Eurydice/ Marie Perbost: "Le plaisir ultime"

Publié le 18.12.2023

Orphée aux Enfers, un création fastueuse à découvrir du 23 au 31 décembre à l'Opéra de Lausanne. Premier grand succès d'Offenbach, cette opérette met en scène une Eurydice courtisée par tout le monde sauf par Orphée. Et des dieux en proie avec le virus du renversement du gouvernement (Jupiter).

Sur un rythme promis comme trépidant, le directeur du Théâtre du Chatelet à Paris Olivier Py met en scène ces deux intrigues, qui abordent l'aspiration au bonheur d'une femme qui se découvre pas si libre que ça, et une peut-être révolution de palais. Avec  l'humour, la légèreté et le goût d'Offenbach pour l'équivoque.

La soprano Marie Perbost (Eurydice) évoque une création, co-production de l'Opéra de Lausanne, qui restera dans les annales: "Je crois que j’ai rarement autant rigolé en travaillant aussi sérieusement!". Bref, c'est Noël. Mais encore?



C’est la première fois que vous interprétez Eurydice, mais en revanche vous êtes une spécialiste du répertoire de l’opérette.

Marie Perbost. Oui, et cela me convient parfaitement car c’est exactement là où mon cœur me mène spontanément. Ce répertoire qui mêle virtuosité vocale et théâtralité débordante représente pour moi le plaisir ultime.


Vous évoquez la virtuosité. Où est-elle requise dans Orphée aux Enfers?

Dans la soudaine alternance entre le théâtre et le chant. Dans cette œuvre, ces moments sont nombreux. Ce sont des scènes que l’on pourrait interpréter en adoptant un rythme, disons confortable.

Mais Olivier Py connaît fort bien ce répertoire, et il sait ce qu’il faut faire pour tenir le spectateur en haleine: il impose un cardio bien élevé. Le rythme est trépidant, intense. Le lendemain d’une répétition, nous sommes sur les rotules. Mais j’adore ça!

Cette opérette considérée comme une satire a comme sujet principal Napoléon III et sa cour. Votre cible est-elle ce despote aujourd’hui secondaire, ou le projecteur est plutôt tourné vers des tyrans contemporains?


L’une des plus des grandes joies de cette opérette - et des grandes difficultés - réside dans son contenu politique. Olivier Py respecte totalement cela et il a le choix de rester fidèle à la satire de Napoléon III et de l’Empire.

Même si il y a de subtils sous-entendus, il ne faut pas attendre une satire de la politique contemporaine. Nous partons du constat qu’il y a eu peu de changement à la tête des états: chacun s’y retrouvera très bien et rira beaucoup.

Le couple formé d’Eurydice, que vous interprétez, et d’Orphée, n’est pas un modèle d’amour classique. Orphée n’aime pas son épouse, et elle-même n’hésite pas à porter son regard ailleurs.

Il faut le voir comme un élément de critique sociale. Ce mariage est, comme toujours à cette époque, un mariage arrangé. Et un mariage malheureux. Offenbach met en scène le fait qu’une union sans amour ne rend pas heureux, pas même les personnages mythologiques.

Dans cette pièce Eurydice déroge aux conventions en quittant Orphée. Mais comme Eurydice est un personnage moderne, elle cherche des solutions à une situation problématique qui lui est imposée, et donc prend un amant.


Elle subit les assauts d’hommes de pouvoirs.

Oui. L’un des résumés du livret serait que tout le monde veut coucher avec Eurydice. A la lecture, cela m’a secoué. Ça interroge quand même.

#MeToo, que dois-je faire?

Forcément, on se pose ce type de questions. Mais finalement la farce traverse et renverse cela aussi, et Eurydice trouve au final une liberté choisie.

Dès votre premier air, du berger joli, Offenbach fait valoir son penchant pour l’ambiguïté avec une fausse pastorale, un air faussement simple qui donne une fausse impression de simplicité. Est-ce pourtant, selon vous, un morceau de bravoure?

Cette mélodie tout comme celle des regrets, au troisième acte, sont des mélodies très faciles à mémoriser, et simples. Elles sont à l’instar du personnage qui s’affirme par sa franchise et sa réactivité - ce qui rend Eurydice touchante. Les écritures sont beaucoup plus complexes et riches dans les duos. Offenbach nous dit probablement ainsi quelque chose du personnage.

Le rôle d’Eurydice EST un morceau de bravoure, un des plus difficiles qu’il m’a été donné à interpréter. La vocalité d’Offenbach est toujours virtuose car il faut trouver constamment un équilibre entre une zone vocale extrêmement tendue, et la diction, essentielle pour moi puisque je me considère avant tout comme quelqu’un qui raconte des histoires.

Les premiers chroniqueurs du spectacle évoquent une oeuvre qui se situe entre l’opérette et la féerie - nous dirions aujourd’hui le grand spectacle. Est-ce encore le cas?


Oh oui  Notre metteur en scène est directeur du Théâtre du Châtelet, un haut lieu de la comédie musicale typiquement française. Nous montons sur scène avec un chœur, avec un ballet mixte et des danseurs contemporains qui s’intègrent parfaitement dans la mise en scène. Avec cette production nous sommes dans le registre du spectacle total et j’ai la conviction que c’est exactement ce dont ont besoin les gens aujourd’hui.

Les décors sont somptueux, l’intrigue n’est pas du tout simpliste, les chanteurs interprètent une partition difficile. Le rythme est très soutenu avec des chorégraphies. Rien de la mise en scène est gratuit, au contraire l’ensemble nourrit l’histoire.

Comment se sont déroulées les répétions?

Je crois que j’ai rarement autant rigolé en travaillant aussi sérieusement!

Quand sommes arrivé.e.s: les décors étaient montés et nous avons pu commencer à travailler. Dès le premier jour, trois heures de répétitions musicales, puis trois heures de mise en scène au cours desquelles nous avons sculpté le premier acte. Je donne le détail car c’est loin d’être la norme.

Et le travail avec Olivier Py?

Ce qui m’a énormément touché, c’est qu’il pose un cadre, et vous laisse ensuite totalement libre de vous exprimer et de multiplier les propositions. Me piquant moi-même de mise en scène, j’apprécie cette situation de recherche théâtrale en collaboration - j’ai besoin de ce regard qui me dit, «oui, on garde» ou «hmm, hmm, pas assez efficace.» Il a un regard d’enfant, et si ce que nous proposons le fait rire, il va rire de bon coeur. L’idée est que si ça marche avec lui, ça marchera avec le public. En même temps, il connait bien entendu l’ouvrage sur le bout des doigts. Et nous invite à jouer avec les codes de l’opérette.

Orphée aux Enfers, un spectacle léger?

Cette production offrira de multiples options de lecture. L’enfant que nous sommes va adorer l’extravagance des costumes et la féerie que vous évoquiez. Il y a un double plaisir, celui de se faire raconter une histoire, et celui de déceler les sous-entendus donnés par chaque réplique. Le personnage d’Opinion Publique, créé par Offenbach, résonne particulièrement bien aujourd’hui

Et pour garder le rythme trépidant de la production, un dispositif de décor qui tourne en permanence a été conçu. Cela peut vous amener à considérer à tout moment l’envers et l’endroit du décor, mais aussi du propos. Avec ce spectacle, si vous avez envie de creuser, vous trouverez des clefs pour un double, pour un triple discours.

Propos recueillis par Vincent Borcard


Orphée aux Enfers
Du 23 au 31 décembre à l'Opéra de Lausanne

Une opérette de Jacques Offenbach
Arie van Beek, direction musicale - Olivier Py, mise en scène

Avec Marie Perbost, Samy Camps, Julien Dran, Nicolas Cavallier, Sophie Pondjiclis...

Sinfonietta de Lausanne - Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Patrick Marie Aubert - Maîtrise du Conservatoire de Lausanne - Ensemble de violonistes du Conservatoire de Lausanne

Informations, réservations:
https://www.opera-lausanne.ch/show/orphee-aux-enfers/