencera par un avant-concert, mené par la comédienne Amélie Vidon.

À la tête de la phalange lausannoise depuis 2017, David Reiland dirige des orchestres aussi bien en Europe qu’en Asie, et enseigne désormais la direction d’orchestre au Conservatoire Royal de Bruxelles.

Au retour d’un concert en Corée du Sud, où il a également servi comme directeur musical, il nous a accordé un entretien pour en connaître davantage.


Quelle était l'idée derrière la construction de ce programme Conte?

David Reiland: Tout est parti de Shéhérazade, une œuvre incroyable qui relate Les Mille et une Nuits. L’idée a donc été de construire un programme imagé qui raconte des histoires, au travers de ces trois légendes :

La Moldau de Smetana, qui est considéré comme un deuxième hymne tchèque, puis on passe par un conte chinois réhabilité dans la mythologie japonaise avec Camille Pépin, avant de finir par cette vision fantasmée de l'Orient par Rimski-Korsakov - qui est peut-être la plus réussie en musique classique, d’ailleurs ! C’est un peu le fil conducteur de ce concert d'ouverture.

Les Eaux Célestes de Camille Pépin est une œuvre très récente mais qui a déjà été dirigée de nombreuses fois, notamment par vous-même.

Tout à fait. C'est moi qui l'ai d’ailleurs proposée pour ce concert.

Camille est une amie et j'ai eu la chance de la voir vraiment éclore au niveau international ces dernières années. Elle a déjà une très belle carrière avec des commandes partout aux États-Unis parmi les «Big Five», les grands orchestres américains ; un peu moins en Asie pour le moment, mais nous avons programmé des créations, que je dirigerai, au Japon et en Corée en 2027 et 2028.

Camille s'inscrit dans la musique française : les influences debussystes et ravéliennes sont très claires au niveau de l'orchestration, mais elle intègre également une fine touche de minimalisme américain et un sens de la narration incroyable.

Elle a cette capacité, dans des formes relativement réduites, à avoir un plan structurel, un plan dramatique très clair ; on peut littéralement suivre l'histoire de ces deux amants : Orihime, fille du dieu du ciel et Hikoboshi, qui est le bouvier des étoiles.

Ils sont amants mais séparés par la Voie lactée et les oiseaux créent un pont pour leur permettre de se retrouver, de s'embrasser pour la première fois. Une très belle légende japonaise mise en musique avec beaucoup de finesse.


La partition utilise-t-elle des procédés extra-européens de manière abondante ou plutôt parsemée ?

Elle utilise, çà et là, quelques touches pentatoniques, mais elle a l'intelligence de ne pas en abuser. On est loin de la caricature ou de l’exagération.

Elle a recours à des accords de célesta et elle joue avec des résonances qui, de temps en temps, laissent planer, c'est vrai, quelque chose d'un peu plus hypertonal, mais ce qui est assez amusant – et j’en ai parlé avec elle lorsque je m’en suis aperçu – c’est qu’elle a caché, dans cette pièce, les premières notes de Nuages de Debussy.

Tisser les nuages est justement le travail d’Orihime, ce n’est pas un hasard. Tout le thème principal est articulé autour de ces premières notes de Debussy ; c’est très délicat, très étiré, mais le canevas mélodique est un clin d’œil clair.

Pour un concert aussi programmatique, le public doit-il avoir connaissances des histoires à l’origine des œuvres ?

Je crois que, pour créer le lien entre les pièces, donner quelques phrases d’introduction est important. Et pour cette pièce-là, je crois que cela vaut le coup d’avoir connaissance de cet argument extramusical et de plonger dans cette belle légende asiatique.

On savoure ces quelques minutes autrement.

Ce n’est pas une histoire d’amour comme dans Shéhérazade, c’est plus poétique et métaphysique. D’ailleurs, y a-t-il vraiment de l'amour dans Shéhérazade ? Rien n’est moins sûr, mais ce n’est pas le propos de l’œuvre.


Shéhérazade est l’histoire dont la mise en musique est sans doute la plus connue. Mais aussi la plus réussie selon vous ?

C'est vraiment le concerto pour orchestre que Rimski-Korsakov n'a pas écrit. Toutes les familles d’instruments sont sollicitées et mises en avant avec beaucoup d'intelligence. La partition recèle un génie mélodique incroyable.

Et puis c’est une œuvre très visuelle ; cette incarnation de Shéhérazade par le violon solo crée ce fil conducteur entre les quatre mouvements. Ce n’était pas quelque chose de nouveau ou de révolutionnaire, mais c'est extrêmement bien réalisé par le compositeur.

Dès l’entrée du premier tutti, on perçoit tout de suite la grandeur, la puissance du sultan. Ce sont 50 minutes de pyrotechnie, de virtuosité, qui se terminent étonnamment dans un grand calme, dans un tempo très lent.

L’œuvre a quelque chose de vraiment galvanisant. Je vais le diriger pour la septième ou huitième fois, mais c'est une partition qui réinspire ; de loin la meilleure partition de Rimski-Korsakov.

Les trois œuvres au programme montrent d’ailleurs que, quelle que soit la période, la musique inspirée du folklore est populaire auprès du public.

Tout à fait ! Et puis, qu’est-ce que la musique savante, au final ? C’est la musique populaire sublimée. Cela dit, La Moldau et Shéhérazade, en leur temps, sont entrées dans le grand répertoire à une vitesse hallucinante. Ces œuvres ont connu le succès à une rapidité rare !

À peine créées, elles ont été jouées et rejouées par de nombreux orchestres. Le reste du cycle de Ma Patrie de Smetana est un peu tombé dans l’oubli ; La Moldau est le plus connu des six poèmes symphoniques du cycle, parce qu’il est très bien ficelé. Aujourd’hui, il est devenu comme un hymne tchèque, même si les origines du thème font débat.

Quoiqu’il en soit, le propos est magnifiquement illustré en musique : les flûtes donnent l’impression d’entendre ces filets d’eau, la rivière qui traverse Prague et qui est témoin des fêtes populaires et des nuits magiques romantiques qu’elle voit sur son chemin.

Si toutes ces œuvres rencontrent le succès, c’est évidemment parce que l’orchestration est une réussite absolue, mais aussi parce qu’elles racontent une histoire dans laquelle le public peut se plonger.


Propos recueillis par Sébastien Cayet


CONTE - Smetana, Pépin, Rimski-Korsakov
, Sinfonietta de Lausanne

Salle Métropole, Jeudi 25 septembre 2025, Lausanne

Direction: David Reiland
Avant-concert: Conterie en musique par Amélie Vidon, comédienne

Informations, réservations:
https://www.sinfonietta.ch