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Des ballons et des humains

Publié le 09.09.2021

Signée du chorégraphe lausannois Philippe Saire, Salle des fêtes (Party Room) est une création évoluant entre légèreté aérienne et gravité, à suivre du 15 au 26 septembre au Théâtre Sévelin 36. Dans un espace scénique tout en rondeur, deux étranges clones dansent avec des ballons. Ils interrogent ainsi le monde de l’Entertainment, le rêve gonflé à l’hélium et vendu aux enfants par des déshérités.
Sont-ils de roués animateurs en distractions, les ordonnateurs d’un rituel visant à révéler la part d’ombre de tout divertissement ou les fantômes, aussi candides qu’ambigus, surgis des terres de l’Enfantin? Les intuitions et lumières de Philippe Saire.


Votre intention de départ?

Philippe Saire: Je suis parti du dispositif d’un grand cercle de chaises accueillant le public et l’aire de danse. A un moment, il se trouve surplombé par une grappe, également circulaire, de ballons en aluminium. Ces derniers sont destinés aux fêtes foraines ou anniversaires avec lettres et chiffres géants. Ils me fascinent et m’intriguent tant, ainsi que leurs vendeurs, que je les ai amplement photographiés lors de voyages à travers le monde.

Evoquant une culture populaire dans le processus de création, ce dispositif scénique m’a amené au titre de la pièce de la pièce, Salle des fêtes. A mes yeux, la salle des fêtes est par essence un lieu éminemment convivial pour une communauté s’y retrouvant épisodiquement. Ici à l’occasion d’un bal ou d’un spectacle, là pour une conférence ou un groupe de paroles disposé en cercle.



Vos créations questionnent souvent le rapport au public, la manière renouvelée de regarder une création.

Salle des fêtes fait partie d’une série en cours baptisée Dispositifs. Elle est animée du désir de changer la position du spectateur, après plusieurs années passées à travailler sur un rapport frontal traditionnel entre scène et salle. Cette série débute en 2011 avec Black Out, où le public découvre la pièce alors qu’il est disposé autour d’une grande palissade.

La scénographie privilégie alors une vue surplombante pour contempler les trois interprètes mettant les spectateurs dans une position inhabituelle et impliquante. Soit penchés vers le bas, devant s’acclimater à l’obscurité progressive. S’ensuivirent d’autres spectacles dans le même esprit. Ainsi Vacuum (2015) pour deux danseurs, renouvelle, une fois de plus, le regard. Entre deux néons, des corps apparaissent et disparaissent dans une forme d’abstraction. Il y eut aussi Ether (2018), duo se déployant dans une exploration et un jeu avec la fumée. Et Néon (2018) découvrant les danseurs travailler une manipulation de vrais néons offrant toute une gamme de gris et favorisant des espaces fluctuants en scène.


Et pour Salle des fêtes?

Dans le processus de création, s’est posée la question de savoir comment contenir ces ballons festifs. La solution est une forme de couvercle circulaire. Cela afin de disposer les spectateurs autour. J’ai amplement ramené aux sensations éprouvées à la vue de ces grappes de ballons attachées aux vendeurs, parfois quasi emportés par le vent au cœur de villes autrefois traversées.

J’ai le souvenir, merveilleux et enfantin, d’avoir eu le visage giflé par ces ballons, tentant de retrouver cette sensation au plateau pour la pièce. On travaille ici autant sur l’image que sur la danse, la sensation et la perception singulière, décalée du spectateur.






Sur l’aérien…

Oeuvrant autour de l’objet ballon, nous avons pratiqué une série de tests au fil de l’espace scénique circulaire retenu. Pour les danseurs, Il existe cette difficulté à appréhender de tels objets souvent insaisissables. Plusieurs pistes ont alors été expérimentées afin d’évaluer quels rapports au corps peuvent induire et faire exister la présence de ballons.

Nous sommes dans l’imaginaire lié à l’inlassable quête d’une forme de légèreté menée par l’humain alors qu’il est condamné aux lois de la gravité. Se dessine aussi la dimension onirique de songe que véhiculent ces ballons. D’où ces interrogations: De quoi ces rêves sont-ils faits? Comment les corps peuvent-ils entrer en dialogue avec une matière qu’ils n’atteindront jamais? J’ai ainsi repensé au philosophe français Gaston Bachelard écrivant: «Nous sommes ces êtres lourds, ces êtres tombants, nostalgiques de la légèreté.» (L’Air et les Songes).

Pourquoi le choix de corps masqués, qui ne semblent qu’enveloppes ou formes vides?

J’ai rapidement eu l’intuition que ces deux danseurs ne pouvaient rester dans leur naturalité expressive et identifiable. Il y eut alors des recherches pour les déréaliser, les désincarner. Ceci pour éviter de verser dans une forme d’animation dans ce jeu avec les ballons. Ces figures humaines, mêmes vidées, répondent ainsi à d’autres figures, celles des ballons. D’où cet aspect étrange dû aux masques.






Sur la société des loisirs…

Forte de ses ballons et de l’intitulé Salle des fêtes, la pièce aborde tant le divertissement, la distraction que l’inquiétude et la mort. Ainsi le philosophe français du 17e siècle, Blaise Pascal, écrit-il, «tout le monde est en proie au divertissement, qui consiste à la recherche désespérée d'une consolation face à la difficulté d'être soi…. Le divertissement révèle le fait que l'homme éprouve des difficultés à vivre avec lui-même, à être en paix avec ce qu'il est.»

A mes yeux, la crainte de la finitude, d’un non-aboutissement a un lien éminemment direct avec la consolation. C’est ce que font les ballons: s’envoler, s’échapper comme une consolation, un rêve enfui disparaissant à l’horizon. Ce que j’affectionne aussi? Qu’un élément issu d’une culture populaire, le ballon, soit mis dans une autre forme de présentation et scénographie pouvant rejoindre l’art contemporain notamment. Avec beaucoup de tendresse ici, il s’agit d’une revalorisation de manifestations d’une culture populaire, trop souvent dénigrées à mon sens.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Salle des fêtes (Party Room), de Philippe Saire
Du 15 au 26 septembre au Théâtre Sévelin 36, Lausanne

Avec Neal Maxwell et David Zagari

Informations, réservations:
https://theatresevelin36.ch/fr/event/2021-2022/salle-des-fetes

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